Dossier : Nos services publics, un

Nos services publics - Un trésor collectif en péril

Des entreprises privées de placement dans les services publics

Lucie Mercier

Les employeurs de la fonction publique ont de plus en plus recours à des entreprises privées de placement à but lucratif pour combler leurs besoins de main-d’œuvre. C’est vrai dans la fonction publique, tout comme dans le réseau de la santé. Bien que la stratégie ne soit pas nouvelle, elle a acquis une ampleur sans précédent.

Dans le réseau de la santé, la réingénierie entreprise en 2003 par le gouvernement Charest a mené à la création forcée de 95 centres de santé et de services sociaux (CSSS) dont la mission consiste à coordonner les réseaux locaux de services (RLS). Le RLS comprend aussi bien des fournisseurs publics que privés. La nouvelle philosophie de gestion des ressources humaines (Nouvelle gestion publique) s’inscrit dans le cadre des accords commerciaux sur les marchés publics. Elle est également favorisée et justifiée par la pénurie de main-d’œuvre. Ainsi, le secteur privé contribue à l’exode du personnel des établissements publics et à la privatisation de la dispensation des soins, entraînant des occasions d’affaires pour les uns et de la dépendance pour les autres.

Largement subventionnées par des contrats d’affaires octroyés à même les fonds publics, les entreprises privées de placement sont en voie de devenir un secteur économique prospère. Il compte maintenant, pour le seul domaine des soins, plus de 140 entreprises. Il s’agit surtout de petites et moyennes entreprises (PME), récemment créées. L’offre de services et de main-d’œuvre est diversifiée : placement de personnel de toutes les catégories d’emploi, soins à domicile subventionnés, formation de personnel, etc. Leur développement ne laisse aucun doute.

Pour l’année 2007-2008, les dépenses des établissements publics en main-d’œuvre indépendante (MOI) s’élevaient à plus de 324 millions $, pour un total de 9,8 millions d’heures travaillées, soit 3,3 % des heures travaillées dans les établissements publics. Ce sont les régions de Montréal et de la Montérégie qui arrivent en tête de liste. Le personnel en soins et le personnel paratechnique représentent les catégories (1 et 2) où la MOI a été le plus utilisée.

Les impacts négatifs

Les effets néfastes de la MOI dans le réseau de la santé sont multiples : diminution de la qualité des soins faute de bien connaître les patientes et leurs besoins, problèmes liés à la sécurité et à la continuité des soins dus à la très grande mobilité de la MOI. Les professionnelles en soins du secteur public paient le prix de la présence du secteur privé : elles assument les cas lourds et complexes ; elles doivent orienter, superviser, aider la MOI et faire les heures supplémentaires obligatoires.

Il existe une disparité entre les conditions de travail (salaire, horaires de travail, heures supplémentaires obligatoires, etc.) du personnel du réseau public fixées par le décret de 2005 et celles du secteur privé qui découlent des contrats commerciaux, puisque les entreprises privées font jouer les règles de l’offre et de la demande. Loin de faciliter l’organisation du travail, la présence du personnel des entreprises privées nuit au climat de travail, à la cohésion du groupe et à la rétention du personnel du réseau public.

Les sommes colossales engagées pour louer de la MOI ne sont pas sans conséquences sur les citoyennes payeurs et payeuses de taxes et le gouvernement. Les employeurs, en signant de tels contrats, engagent leurs budgets pour les années à venir, limitant ainsi les sommes disponibles pour l’amélioration des services à la population et pour le recrutement de personnel permanent. Par définition, les entreprises privées sont à but lucratif ; elles bénéficient de faibles taux d’imposition, d’allégements fiscaux et encaissent des profits à même les fonds publics. Par ailleurs, la possibilité de fusion d’entreprises privées de placement est bien réelle et peut mener à terme à la formation d’un monopole et d’une perte de contrôle du secteur public sur ses dépenses. La dépendance et le trafic d’influence guettent également le réseau public de santé.

Les organisations syndicales entendent combattre la présence des entreprises privées de placement dans la fonction publique et dans le réseau de la santé. Il en va non seulement de la qualité des soins aux patients mais aussi de la survie des services publics.

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