Une crise peut en cacher une autre

No 28 - février / mars 2009

Économie en crise

Une crise peut en cacher une autre

Gaétan Breton

Depuis le déclenchement officiel de la crise financière, car, croit-on, elle est différente d’une crise économique, les médias nous ont appris qu’il existe une économie virtuelle et une économie réelle. Dans la première on a des crises financières et dans la seconde, des crises économiques. En fait, les deux économies se retrouvent en crise à ce moment-ci.

L’économie virtuelle

L’économie virtuelle n’est pas marginale. Elle a un volume 30 fois plus important que l’économie réelle. Cette économie virtuelle est pourtant parasitaire de l’économie réelle. Une transaction internationale dans l’économie réelle, un achat de biens et de services par exemple, génère une cinquantaine de transactions sur les marchés des changes et des produits dérivés. Cette économie est essentiellement spéculative puisqu’elle tente de faire des gains en prédisant la valeur future de la monnaie. Tous ceux qui se paient au passage augmentent énormément les prix des biens réels. De fait, c’est maintenant la puce qui porte le chien. Cette économie est importante dans le déclenchement de la crise, mais celle-ci commence dans l’économie réelle. Le lien entre les deux se situant, notamment, au niveau des grands prêteurs hypothécaires. En transformant leurs hypothèques en titres sur le marché, ils ont finalement prêté plusieurs fois le même argent. Ils ont aussi, en achetant des titres les uns des autres, prêté plusieurs fois de l’argent que personne n’avait.

L’Europe s’est en partie garantie contre cela en adoptant une monnaie unique. Finie la spéculation sur la valeur future du franc ou du deutschmark puisque les deux pays ont la même monnaie. Toutes les transactions intérieures sont maintenant à l’abri. Si nous revenions au taux de change fixe d’avant 1971 pour le dollar US, nous couperions les ailes à la plus grande partie de la spéculation.

L’économie réelle

Au niveau de l’économie réelle, les crises sont courantes et c’est la rengaine habituelle. Nous sommes dans une crise périodique de surproduction. D’un côté, ce système fonctionne sur l’augmentation constante de la production qui doit donc trouver son équilibre dans une augmentation de la consommation. De l’autre côté, pour augmenter la consommation, principe de base du fordisme, il faut payer les travailleurs qui sont les consommateurs.

Or, si on délocalise les productions vers des pays où on maintient les salaires outrageusement bas et si on coupe les emplois et fait stagner les salaires dans les pays développés, on crée un écart de plus en plus important entre l’offre et la demande solvable, la seule dont on parle réellement. Alors, cet écart est comblé par l’endettement. Ce qui signifie que le capital, non content de ne pas payer les gens, de les mettre à la porte et d’encaisser seul les bénéfices de la technologie, va collecter des intérêts sur la vente des innombrables bébelles qu’il doit écouler pour continuer à faire tourner la roue. Alors, nous assistons à ce qu’il est convenu d’appeler un fléchissement de la demande et, en conséquence, à une crise de surproduction.

Évidemment, toute bonne incursion dans l’assiette au beurre a ses limites. Le système, distendu jusqu’à l’extrême, éclate de temps en temps. Les mêmes personnes qui disent qu’il faut relancer la consommation pour que le système se remette à fonctionner enchaînent maintenant, dans le même souffle, que les niveaux d’endettement des ménages sont devenus intolérables.

Quand le bâtiment ne va pas, rien ne va plus

Cette crise de l’économie réelle a commencé il y a déjà quelques années. Le Rapport annuel 2006 de RONA faisait déjà état d’un fléchissement de la construction aux États-Unis. Ce fléchissement, largement accentué en 2007 et en 2008, implique une diminution de la demande de bois d’œuvre, de certaines structures métalliques, de vitres, de certains minéraux, etc. En conséquence, on a des pertes d’emploi importantes et encore plus de fléchissement de la demande.

Ces crises de l’économie réelle risquent d’ailleurs de se multiplier. Plus les bénéfices de la technologie seront concentrés dans les mains des capitalistes et plus ils pourront diminuer les emplois, contrôler les salaires et s’organiser pour faire diminuer leurs impôts. Leur appât infini du gain créera constamment une disparité entre l’offre et la demande, qui ne pourra trouver sa résolution que dans la crise.

Chasser les « pompiers pyromanes »

Que faire, me direz-vous ? Nous pourrions arrêter d’avoir peur des gouvernements qui sont sensés être l’incarnation du pouvoir citoyen, et qui le seraient bien plus si nous nous occupions de nos affaires, et leur demander non pas de disparaître, comme on le fait actuellement, mais d’agir. Un gouvernement agit par la fiscalité. Il faut taxer les bénéfices de la technologie et les redistribuer. Il faut taxer les bénéfices consolidés et lutter contre les paradis fiscaux. En ce moment, les entreprises exploitent les travailleurs du tiers-monde (il faudrait inventer un nouveau mot, car ici on exploite, mais là-bas, ça n’a aucune commune mesure), cachent les profits dans des paradis fiscaux au passage et viennent nous vendre ces produit à des prix qui n’ont plus aucune commune mesure avec les coûts de production.

Alors, quand je vois nos partis politiques proposer des crédits d’impôts pour redonner de l’argent à dépenser, pour relancer la consommation, pour redémarrer l’économie, je me dis qu’on est très mal parti pour régler quoi que ce soit. Mais quand les pyromanes sont appelés pour éteindre le feu… Pensez aux Desmarais et Irving qui sont parmi les nouveaux conseillers économiques du ministre des Finances du Canada.

Lexique financier

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