Négociations locales en santé. Des employeurs qui alimentent la crise

No 79 - avril / mai 2019

Travail

Négociations locales en santé. Des employeurs qui alimentent la crise

Josée Marcotte

Des négociations locales dans les centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) sont en cours dans la plupart des régions. Que retenir de ces négociations qui touchent des milliers de travailleuses et travailleurs ? Malgré l’état de crise du personnel du réseau, les employeurs ont continué de vouloir affaiblir notre réseau public.

À la suite de la fusion des établissements due à la « loi 10 » (Loi modifiant l’organisation et la gouvernance du réseau de la santé et des services sociaux notamment par l’abolition des agences régionales) au cœur de la réforme Barrette, les conventions collectives locales ont dû être négociées dans l’ensemble des syndicats des CISSS et des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS).

C’est par suite du décret des dispositions nationales de 2005 que certaines dispositions se sont déplacées vers le plan local. Alors que plusieurs stipulations relevaient antérieurement de la négociation nationale, certaines sont désormais négociées au niveau local. Plusieurs d’entre elles sont d’une grande importance dans le quotidien du personnel, qu’on pense par exemple à la notion de postes, à la notion de déplacement ou à la notion de services. Les clauses doivent donc être négociées et modifiées d’un établissement à un autre, d’un syndicat à un autre.

Pousser le bouchon

Un peu partout au Québec, les syndicats de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) et des autres organisations syndicales se sont engagés dans ces négociations pour trouver des moyens de freiner la crise de surcharge de travail et d’épuisement professionnel.

La surcharge de travail est maintenant devenue la norme dans le réseau. C’est ce que tous les coups de sonde illustrent. C’est le cas pour les infirmières et les préposé·e·s aux bénéficiaires. Mais c’est le cas aussi des agentes administratives qui sont les premières à avoir été touchées par la réforme centralisatrice de l’ancien ministre Gaétan Barrette. C’est le cas également des travailleuses sociales et des éducateurs·trices à qui on demande de passer de plus en plus de temps à remplir des formulaires plutôt que de donner des services. C’est en fait l’ensemble des titres d’emploi du réseau qui est touché par cette surcharge.

Tout au long de ces négociations, l’état de santé du personnel a fait les manchettes. Pourtant, cela n’a pas empêché les employeurs de s’engager dans ces négociations locales avec la franche intention d’imposer de nouveaux reculs aux travailleuses et travailleurs.

Aux différentes tables de négociation, la plupart des employeurs ont été muets pour proposer des solutions aux problèmes vécus par le personnel. Ils n’ont pas eu grand-chose à proposer pour répondre aux nombreux indicateurs du niveau d’épuisement du personnel, aux taux d’absences maladie qui atteignent des sommets et à la pénurie grandissante. Au contraire, ce qu’ils ont mis de l’avant dans leurs demandes ne ferait qu’empirer les choses. Voici quelques exemples des reculs qu’ils ont proposés pour augmenter la détresse du personnel :

* Modifier l’horaire de travail du personnel avec un délai de seulement 48 heures ;
* Déplacer le personnel pratiquement sans limites un peu partout sur le territoire des CISSS ou CIUSSS ;
* Rayer de la liste de disponibilité pour une période de six mois toute personne qui refuse deux affectations par année ;
* Planifier l’horaire de travail sur une période de deux semaines, sans régularité du nombre d’heures de travail par jour ou des jours de congé ;
* Annuler deux jours à l’avance une fin de semaine de congé s’il y a insuffisance de personnel.

Donner de l’oxygène au personnel

Il faut dire que ces négociations interviennent dans un contexte très encadré. L’échéancier est déterminé à l’avance par le législateur. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre dans un délai de 18 mois, c’est un médiateur-arbitre qui interviendra dans les négociations et qui aura à terme le mandat de trancher, le tout à coût zéro ! À cela s’ajoute le fait que ces négociations locales ne permettent pas aux travailleuses et travailleurs d’exercer leur droit de grève. Autant dire que les gouvernements (libéral comme caquiste) et les employeurs ont tout fait pour mettre des bâtons dans les roues du personnel.

Du côté syndical, il allait de soi que ces négociations devaient être un moment pour trouver des solutions pour donner de l’air au personnel. C’est pourquoi les demandes syndicales allaient dans le sens d’une meilleure stabilité au travail, d’une amélioration des mesures de conciliation travail-famille et moins de précarité. Le conflit frontal n’a pas tardé à être évident face à la volonté patronale d’un environnement de travail où la flexibilité et la mobilité sont les deux seules règles.

Les demandes de recul patronales sont rapidement devenues la première des choses à laquelle s’attaquer. C’est ce que les syndicats de la FSSS-CSN ont fait aux tables de négociation en mettant en place un plan de mobilisation pour pousser au maximum les actions possibles dans ce cadre rigide. Nos demandes ont forcé les employeurs à réagir à la crise du personnel et à céder pour améliorer les conditions de travail.

Il est à noter que la CSN a déposé un recours devant la Cour supérieure au mois de juin 2018 afin de contester entre autres les entraves juridiques au droit à la libre négociation et à la grève lors des négociations locales. Nous devons retrouver notre rapport de force afin d’améliorer les conditions de travail des travailleuses et travailleurs, ce qui se traduira nécessairement par de meilleurs services à la population.

Horizon 2020

Au moment d’écrire ces lignes, certaines tables poursuivaient toujours les négociations locales dans le processus de médiation-arbitrage. Il est ainsi trop tôt pour dresser le bilan de ces négociations. De manière générale, la majorité des demandes de reculs patronaux ont été freinées. À différents endroits, des gains permettront d’améliorer les choses. Pensons par exemple à l’augmentation de postes à temps plein, ce qui permettra d’améliorer la stabilité dans les équipes de travail en accordant un poste régulier à des centaines de personnes.

Ce qui est certain, c’est que ces négociations locales n’auront pas permis de régler tous les problèmes vécus par le personnel. Des mesures sont nécessaires et urgentes pour y parvenir et exigent un réinvestissement dans le réseau. Le gouvernement Couillard a laissé derrière lui un manque à gagner de plus de 7 milliards de dollars dans le financement du réseau. Si nous voulons améliorer les conditions de travail du personnel du réseau de la santé et des services sociaux, il faudra s’attaquer à cette question. De plus, les organisations syndicales sont à préparer les travaux pour la négociation du secteur public de 2020. Il va sans dire que cette négociation s’attaquera à la crise vécue par les travailleuses et travailleurs.

Mais si nous voulons trouver une sortie de crise, cela va prendre plus que des petites mesures cosmétiques qui touchent que quelques titres d’emploi. Cela nécessitera de se retrousser les manches pour mettre de l’avant des propositions qui amélioreront le sort de l’ensemble du personnel du réseau.

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