L’heure du compte

No 79 - avril / mai 2019

Éditorial du numéro 79

L’heure du compte

Le Collectif de la revue À bâbord !

Ils disent que nous les enfants ne savons pas de quoi nous parlons, que nous sommes trop jeunes pour savoir comment le gouvernement fonctionne. Nous disons : foutaises !

Emma Gonzalez, février 2018

Vous n’êtes pas assez matures pour dire les choses comme elles sont. Même ce fardeau-là, vous le laissez à nous, les enfants.

Greta Thunberg, décembre 2018

On connaît ce cliché lorsqu’il est question de crise à venir : « quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? » Les enfants en question sont maintenant parmi nous, en colère, et avec raison.

Déjà au début de l’année 2018, quantité de jeunes États‑unien·ne·s du secondaire s’étaient soulevé·e·s contre les tueries de masse dans leurs écoles, et par extension contre la corruption du système politique par la National Rifle Association. Quelques semaines à peine après la tuerie de Parkland en Floride, la March for Our Lives organisée par les survivant·e·s réunissait des centaines de milliers de personnes à Washington.

Marcher pour sa vie. Et maintenant, pour le climat. Des enfants prennent la rue pour revendiquer le droit d’espérer un avenir minimalement digne. Sous leur impulsion, les mobilisations internationales pour le climat prennent de l’ampleur et se radicalisent. Cela se voit tant par le nombre d’actions et de participant·e·s, par les tactiques employées que par le discours mis de l’avant.

Sur le plan quantitatif, le Jour de la Terre, devenu Semaine de la Terre cette année, est marqué par une grande manifestation à Montréal et plusieurs actions organisées sous le thème de l’urgence climatique dans différentes villes du Québec. On l’observe aussi par la fréquence à laquelle des élèves quittent les salles de classe pour exiger qu’on traite cette crise à sa juste mesure.

Sur le plan du discours, on constate que les grévistes ne se satisfont plus de solutions axées sur la responsabilité individuelle (consommation responsable, réduction des déchets, etc.). Le problème de la crise climatique et de la paralysie politique qui la nourrit est d’emblée posé comme collectif. Il en découle que les solutions envisagées, telles que le Green New Deal aux États-Unis, sont aussi ancrées dans une perspective collective très ambitieuse.

Remarquons aussi la critique acerbe de ces enfants et adolescent·e·s à l’endroit des générations précédentes, qui ont passé le problème aux plus jeunes, telle une patate chaude. La prise de parole de ces jeunes est imparable. Comment politicien·ne·s et gens d’affaires peuvent-ils·elles s’opposer aux fameuses « générations futures » invoquées incessamment dans leurs discours, lorsque celles-ci viennent leur lancer au visage l’ampleur de leur lâcheté et de leur hypocrisie ? Les directions d’école ne voient-elles pas qu’elles se couvrent de ridicule en dénonçant les sorties de classe dans des lettres envoyées aux parents ? Comme le dit la Suédoise de 16 ans Greta Thunberg, « pourquoi étudier pour l’avenir lorsque personne n’en fait assez pour sauver cet avenir ? »

Finalement, le mouvement actuel pour le climat est intéressant par les tactiques employées, notamment la perturbation économique, déjà fortement mise en œuvre par les mouvements autochtones opposés aux pipelines. En Angleterre, les jeunes activistes de Extinction Rebellion ont simultanément bloqué cinq ponts du centre de Londres l’automne dernier, demandant des actions vigoureuses contre le réchauffement climatique. Le recours à la grève a un potentiel particulièrement grand, non seulement parce qu’il permet de libérer du temps pour des actions de visibilité et de l’organisation politique, mais parce qu’il met en lumière la nécessité de stopper de toute urgence un système destructeur qui échappe au contrôle des peuples.

Si le 15 mars dernier a montré l’ampleur du mouvement chez les étudiant·e·s, le 27 septembre prochain permettra de voir si le monde du travail et les organisations syndicales se feront le relais de ce soulèvement. Au Québec, cela viendra à nouveau poser la question de l’exercice de la grève en dehors du cadre de la négociation d’une convention collective, question que plusieurs directions syndicales évitent depuis longtemps. Il nous semble que s’il y a une cause qui appelle à dépasser ces étouffantes limites au droit de grève, c’est bien l’urgence climatique. Ce serait aussi une manière de saluer bien bas le courage et la colère de cette jeunesse de notre temps.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème