Définancer la police

No 85 - automne 2020

Observatoire des luttes

Définancer la police

Quelles sont les chances que les enfants de nos premier·ère·s ministres, maire·sse·s, et député·e·s se retrouvent en prison ? Si les enfants de nos élu·e·s étaient régulièrement emprisonné·e·s, tabassé·e·s, harcelé·e·s ou tué·e·s par la police, ne seraient-ils et elles pas disposé·e·s à trouver de vraies alternatives aux systèmes policier et carcéral ?

Nos élu·e·s bénéficient du racisme, comme toutes les personnes blanches au Québec. Lorsque les personnes noires et autochtones, les immigrant·e·s racisé·e·s et les personnes sans statut ont moins de chances de réussir à l’école, d’avoir accès à des programmes scolaires contingentés, à des emplois bien rémunérés, à des opportunités artistiques, à des soins de santé adaptés et à des postes de pouvoir, cela avantage grandement les personnes blanches.

La police dévalorise nos existences

Les forces policières font leur part pour déstabiliser les efforts des parents des jeunes noir·e·s et autochtones, et ce, dès un jeune âge. La police envoie un message clair à ces jeunes en les suivant dans la rue, en les tabassant, en leur demandant constamment leurs papiers, en rôdant dans leurs quartiers, en harcelant leur famille, sans égard pour leur dignité ni leur vie privée, sous prétexte de chercher un suspect ou d’assurer la sécurité. Le message passé à tou·te·s les Autochtones et Noir·e·s est que notre présence même dans l’espace public et dans la société pose problème.

Cela pose des barrières énormes pour les personnes reléguées à la précarité financière. Elles augmentent de façon exponentielle pour les personnes noires et autochtones membres des communautés LGBTQ2S, ou encore les personnes noires et autochtones qui ont un handicap, y compris des difficultés d’apprentissage et des problèmes de santé mentale.

Une oppression en nourrit une autre

Les personnes gaies, lesbiennes, et bisexuelles, queer, trans et bispirituelles font non seulement face à de la discrimination de la part de la société dominante, mais peuvent aussi être ostracisées au sein de leurs propres communautés. Cette double marginalisation les expose à encore plus de criminalisation. Et la criminalisation, en contribuant à dévaloriser nos existences, fait en sorte que les personnes autochtones et noires sont plus à risque d’être victimes de violences sexuelles, entre autres.

Les personnes noires et autochtones cisgenres et hétérosexuelles ne correspondront jamais à l’idéal fixé par la société blanche qui dicte ce que doit constituer un homme, une femme, un couple et une famille. C’est là une raison de plus pour être solidaires des personnes queer, trans et bispirituelles dans nos communautés, qui portent de multiples fardeaux d’oppression.

La police : ennemie mortelle des personnes vivant avec un handicap

La police et la prison ne peuvent exister que dans un contexte où la violence est normalisée et justifiée selon l’accès au pouvoir et aux privilèges.

Une étude de la CBC révèle que plus de 70 % des personnes tuées par la police au Canada souffraient de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie. De plus, le nombre de suspects morts lors de contacts avec la police est en hausse constante au Canada [1].

Les statistiques sont semblables lorsque l’on examine la population carcérale. Une enquête sur les pratiques entourant les prescriptions de médicaments dans les pénitenciers fédéraux a révélé que plus de 60 % des personnes détenues dans des prisons pour femmes au Canada reçoivent des médicaments psychotropes. Le taux de prescription grimpe à près de 75 % au Québec, dans la prison pour femmes de Joliette [2].

La surmédicalisation des personnes incarcérées démontre d’une part que la police punit les personnes noires et autochtones vivant avec des problèmes de santé mentale, et d’autre part que le système carcéral constitue en soi en forme de torture qui met en cage des personnes qui auraient besoin de soins, de soutien et de ressources.

La violence ne mettra pas fin à la violence

La discrimination à l’emploi, au logement et dans l’éducation fait en sorte que les personnes opprimées par ces multiples systèmes ont plus de chances de travailler en dehors de la loi. La police effectue alors une sorte de kidnapping institutionnalisé en enfermant ceux et celles qui n’ont pas choisi ou qui n’ont pas réussi à se trouver un travail « respectable », qui ont développé un problème de consommation, qui n’arrivent pas à nourrir leur famille, qui n’ont pas accès à des soins de santé mentale, de même que les personnes dont le gouvernement refuse de régulariser le statut d’immigration.

Nous savons que les prisons et les centres de détention n’ont pas l’effet dissuasif qu’ils prétendent avoir, au contraire. Le policier est un pompier pyromane. La meilleure façon de s’assurer qu’une personne soit mal outillée pour participer à la société de façon légale est de la mettre en cage pendant des mois, voire des années.

Tolérer la police, c’est aussi tolérer un système qui ne répond pas aux besoins des victimes de violences sexuelles et qui au contraire nourrit la violence genrée. Au-delà de l’inaction et de l’indifférence généralisées de la police, on ne peut espérer réduire, voire éradiquer la violence en faisant appel à un système violent et lui-même profondément genré.

En faisant disparaître les personnes qui sont déjà reléguées aux marges, la police s’assure que notre société n’a pas à se préoccuper d’une foule de problèmes sociaux et économiques. Un cercle vicieux, où une partie de la société en opprime une autre avec l’aide de la police, se perpétue ainsi devant nos yeux.

Nous combattrons seulement la logique de la criminalisation en refusant de reproduire ces oppressions et en refusant le plus possible de recourir à la punition et la violence. Il nous faut combattre toutes les formes d’oppression et soutenir l’auto-détermination de chaque membre de nos communautés.

Décriminaliser pour définancer et réinvestir

Lutter contre la pauvreté alors que la police criminalise la survie dans nos communautés, c’est l’équivalent de se laver les mains et de les essuyer par terre. Il faut décriminaliser la survie et les formes de travail que notre société stigmatise en décriminalisant l’itinérance, la vente de drogues et le travail du sexe. Il faut régulariser toutes les personnes migrantes sans statut.

Nous ne définançons pas seulement la police, nous allégeons en même temps leur charge de travail. Le budget annuel alloué à la police – $665 Millions pour le Service de police de la ville de Montréal – doit être coupé de moitié afin de redistribuer ces fonds dans des programmes menés par et pour les communautés les plus ciblées par la police – les communautés autochtones et noires, et les communautés migrantes racisées.

Nous définançons la police pour réinvestir dans nos écoles, dans des logements de qualité dans nos quartiers les plus sous-financés, dans des services de prévention, d’accompagnement, de réduction de méfaits, et de soutien pour les survivant·e·s. Nous nous concentrons ainsi sur de vraies solutions et soins, sur des transformations réelles et bénéfiques permettant d’interrompre et de prévenir les torts, les violences et les abus, de réactiver la responsabilité collective et la solidarité.

Redéfinir complètement la réussite

La transformation que ce mouvement envisage, fondée sur la dignité de chaque personne et le refus de la répression et du châtiment, est à la fois profonde et complexe, et toute simple.

Moins de police, plus de programmes communautaires, de loisirs, de sport et d’art, plus d’accessibilité pour les personnes vivant avec un handicap, plus de soutien psychologique, de traitements en toxicomanie, de sécurité alimentaire, de justice non-punitive, plus de souveraineté pour les peuples autochtones – tous ces éléments offriraient à toutes et à tous une chance de survivre, de s’épanouir, de réussir. Ce serait non seulement offrir à nos jeunes les mêmes chances de réussite que celles auxquelles les enfants de nos élu·e·s ont droit, ce serait aussi leur offrir la chance de redéfinir complètement ce que signifie réussir dans la vie.


[1Radio-Canada, « Mourir sous les balles de la police au Canada : l’état des lieux ». Disponible en ligne.

[2Adam Miller, « Une majorité de détenues canadiennes prennent des médicaments psychotropes », Le Soleil. Disponible en ligne.

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