Vers la fin des logements à bas prix ?

Dossier : Québec, ville plurielle

Dossier : Québec, ville plurielle

Vers la fin des logements à bas prix ?

Jonathan Carmichael

À Québec, le parc de logements locatifs à prix abordable s’effrite. Les récents indicateurs annoncent qu’une crise du logement pointe à nouveau. La chute des taux d’inoccupation entraîne une augmentation des loyers, accélérant la gentrification déjà présente depuis quelques années dans les quartiers populaires.

Pour les ménages locataires à revenus modestes, la situation est inquiétante. La recherche d’un logement se complique. Même dans les quartiers où, historiquement, les loyers étaient moins élevés, on constate une flambée des prix. Ces dernières années, plusieurs ménages ont été chassés de leur logement par des investisseurs immobiliers à la recherche de meilleurs profits. Conversions en hébergements touristiques, évictions illégales ; le droit au logement en prend pour son rhume.

Logement trop cher

Julie a reçu une lettre de son propriétaire. Il reprendra son logement dans le quartier Saint-Sauveur à la fin du bail pour y loger sa fille. Julie peine à trouver un logement similaire pour y vivre avec son fils de huit ans. Les loyers sont hors de prix [1].

Après avoir atteint 4,8 % en 2016, un sommet depuis 1998, le taux d’inoccupation des logements locatifs à Québec a amorcé une descente pour s’établir à 2,2 % à l’automne 2019. Dans les secteurs centraux, la pénurie est particulièrement criante avec des taux d’inoccupation de 1,8 % en Basse-Ville et 1,7 % en Haute-Ville. À noter qu’il est question de crise du logement lorsque le taux d’inoccupation est en deçà de 3 %. Avec la rareté qui s’installe, les propriétaires immobiliers en profitent pour gonfler le prix des loyers.

Dans Saint-Sauveur, Limoilou, Saint-Roch et Saint-Jean-Baptiste, quatre quartiers centraux populaires en gentrification, se loger coûte de plus en plus cher. Les loyers demandés pour les logements annoncés à louer depuis le début de l’hiver 2020 [2] excluent d’emblée une bonne partie des ménages des classes populaires.

En moyenne dans ces quartiers, l’ensemble des logements à louer affiche un loyer mensuel de 29 % plus élevé que le loyer moyen pour tous les logements du même secteur, tel que calculé par la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL). Concrètement, les locataires qui signeront un nouveau bail paieront en moyenne 210 $ de plus par mois que les autres locataires du coin. En 2015, une recension similaire du BAIL arrivait à un résultat quatre fois moins élevé. Si un tel écart peut trouver une partie de son explication par l’apparition de logements de luxe dans les quartiers populaires de Québec, il ne faut toutefois pas négliger l’inefficacité des mesures actuelles encadrant les augmentations de loyer lors des déménagements. Les propriétaires ont les coudées franches et haussent abusivement les loyers.

Depuis des années, le BAIL, avec le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), lutte pour un meilleur contrôle des loyers, entre autres par l’instauration d’un registre des loyers qui permettrait aux nouveaux ménages locataires de connaître le prix payé par les locataires précédent·e·s et, ainsi, être en mesure de faire corriger leur loyer à la baisse par la Régie du logement. Cette revendication est pour l’instant laissée lettre morte par le gouvernement.

Airbnb fait des ravages

Michel demeure depuis plus de 30 ans dans le même logement sur une artère commerciale du quartier Saint-Roch. Il paie 650 $ pour un 5 et demi, une aubaine dans le secteur. À la fin décembre, il reçoit un avis d’éviction. Le propriétaire changera l’affectation de son logement qui servira maintenant à de l’hébergement touristique commercial.

Ces dernières années, l’hébergement de type Airbnb a connu une progression impressionnante à Québec, particulièrement dans les quartiers centraux, au point de devenir une des principales menaces au parc locatif. En l’espace de trois années, le nombre de réservations de logements entiers, ainsi que les revenus du marché de l’hébergement à court terme ont doublé [3]. En février 2020, on comptait 2268 logements entiers offerts sur les plateformes Airbnb ou Vrbo à Québec. Plus de 70% de ces logements étaient concentrés dans un seul arrondissement, La Cité-Limoilou. Près de 60 % de ces logements ont été loués plus de 90 jours dans la dernière année. La problématique ne se limite pas au circuit touristique traditionnel du Vieux-Québec. Saint-Jean-Baptiste, Saint-Roch, Saint-Sauveur et Limoilou ont chacun entre 250 et 300 logements entiers qui servent à l’hébergement à court terme pour touristes. 2,3 % de l’ensemble des logements privés de ces quatre quartiers populaires servent à la location de type Airbnb.

La conversion de logements locatifs en hébergement pour touristes contribue à la pénurie, à la hausse des loyers et à la gentrification de ces quartiers où 75 % des ménages sont locataires. Des groupes populaires en ont donc fait un enjeu de lutte. Le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste a lancé le bal en 2016 en menant une campagne de visibilité dans le quartier, en dénonçant la situation dans les médias et en documentant quatorze plaintes officielles concernant des hôtes Airbnb illégaux. À l’automne 2017, le BAIL s’est joint à la lutte en coorganisant avec le Comité populaire une assemblée publique et une action de mobilisation, le « Airbnb Bus Tour ». Plus récemment, à compter de l’été 2019, le Comité des citoyen·ne·s du quartier Saint-Sauveur a également commencé à exercer un travail de vigilance.

Évincer pour relouer plus cher

Sylvain vit dans la même maison de chambres du quartier Saint-Roch depuis 18 ans. En venant collecter le loyer, le nouveau propriétaire lui a fait signer une entente de fin de bail. Comme il y aura de grosses rénovations, il devra déménager dans quelques semaines.

À Québec, en peu de temps, plusieurs immeubles à loyer abordable ont subi une métamorphose. Dans Limoilou, des studios sont passés de 495 $/mois à environ 800 $/mois en un an. Dans le Vieux-Québec, les loyers des lofts de l’immeuble Le Colombier, maintenant offerts autour de 1000 $ par mois, ont plus que doublé. Dans Saint-Sauveur, des logements sont annoncés entre 900 $ et 1895 $ alors qu’il y a trois ans, dans le même immeuble, des locataires payaient moins de 500 $ par mois. De plus, en un an, au moins quatre maisons de chambres des quartiers centraux ont fermé leurs portes. Des dizaines de chambreurs et chambreuses ont été évincé·e·s de manière douteuse, voire illégale, parfois avec des délais de départ d’à peine quelques jours. Ainsi, plusieurs centaines de logements qui logeaient des ménages à faible revenu ont rejoint la longue liste des immeubles où les pauvres n’ont pas les moyens de louer. Ces logements achetés à bas prix ont été transformés en immeubles haut de gamme. Pour réaliser leur projet, les propriétaires ont multiplié les stratagèmes, par exemple en prétextant des travaux majeurs à venir, pour se débarrasser des locataires en place dont le loyer n’était pas suffisamment rentable.

À plusieurs reprises, le BAIL a organisé des actions collectives, dénoncé des situations dans les médias et interpellé les autorités politiques afin d’obtenir de meilleures protections pour les locataires. En mai, la Ville de Québec a enfin répondu, en partie du moins, en annonçant un moratoire empêchant les éventuelles fermetures de maisons de chambres. Cela ne suffira toutefois pas à sauvegarder le parc locatif abordable de la ville. La lutte continue !


[1Les mises en situation sont basées sur des cas réels rencontrés au BAIL ces derniers mois. Par souci de confidentialité, les faits ont été légèrement modifiés.

[2Les données sur les logements à louer ont été compilées par le BAIL via les sites d’annonces classées. 1900 annonces ont été recensées entre janvier et avril 2020 dans les quatre quartiers.

[3Les données sur l’hébergement de type Airbnb proviennent du rapport MarketMinder réalisé par AirDNA, en date du mois de mars 2020. « MarketMinder. Vacation Rental Data ». Disponible en ligne.

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