Dossier : Technologies du vivant

Le groupe ETC

ONG de vigilance biologique

par Karine Peschard

Karine Peschard

Le Groupe ETC [1], fondé en Saskatchewan à la fin des années 1970, est à l’époque l’une des premières organisations non-gouvernementales à s’intéresser aux biotechnologies, plus particulièrement à la question de la modification génétique des semences et de ses implications socioéconomiques et environnementales. C’est alors un véritable pionnier, puisqu’il faut attendre plus de quinze ans pour que cette question émerge finalement sur la scène publique, avec les premières récoltes commerciales d’organismes génétiquement modifiés (OGM) en 1996.

Le nom du groupe – ETC Group (prononcer « et cetera ») ou Groupe d’action sur l’Érosion, la Technologie et la Concentration – résume bien sa mission. Érosion comme dans perte de la diversité génétique et biologique, mais aussi comme dans l’érosion des savoirs liés à ces ressources et des droits des agriculteurs et des peuples autochtones. Technologie comme dans biotechnologie ou nanotechnologie, ces nouvelles technologies qui révolutionnent notre rapport au vivant et, maintenant, à la matière. Et, finalement, Concentration comme dans le mouvement de réorganisation et de concentration croissante du pouvoir économique et du savoir aux mains d’entreprises globales de haute technologie.

C’est le Groupe ETC qui a inventé les expressions « biopiraterie », « Terminator » et, plus récemment, « Traitor », trois expressions ayant fait le tour du monde. La biopiraterie désigne l’appropriation des savoirs et des ressources génétiques des agriculteurs et des peuples autochtones par des individus ou des institutions qui en acquièrent le contrôle exclusif à travers des brevets ou des droits de propriété intellectuelle. Les semences « Terminator » sont modifiées génétiquement afin de produire des semences stériles, alors que les semences « Traitor » sont modifiées de façon à ce que certains traits génétiques puissent être désactivés ou réactivés à l’aide d’un agent chimique.

La campagne pour « Interdire Terminator »

En 1998, le groupe ETC découvre l’existence de brevets sur la technologie de stérilisation des semences, et entreprend un travail d’information et de mobilisation. La mobilisation internationale conduit dans un premier temps à l’introduction en 2000 d’un moratoire de facto à la Convention des Nations unies sur la Diversité Biologique (CDB). Fort de cette victoire, ETC et d’autres groupes continuent de militer pour l’interdiction formelle de cette technologie.

Entre-temps, les entreprises et certains gouvernements – dont le Canada – font pression pour la levée du moratoire international, ce qui ouvrirait la porte aux essais en champ et à la commercialisation de cette technologie. En réponse, le Groupe ETC lançait l’année dernière – avec Inter pares, l’Union nationale des agriculteurs et Unitarian Service Committee (USC Canada) – la campagne internationale « Interdire Terminator » (www.interdireterminator.org). Cette campagne vise à remplacer le fragile moratoire actuel par l’interdiction claire, au niveau international, de toute technologie de stérilisation des semences.

Des biotechnologies aux nanotechnologies

Alors qu’on commence tout juste à mesurer l’ampleur de l’impact social et environnemental des biotechnologies, une nouvelle révolution technologique se dessine. Comme il l’a été sur la question des biotechnologies agricoles dans les années 1970, le Groupe ETC est aujourd’hui un pionnier dans le dossier des nanotechnologies. Comme le souligne Pat Mooney, son directeur-général, le Groupe ETC est à l’heure actuelle l’une des trop rares organisations non-gouvernementales dans le monde à s’intéresser à cette question dans une perspective de défense des droits [2].

Les nanotechnologies réfèrent à la manipulation de la matière vivante et non-vivante au niveau moléculaire ou atomique. Elles tirent leur nom du fait qu’elles opèrent à l’échelle « nano » (un nano représente un milliardième de mètre ou l’équivalent de huit atomes d’hydrogènes alignés). À cette échelle, les propriétés physiques et chimiques des matériaux changent radicalement (c’est ce qu’on appelle l’effet quantum ou physique quantique), d’où le potentiel inouï des nanotechnologies.

Loin de relever de la fiction, les nanotechnologies sont déjà une réalité. Dix milliards de dollars US ont été dépensés l’année dernière pour la recherche fondamentale (privée et publique) et, selon la National Science Foundation (US), le marché des nanotechnologies pourrait atteindre 1 trillion de dollars US en 2011. Les nanotechnologies ont des applications dans de multiples secteurs : production de matériaux ; électronique, énergie et informatique ; secteurs biomédical, militaire, agricole et alimentaire. On les retrouve déjà dans certains produits, comme les vaporisateurs, les revêtements et certains produits de beauté.

Les nanotechnologies ont le potentiel de révolutionner la production des matières premières et, du même coup, d’éliminer les marchés dont dépendent des économies et des populations entières. Il est ironique qu’au moment où les pays du Sud acceptent de faire des concessions (par exemple de libéraliser leur marché des services) afin d’obtenir en contrepartie l’accès aux marchés du Nord pour leurs matières premières, ces développements technologiques pourraient éventuellement faire en sorte d’éliminer la demande pour ces mêmes produits…

Comme c’est le cas pour les biotechnologies, les nanotechnologies font l’objet d’une course effrénée aux brevets, sans rencontrer les mêmes obstacles que les biotechnologies puisqu’il ne s’agit pas de matière vivante. Autre source de préoccupation : les nanotechnologies échappent pour l’instant à toute réglementation. Les produits sont en effet réglementés à l’échelle macro alors que, comme on l’a vu, avec les nanotechnologies, la différence d’échelle en est aussi une de propriété. Cette absence totale de réglementation est d’autant plus préoccupante que, comme on le sait, le capital, lui, ne connaît pas le principe de précaution. Or, on ne connaît pas la toxicité des nanotechnologies pour la santé humaine et l’environnement ; par exemple, l’impact de l’accumulation des nanoparticules dans l’organisme sur le fonctionnement des organes internes.

Dans ce contexte, il est urgent, selon le Groupe ETC, d’alerter l’opinion publique et nos gouvernements à propos des risques que posent ces nouvelles technologies et d’ouvrir un vaste débat public sur la relation entre technologie et société. Comme pour les biotechnologies avant elles, on nous promet avec les nanotechnologies une technologie « verte », une solution aux problèmes environnementaux et à ceux de la faim et de la pauvreté, comme s’il existait une solution technologique à des problèmes d’ordre structurels. Or, comme le fait observer Pat Mooney, en règle générale, « toute nouvelle technologie introduite dans une société fondamentalement injuste l’est au détriment de ses membres les plus vulnérables ».

Le site d’ETC group


[1Auparavant RAFI (Rural Advancement Foundation International).

[2Voir également Pièces et main-d’œuvre (www.piecesetmaindoeuvre.com) et les articles publiés dans CQFD No 29, décembre 2005 (www.cequilfautdetruire.org).

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