L’institution scolaire et ses miracles

No 14 - avril / mai 2006

Smaïn Laacher

L’institution scolaire et ses miracles

lu par Mouloud Idir

Mouloud Idir, Smaïn Laacher

Smaïn Laacher, L’institution scolaire et ses miracles, La Dispute, Paris, 2005.

L’école ancrée dans son milieu social

Les écrits du sociologue Smaïn Laacher, chercheur au Centre d’études des mouvements sociaux de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), gagneraient certainement à être davantage connus en Amérique du Nord. Ce livre permet largement de prendre la mesure de la profondeur analytique et de l’originalité théorique de l’auteur s’agissant de la question de l’école et du rôle qu’elle joue dans «  les trajectoires scolaires d’enfants immigrés qui ont accédé à l’université ».

Beaucoup a été dit sur les raisons de l’échec scolaire des « enfants de l’immigration ». Le présent ouvrage rompt précisément avec les démarches analysant «  l’école indépendamment des conditions dans lesquelles elle accomplit sa tâche, des populations qui la composent et des résultats effectifs de son action ». Il en résulte une attention particulière prêtée à des dimensions que le regard traditionnel ne prend que rarement pour objets : déconditionnement à l’égard du milieu familial et privé, capacité de réflexion critique permettant de lier sa condition à celle des autres, prédisposition aux questions d’intérêt général (souci du monde au sens d’Arendt), sensibilité et capacité de comprendre des choses vues d’une position que nous n’occupons pas (faculté de juger au sens de Kant et Arendt), enfin, foi en la force du politique et de la lutte collective.

En gros, un livre qui permet aussi (mais pas seulement) de repenser le rôle de l’école en milieu populaire, de réinterroger la croyance en une conception restreinte de l’intégration et de comprendre la nette distinction entre l’immigration comme système de relation sociale de domination entre nations et la figure de l’immigré comme condition ontologique extérieure à un ordre du monde symbolique naturalisé.

Pour le reste, rien de mieux que de donner la parole à l’auteur lui-même. Cela est motivé, pour reprendre les paroles du sociologue algérien Abdelmalek Sayad, par le souci de prendre toute la mesure de la dignité sociale des objets intellectuels et par la dignité intellectuelle de ces objets sociaux que sont l’immigration et le sort de l’immigré. À cet égard, Smaïn Laacher nous semble lui-même le parfait exemple d’un des miracles de l’institution scolaire. Voyons l’engagement normatif du livre au-delà de la démarche analytique : «  ce livre est pour moi un livre particulier. Il est une partie de moi-même. Ou pour le dire autrement, une partie de moi-même est déposée dans cet ouvrage. Quand on se demande si l’école nous a réussi on pense rarement à soi seulement ; car on sait en réalité que c’est la conjugaison heureuse d’une famille de qualité et d’un environnement de qualité qui nous a rendu remarquable (dans tous les sens du terme) aux yeux de l’institution scolaire. Seule, celle-ci est capable de condenser avec autant de force et d’évidence, en un seul mouvement, le passé, le présent et l’avenir. En écrivant ce livre je n’ai cessé de me retourner sur mon passé et celui de ma famille. Mes parents, d’origine algérienne, savaient lire et écrire en arabe. Mais en terre d’immigration leur compétence culturelle avait peu d’effets scolaires. Je ne sais pas ce que penserait mon père, décédé en 1967, s’il avait ce livre entre les mains. Il serait incapable de le lire mais il serait probablement fier de son fils. Peut-être. C’est ce qu’éprouve ma mère et c’est ce qui lui rend sans aucun doute son immigration plus sensée ou moins insensée que beaucoup d’autres. En vérité je n’ai jamais eu d’amour pour l’école ni pour les professeurs. Peut-être un peu d’amitié. Et celle-ci ne fut pas constante je l’avoue. Je trouve l’univers scolaire très violent symboliquement. Pourtant je ne peux pas me passer de ce que l’école m’a appris. Et ce livre, une fois de plus, est un hommage à sa grandeur et ma reconnaissance à son impérieuse nécessité. En particulier pour les plus démunis. »

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