Dossier : Côte-Nord - Nitassinan /

Dossier : Côte-Nord - Nitassinan / Territoires enchevêtrés

Aire protégée d’initiative autochtone au Pipmuakan

Marie-Hélène Rousseau

Atiku, le caribou forestier, est une espèce sacrée pour les Innu·es. Il connait un déclin tragique sur le territoire dit du Québec depuis plusieurs décennies. La communauté de Pessamit propose un plan de protection de l’espèce afin de sauver les populations menacées d’extinctions et préserver l’innu-aitun, leur culture.

En 2020, le Conseil des Innus de Pessamit dépose le projet d’aire protégée Pipmuakan auprès du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) pour contribuer à l’atteinte de la cible de 17 % d’aires protégées terrestres. Notre proposition de 2761 km2, soit 0,18 % de la superficie terrestre du Québec, est localisée près du réservoir du même nom, à environ 150 km au nord-est de la ville de Saguenay, sur notre terre ancestrale, le Nitassinan.

Grâce au statut de réserve de biodiversité, ou encore à celui d’aire protégée d’initiative autochtone (pour en savoir plus à ce sujet, voir le texte suivant), le projet du Pipmuakan vise à protéger les derniers massifs de forêts intacts dans le secteur afin d’y préserver notre patrimoine culturel ainsi que l’habitat du caribou forestier, qui sont tous deux menacés. Le projet inclut aussi la rivière Betsiamites (Pessamiu Shipu), une rivière patrimoniale qui a joué un rôle crucial dans l’histoire de notre communauté.

Bien qu’au même moment, le Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) déclare dans son rapport d’inventaire que le caribou du Pipmuakan « est dans un état extrêmement précaire », notre projet d’aire protégée n’est pas retenu.

En février 2021, le MELCC modifie sa Loi sur la conservation du patrimoine naturel pour y introduire le nouveau statut d’aire protégée d’initiative autochtone. Dix-huit mois plus tard, aucune nouvelle du gouvernement, mis à part un accusé de réception qui nous indique que l’analyse des projets d’aires protégées se poursuivra dans le cadre des nouveaux objectifs à atteindre d’ici 2030.

Pour le Pipmuakan, c’est aujourd’hui qu’il faut agir. Les taux de perturbation dans l’habitat essentiel du caribou forestier ne cessent de s’accroître, réduisant de jour en jour nos probabilités de maintenir l’espèce, ainsi que le lien fondamental qui nous unit à Atiku (caribou, en innu-aimun).

Culture en péril

Devant la dégradation de notre terre ancestrale, le déclin de sa biodiversité et de notre culture qui y est intimement associée, puis devant le non-respect du gouvernement envers nos droits ancestraux et ses obligations constitutionnelles de consultation et d’accommodement, nous devons agir. Agir pour nous réapproprier notre terre et notre culture afin d’éviter notre propre disparition.

Le projet d’aire protégée Pipmuakan a donc été créé par et pour les Pessamiulnuat (Innu·es de Pessamit), pour assurer notre survie culturelle et la vitalité de notre communauté. Rappelons que nos membres ont été durement éprouvé·es au cours du dernier siècle et qu’ils et elles le sont encore avec les impacts cumulatifs du développement continu dans notre territoire, mené sans égard à nos préoccupations. Un développement dont notre communauté ne tire aucun bénéfice.

Rétablissement et réconciliation

Le Pipmuakan est un refuge pour Atiku. Il est aussi un lieu névralgique pour la transmission et le partage de notre culture, un lieu de ressourcement et de guérison pour nos membres, un lieu de développement de notre savoir et de notre expertise. Il permet aussi un lien d’éducation, de recherche et d’alliance entre les savoirs innus et scientifiques.

Depuis plusieurs années, nous y déployons des efforts considérables pour y maintenir et y préserver notre culture. Nous y avons développé notre propre programme de suivi pour le caribou. Nous travaillons en collaboration avec les équipes de suivi du MFFP ainsi qu’avec de nombreux chercheur·es afin d’accroître nos connaissances sur l’espèce, la biodiversité qui y est associée et les mesures d’interventions optimales pour les protéger. À travers toutes ces démarches, nous développons nos capacités afin d’assurer la gestion et la gouvernance de cette future aire protégée. De plus, nous travaillons à mettre en valeur ce territoire afin d’assurer des retombées pour notre communauté, des retombées qui seront bénéfiques pour l’ensemble de la société.

Le projet d’aire protégée Pipmuakan constitue une solution clés en main pour contribuer au rétablissement du caribou au Québec, ainsi qu’à la réconciliation entre nos peuples. 

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