Le Nicaragua aux abois

No 31 - oct. / nov. 2009

Coup d’État au Honduras

Le Nicaragua aux abois

Marc-André Séguin

Depuis le coup d’État du 28 juin qui a renversé le chef d’État du Honduras Manuel Zelaya – expulsé manu militari vers le Costa Rica – des hommes et des femmes du Nicaragua, pays avoisinant, ont quitté leurs foyers pour prêter main-forte aux Honduriens cherchant à déstabiliser les auteurs du coup. Un Nicaraguayen proche de ces militants raconte ce qui motive ses compatriotes à braver couvre-feux et répression policière pour rendre la vie dure aux golpistas.

Un coup reçu comme un choc

À l’aube du 28 juin dernier, des dizaines de militaires fortement armés prenaient position autour du domicile du président Zelaya pour emmener ce dernier contre son gré et toujours en pyjama au Costa Rica, au terme d’une semaine de tensions toujours croissantes entre l’armée, les tribunaux et l’exécutif du pays. Fort d’une pétition de 400 000 signatures, le chef d’État prévoyait organiser, le jour du scrutin, prévu le 29 novembre prochain, une consultation à caractère non contraignant portant sur la réouverture de la Constitution, notamment en ce qui a trait à l’interdiction pour un président de briguer un second mandat. Même si le référendum n’offrait pas la possibilité à Zelaya de briguer un second mandat en novembre prochain – la Constitution de 1982 demeurant logiquement en vigueur jusqu’à tout changement – l’armée, sous les ordres de la Cour suprême, déposait le président pour l’empêcher de mener cette consultation populaire, jugée illégale. Quelques heures plus tard, le Congrès du Honduras approuvait une lettre de démission faussement présentée comme émanant de Zelaya et plaçait le putschiste Roberto Micheletti à sa place.

Plusieurs kilomètres plus loin, les images du premier putsch dans la région depuis la fin de la guerre froide sont reçues comme un choc. Militaires dans les rues de Tegucigalpa, couvre-feux et un président destitué : la scène apparaissait surréaliste à plusieurs Nicaraguayens qui, le 28 juin dernier, étaient rivés à leurs écrans, témoins d’images qui leur rappelaient trop souvent leur propre histoire marquée par des soubresauts politiques et une guerre civile qui ne s’est soldée qu’au début des années 1990.

Ayant lui-même fait la guerre à cette époque, Marvin (nom fictif), un proche de l’entourage du président nicaraguayen Daniel Ortega, a lui aussi été marqué par les événements. «  Ces images, c’est comme nous il n’y a pas si longtemps », disait-il en regardant les nouvelles sur Telesur qui, fin juin, rapportaient d’heure en heure la progression de la situation à Tegucigalpa, tandis que la télévision hondurienne, censurée ou contrôlée, faisait fi du coup d’État, allant même jusqu’à retransmettre des images de loterie ou de messes.

Les anciens reprennent du service

Assis dans une demeure en périphérie de la capitale du Nicaragua, cet homme de main avait les yeux encore fatigués de la veille, et pour cause. Marvin avait passé la nuit à patrouiller l’aéroport de Managua, en compagnie des gens de son équipe, pour assurer la sécurité aux chefs d’État d’Amérique latine, qui se sont réunis tard dans la nuit au coeur de la capitale nicaraguayenne le soir même de la nouvelle du coup d’État.

C’est que pour les chefs d’Amérique latine, et particulièrement ceux de la gauche en émergence dans cette partie du continent, le coup au Honduras s’inscrit au-delà des frontières nationales : il est la négation directe du modèle proposé par l’Alliance bolivarienne pour les peuples d’Amérique (ALBA). Zelaya est perçu comme un « frère » par les compañeros, justement parce qu’il est allé à contre-courant de plusieurs à l’intérieur du Parti libéral du Honduras, parti de droite dont il était le chef, pour s’allier au groupe mené par Hugo Chávez.

« En tant que pays frère du Honduras, il y a des compañeros qui sont à l’intérieur des frontières du pays qui font la promotion d’activités de lutte des peuples », explique Marvin, qui connaît personnellement de ces gens, des ex-guerilleros qui ont fait la guerre au moment de la Révolution sandiniste au Nicaragua il y a une trentaine d’années. « Évidemment, il y a des organisations, des Nicaraguayens et des Honduriens qui font la promotion de ces luttes. »

Se présentant comme des syndicalistes, des enseignants, des militants et des groupes de travailleurs, ces guerilleros à la retraite « qui ont une expérience dans la lutte des peuples », sillonnent le Honduras avec l’objectif d’aider les Honduriens qui s’opposent aux golpistas [les responsables du coup d’État] et luttent pour le retour au pouvoir du président Zelaya. Lui-même ex-guerillero, Marvin refuse de confirmer si ses compañeros sont armés. Il ne nie cependant pas « l’esprit révolutionnaire » qui les anime dans leurs efforts. Des mots qui rappellent les discours d’une autre époque. « C’est une solidarité entre les peuples, explique-t-il. Nous connaissons tous l’histoire de Che Guevara, qui est mort à l’extérieur de son pays en luttant pour les peuples. » « Il y a des discussions de lutte armée, ajoute Marvin. Mais si nous en venons à ça, ce sera la faute des golpistas. Ils seraient les seuls coupables de cette situation. » Des paroles qui évoquent bien la mesure des tensions qui règnent dans certaines régions du Honduras, et qui parfois s’accentuent avec certains gestes de Zelaya.

Un appui d’abord moral et politique

Malgré ces tensions, Marvin raconte que ses compañeros ne sont pas là pour faire la guerre. « Le Honduras n’a pas l’expérience de ce type d’affrontement. Notre appui est davantage moral et nous appuyons les syndicats, les groupes de travailleurs, les militants qui appuient le retour de leur président », explique-t-il, poursuivant que le peuple selon lui n’est pas derrière le coup d’État, malgré la popularité alors en baisse du président Zelaya.

Si ses supporters et militants se lancent de leur propre chef vers Tegucigalpa pour appuyer – sinon organiser – des mouvements de protestation et de désobéissance civile, est-ce à dire que l’administration Ortega souhaite elle aussi dépasser les mesures diplomatiques et passer à d’autres formes d’intervention chez son voisin ? Impossible de le savoir avec certitude. «  Nous préparons des choses sur le terrain, mais nous ne pouvons pas en parler maintenant », avance Marvin avec prudence.
Si les États-Unis ont attendu jusqu’au 3 septembre dernier pour enfin qualifier les soubresauts politiques honduriens de coup d’État et suspendre leur aide économique au pays, les choses ont néanmoins bougé chez les voisins de ce pays d’Amérique centrale au cours des derniers mois. Mais à l’intérieur des frontières, les choses se sont calmées. Les commerces sont ouverts, les voitures sillonnent les rues et les couvre-feux sont moins contraignants. Le conflit qui semble s’éterniser a déjà fait dire à plusieurs analystes que plus le temps passe, plus les golpistas auront des chances de gagner leur pari.

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas s’attendre à d’autres surprises dans ce conflit qui perdure et dans lequel les parties d’un côté comme de l’autre campent sur leurs positions, d’autant plus que Washington se montre de moins en moins clémente envers le gouvernement Micheletti. «  Cette année, nous célébrons les 30 ans depuis notre propre insurrection contre un pouvoir qui n’était pas légitime », conclut Marvin en référence à la dictature des Somoza au Nicaragua chassée par les Sandinistes. « Nous sommes prêts à une insurrection similaire pour nos frères Honduriens s’ils nous le demandent. Nous allons accompagner le président Zelaya. Si le peuple se lève, nous allons nous lever avec lui. »

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