FTQ et Fonds de solidarité

No 31 - oct. / nov. 2009

Syndicalisme

FTQ et Fonds de solidarité

L’heure des bilans

André Frappier

Quelques semaines à peine après le scandale de son voyage en bateau avec l’homme d’affaires Tony Acurso, personnage qui, rappelons-le, a bénéficié d’importants investissements du Fonds de solidarité, le président de la FTQ Michel Arsenault a refait les manchettes en annonçant le soutien financier du FSTQ à Pierre Karl Péladeau en tant que partenaire pour l’achat du Canadien de Montréal, au moment où les syndiqués de la CSN sont en lock-out. On ne parle pas ici de sauver des emplois, mais d’investir pour augmenter le rendement aux actionnaires.

Cette décision est scandaleuse d’un point de vue syndical, et il est important de se pencher sur les motifs qui ont pu mener la direction de la FTQ sur cette voie. Il faut également analyser l’impact et le poids du Fonds de solidarité dans l’histoire politique de la FTQ.

Naissance du Fonds

Le Fonds de Solidarité est né en 1983. Durant l’année précédente, le taux de chômage atteignait 14 %. Près d’un demi-million de personnes étaient inscrites à l’assurance-chômage à certains moments et les taux d’intérêts grimpaient à 21 %. Le gouvernement du Parti québécois avait convoqué en avril 1982 un Sommet socioéconomique à Québec où il lançait un appel à la solidarité pour résorber un trou financier de 700 millions $, jetant ainsi les bases d’une des plus importantes attaques contre le mouvement ouvrier québécois en imposant des coupes salariales de 20 % dans le secteur public au début de l’année 1983. Au moment du sommet, Louis Laberge avait déclaré : « Nous sommes bien conscients que les problèmes sont sérieux. Nous sommes donc prêts à faire notre part, en autant que tout le monde fasse sa part [1]. » La FTQ comptait environ deux tiers de ses membres dans le secteur privé, là où les fermetures, licenciements et coupes de salaires frappaient durement. Mais en faisant une telle déclaration, dans le contexte des coupes annoncées, il validait la pensée de René Lévesque : « À cause de la crise, les syndicats du secteur privé font des concessions », constatait-il. « Pourquoi pas ceux du secteur public, avec leurs « emplois à vie » ?

Peu de temps après, en août 1982, Laberge rencontrait Lévesque pour lui indiquer que la FTQ était prête à examiner tout projet qui permettrait que l’argent des coupes de salaires (du secteur public) soit réinvesti dans des initiatives de création d’emploi. Il reprenait ainsi l’idée qu’il avait lancée au sommet de Québec d’un fonds pour l’emploi.

L’opposition au Fonds

Plusieurs militantes se sont opposés à la création du Fonds de solidarité, y voyant un instrument de concertation. Jean-Marc Piotte écrivait à l’époque : « L’idée du Fonds de solidarité est lancée avec le projet Corvée-Habitation par M. Laberge lors du sommet économique de Québec en avril 1982. La FTQ qui, à la concertation intercentrale, préfère la collaboration avec le PQ, juge globalement positive sa participation aux divers sommets, même si des législations favorisant l’accès à la syndicalisation et civilisant les fermetures d’usines n’ont jamais été adoptées par le gouvernement Lévesque [2]. »

L’économiste et militant syndical Louis Gill, quant à lui, exprimait son opposition en mettant en perspective la création du FSTQ au congrès de décembre 1983 par rapport à la position proposée par la direction de la centrale concernant la réduction du temps de travail à ce même congrès.

Celle-ci refusait de proposer la réduction du temps de travail sans réduction de salaire, et ce, même si les 400 déléguées et délégués participant au colloque : « Du travail pour tous, du temps pour vivre » tenu au mois de mai de la même année avaient adopté massivement cette position et rejeté le travail partagé. Mario Fontaine du journal La Presse, le 9 mai 1983, rapportait ainsi la décision des participantes au colloque : « On doit se serrer les coudes, pas la ceinture de dire un intervenant. Les congressistes ont voulu éviter toute ambiguïté en rejetant la proposition du comité-synthèse : d’accord pour une diminution du temps de travail, mais pas question de toucher aux revenus des travailleurs, déjà altérés par la crise. On craint que les employeurs veulent profiter d’une ouverture trop large pour gruger dans les droits acquis, accroître les cadences et l’introduction des changements technologiques, et que la réduction du temps de travail ne permette en fin de compte que la création d’emplois précaires incompatibles avec l’objectif de sécurité d’emploi. »

Néanmoins, la direction de la FTQ évacuait cette position lors du congrès et, ce faisant, éliminait un outil majeur pour organiser la riposte et unifier le mouvement ouvrier contre la crise.

Louis Gill tirait la conclusion suivante : « ... elle (la direction de la FTQ) a soutenu une résolution laissant aux syndicats locaux le choix de déterminer eux-mêmes s’ils doivent “en tenant compte de leur rapport de force et de la situation de l’entreprise” tenter ou non de négocier une diminution de travail sans réduction de salaire. Cette position qui laisse la porte ouverte aux réductions du temps de travail avec réduction de salaire, par exemple dans les cas où on invoquerait la situation de l’entreprise pour la justifier, est une position tout à fait compréhensible si on l’envisage dans la logique du profit, de la “viabilité économique”, qui est notamment le critère de base du fonctionnement du Fonds de solidarité dont la finalité est de fructifier [3]. »

Le Fonds de solidarité n’a pas été en soi un déclencheur de la concertation, il en a été la continuité sous une forme plus avancée. Mais à l’époque, sa création a marqué un tournant dans les orientations syndicales, ce qui explique la résistance de plusieurs syndicats à y adhérer, dont la section locale de Montréal du Syndicat des Postiers (STTP actuel) et plusieurs sections locales du SCFP. Résistance marquée lors du congrès par Francine Leblanc des TUAC ; prenant le micro, elle a entonné cette célèbre chanson adaptée de Boris Vian : « Monsieur le président, contre je voterai. »

Les éditorialistes, quant à eux, ont bien accueilli cette décision. Frédéric Wagnière qualifiait ainsi la position de la FTQ : « La Fédération des travailleurs du Québec a compris que la confrontation n’est pas le moyen de résoudre le problème du chômage. En décembre dernier, elle a refusé de “s’encarcaner” en liant les réductions de temps de travail au maintien de la pleine compensation. Par ailleurs elle a créé le Fonds de solidarité dont un des buts est de créer des emplois. La FTQ avance, toutefois, avec grande prudence dans cette voie de peur d’être accusée de rechercher la concertation à tout prix avec les employeurs et les gouvernements [4]

Le ministre de l’industrie et du commerce du gouvernement péquiste, Rodrigue Biron, avait une idée bien précise quant à l’utilité du FSTQ : « ... l’idée maîtresse n’est pas tant cet investissement global, important certes mais pas tellement dans le cadre d’une stratégie globale d’investissement industrielle, que sa contrepartie : faire participer les travailleurs à la gestion... ce qui supposera une transformation des stratégies syndicales [5]. »

Aujourd’hui, alors qu’un nouveau cycle de la crise économique frappe encore une fois les travailleurs et travailleuses, la nécessité d’un bilan politique de fond sur les conséquences de la concertation et du partenariat se pose avec urgence. Pour faire face aux diktats du FMI, de la Banque mondiale et des accords commerciaux internationaux, ce dont nous avons besoin, c’est d’une mobilisation unitaire afin d’empêcher le démantèlement des services publics et l’augmentation des pouvoirs de l’industrie privée.


[1Solidarité inc., Louis Fournier, Éditions Québec/ Amériques 1991.

[2Le Devoir. 1er décembre 1983.

[3La Presse, 28 mars 1984.

[4La Presse. 3 mai 1984.

[5La Presse, avril 1983.

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