Dossier : L’indépendance - Laquelle

L’indépendance - Laquelle ? Pour qui ?

Indépendance nationale et souveraineté populaire

Ricardo Peñafiel

De défaite en défaite jusqu’à la victoire finale… Tel semble être le leitmotiv lancinant de la nation québécoise. Jamais au pouvoir, toujours en résistance : tous les soulèvements et projets d’indépendance de ce peuple semblent voués à l’échec. Et pourtant, ils ne sont tels qu’en fonction d’une idée précise de la prise du pouvoir ou de l’accession à un État-nation. Par rapport à la création puis à la perpétuation d’un sentiment national et d’une souveraineté populaire, tous ces « échecs » sont autant de jalons à partir desquels nous pouvons encore nous projeter vers un avenir où le « peuple » québécois décidera de son devenir de manière autonome.

Depuis le soulèvement des Patriotes jusqu’au référendum de 1995, en passant par le Refus global, la Révolution tranquille, le RIN, le FLQ et la fondation du PQ, le peuple québécois a cherché par divers moyens à conquérir son indépendance vis-à-vis du joug britannique, puis canadien. Aujourd’hui, « on » semble estimer que les termes de colonisation, d’impérialisme ou de domination s’appliqueraient mal pour décrire la situation du Québec au sein du Canada. La souveraineté du Québec ne serait plus qu’une question de points d’impôts, d’efficacité (par rapport aux dédoublements gouvernementaux) ou alors de velléités de nostalgiques « nationaleux ». En apparence, il n’existe aucun projet national cohérent en fonction duquel la nation québécoise pourrait se reconnaître et se battre de manière unitaire pour son avènement.

On pourrait même dire qu’il en a toujours été ainsi. Autrement, comment expliquer cette litanie de défaites du projet d’indépendance, accompagnée paradoxalement d’une constante progression des libertés collectives et individuelles au sein même de l’Empire britannique ou de la Fédération canadienne ? L’étreinte semble être assez relâchée pour pouvoir leur arracher des concessions et assez douce pour nous faire accepter de ne jamais être maîtres chez nous en échange du confort et de l’indifférence. Pourtant, ces concessions n’ont jamais été gratuites ou attribuées de gaieté de cœur. Elles ont toujours été le fruit de luttes acharnées qui ont rendu possible l’impossible, qui ont montré le caractère inacceptable de ce qui se présentait comme inéluctable (voire même souhaitable) et qui ont permis de nouvelles formes d’organisation sociale au sein desquelles se sont affirmés le sentiment national, la communauté politique québécoise et la matérialité d’un peuple, constructeur de son histoire.

S’il existe aujourd’hui une communauté sociale et politique « québécoise », ce n’est pas parce qu’une telle communauté a été prévue et souhaitée par l’Empire britannique, pas plus que par le fédéralisme canadien (qui n’a eu de cesse de nier le caractère distinct de la nation québécoise), voire même par le nationalisme catholique (du duplessisme, par exemple) ou par le nationalisme fédéraliste. La nation québécoise s’est forgée dans ses luttes historiques et quotidiennes qui ont d’abord permis de préserver la langue, la religion et l’organisation sociale (jusqu’au code civil) des « Canadiens » (français) ; elle s’est ensuite affirmée dans la remise en question de ces mêmes institutions qui avaient préservé l’identité canadienne-française en la pétrifiant, cependant, dans des institutions plus oppressantes encore que le libéralisme anglo-saxon ; elle s’est encore élevée d’un cran dans des luttes sociales et politiques, qui visent moins l’accession à un État-nation québécois que l’affirmation des critères d’une société juste, égalitaire, solidaire et souveraine.

Pour sortir de l’étatisme Inc.

Autant l’église catholique a permis la préservation de la société canadienne française en l’enfermant dans un oppressant carcan, autant le quasi monopole exercé par le PQ sur le projet national et l’obsession engendrée par l’horizon d’un éventuel État-nation (paradoxalement intégré à l’internationale capitaliste que l’on appelle mondialisation) sont aujourd’hui des freins à l’élaboration d’un projet de souveraineté populaire au sein duquel le peuple québécois exercerait lui-même le contrôle sur son devenir.

Toutefois, en parlant d’un « projet » de souveraineté populaire, je ne propose pas de rêver mais de voir, les yeux et la conscience grands ouverts. De constater que cette souveraineté s’est exercée et s’exerce encore dans toute une série de luttes et de prises de position collectives débordant largement le cadre d’une souveraineté étatique.

Le peuple sera en lutte ou ne sera pas !

Pour que le peuple soit souverain, il doit d’abord se constituer en peuple. Aucun peuple n’existe par décret (pas plus qu’il ne préexiste dans les gènes ou l’Esprit national). Le peuple n’est pas non plus une réalité sociologique objectivement identifiable ou attribuable une fois pour toutes à un territoire. Le peuple est une entité politique qui se constitue elle-même en exerçant sa souveraineté. C’est ainsi que la révolte des patriotes se présente comme une manifestation patente de l’autoconstitution, dans et par la lutte, du peuple québécois (ou, pour reprendre les termes de l’époque, des « Canadiens »). De la même manière, le refus de la conscription (1917-1918) [1] dévoile non seulement l’abîme séparant les « Canadiens-français » du gouvernement fédéral, mais montre surtout la capacité d’une collectivité à s’opposer, à « faire sécession [2] » de l’ensemble qui prétend la gouverner.

Mais on peut dire la même chose des luttes pour la reconnaissance du droit de grève (Asbestos, 1949, Louiseville, 1952 ou Murdochville, 1957, par exemple [3]), de l’organisation communautaire autour des Cliniques populaires et des Bureaux d’aide juridique, de la défense du droit au logement, des coopératives de production, de consommation ou de logement, etc. Et il en va de même pour les grèves syndicales ou étudiantes, les manifestations écologiques ou pacifistes, féministes, antimondialistes, ou encore les luttes pour l’acquisition ou la préservation d’un droit (voire même d’un service). Dans tous les cas, il s’agit d’une communauté de pensée qui se reconnaît elle-même comme souveraine et pose une frontière antagonique [4] par rapport à un autre groupe prétendant la dominer.

La souveraineté des peuples et du peuple

La souveraineté populaire s’exerce immédiatement, aussitôt qu’un « peuple » se constitue autour d’une lutte pour et par son autonomie. En ce sens, l’existence d’un peuple québécois n’exclut en rien celle d’un nombre infini de « peuples » existant parallèlement au sein du même territoire québécois ou ailleurs, avec lesquels la solidarité est d’autant plus naturelle que ce qui les constitue tous est une opposition commune à la domination, qu’elle soit impérialiste, capitaliste, patriarcale, nationale, religieuse, idéologique ou autre. Les luttes autochtones (comme celle des Cris contre Hydro-Québec, celle des Innus contre les vols à basse altitude au Nitassinan ou celle des Algonquins pour l’autonomie linguistique, culturelle, scolaire, politique et économique) viennent donc enrichir l’expérience de la souveraineté populaire du Québec ; tout comme les manifestations culturelless ou politiques des groupes de diverses origines ethniques qui peuplent notre territoire.

Toutefois, ces derniers cas de souveraineté populaire ne sont pas nécessairement « québécois ». C’est-à-dire que le symbole regroupant un ensemble de luttes partielles derrière une bannière populaire plus large n’est pas nécessairement celui de l’identité québécoise. Au contraire, dans plusieurs cas, ces luttes peuvent se faire en opposition au gouvernement québécois ou se buter au mépris d’une population souffrant de « xénophobisme rampant [5] ».

Par contre, si le projet d’indépendance du Québec s’éloignait des objectifs mesquinement nationalistes (ethniques), étatistes (centralisateurs) et capitalistes (Québec Inc.) – qui l’ont trop souvent caractérisé – pour renouer avec les idéaux et les pratiques de liberté, d’autonomie et de souveraineté populaire – qu’il a également portés en son sein –, il serait possible d’unifier l’ensemble des luttes populaires derrière un projet de société commun où la souveraineté serait exercée directement au niveau des populations concernées. L’indépendance du Québec serait alors celle des groupes communautaires, des Autochtones, des travailleurs, des paysans, des femmes, des étudiantes, et des citoyennes en général qui se donneraient les espaces d’application de leur propre souveraineté, fédérés sur le plan national, régional ou local en fonction de leurs désirs, volontés et intérêts transversaux.


[1Voir Jean-François Delisle, « Mémoire des luttes, Petite intifada d’un soir, La conscription de 1917-1918 », AB !, no. 26, oct-nov. 2008.

[2Voir Ricardo Peñafiel, Recension du livre de Martin Breaugh, « L’expérience plébéienne. Une histoire discontinue de la liberté politique », AB !, no. 24, avril-mai 2008.

[3Voir Christian Brouillard, « Mouvement syndical et changement social au Québec, Quelle voie politique ? », AB !, no. 5, été 2004

[4Voir Ricardo Peñafiel, Recension du livre d’Ernesto Laclau, « La Raison populiste », AB !, no. 30, été 2009.

[5Voir Dalie Giroux, « En guise de post-mortem à l’Affaire Hérouxville, La situation psychopolitique du Québec », AB !, no. 27, déc. 2008 / jan. 2009.

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