Dossier : Sexe, école et porno

Une petite vite

par Nesrine Bessaïh

Nesrine Bessaïh, Charlotte Lambert

Le sexe fait vendre. Mais que s’agit-il de vendre au juste ? Des produits de beauté, des chirurgies esthétiques, des régimes minceur ? De jeunes femmes et de jeunes hommes, retouchés par une multitude d’opérations chirurgicales et infographiques, sont proposés comme des standards de beauté, et ce, même quand il n’y a aucun produit à vendre. Du moins pas directement.

Ce culte de la jeunesse et de la perfection repose sur la conviction que le corps est une machine malléable si l’on y accorde la volonté et l’argent nécessaires. Cette compréhension mécanique du corps se révèle également dans la façon dont sont traités par la médecine les problèmes liés à la sexualité. Simples dysfonctions érectiles, lubrificatrices ou orgasmiques, les problèmes sexuels sont traités à coup de gélules, de crèmes et d’hormones. On est loin d’une approche qui comprend l’individu comme un être complexe et qui aborde la sexualité de façon globale en y intégrant le corporel, l’intellect et l’affect [1].

Quand on fait parader ces corps plastiques, on présente rarement les ratés des implants, des injections et des transformations extrêmes ou les problèmes de santé liés à l’anorexie et à la boulimie [2]. On parle peu des effets secondaires des stéroïdes ou des douleurs provoquées par la compression des organes par des vêtements trop petits. En fait, ces aspects sont traités ici et là quand le sensationnalisme lui-même est l’objet de l’émission, et cela ne se fait jamais pendant la présentation des Oscars ou l’élection de Miss Monde.

Mais revenons-en à ces prototypes de beauté réusinée et à la sexualité hypertrophiée. Ces jeunes hommes et ces jeunes femmes sont tour à tour présentés comme des consommateurs ou comme des objets de consommation. Il s’agit donc non seulement d’inciter les masses à consommer pour correspondre à des critères de beauté irréalistes, mais plus encore, il s’agit de devenir nous-mêmes des objets de consommation.

Cette réduction de la sexualité à un rapport de consommation marque les relations entre les humains mais aussi la relation de l’individu à lui-même. En effet, l’impossibilité de répondre aux standards de beauté associée à l’obligation de répondre à des comportements prescrits diminue l’estime de soi et augmente la vulnérabilité aux pressions sociales et médiatiques pour répondre à ces mêmes standards. Un cercle vicieux qui pousse les individus à la consommation mais qui les incite aussi à renoncer à devenir des agents de leur propre sexualité. Et au-delà de la sexualité, quelles sont les retombées dans d’autres domaines de nos vies du fait de renoncer à être des acteurs pensants et doués de volonté propre ?

Extimité extrême

La banalisation de la pornographie et l’introduction dans notre univers visuel et notre imaginaire collectif de repères qui lui sont propres sont souvent regroupés sous les vocables « hypersexualité » ou « hypersexualisation ».

Serge Tisseron, psychanalyste et psychiatre, propose un néologisme qui serait plus approprié et plus inclusif pour dépeindre un ensemble de comportements d’exposition de l’intimité propres aux cultures occidentales : l’extimité.

Mariette Julien, professeure de mode à l’UQAM, reprend ce terme et trace un parallèle entre la mode des vêtements sexy et la téléréalité. Les deux phénomènes auraient en commun l’exposition de l’intimité et le rejet de la pudeur. Elle souligne au passage le chandail-bedaine comme l’expression symbolique du nombrilisme de notre société qui se traduit par l’obsession de l’apparence, du confort et des besoins individuels. Les vêtements courts, moulants et transparents de même que les vêtements qui usent de différentes textures pour mettre en évidence le corps tiennent de la même volonté d’exhiber son intimité. Les émissions du type « loft-story » ou « dating-show » viennent satisfaire la soif des téléspectateurs de pénétrer l’intimité d’autrui. Dans le quotidien, il est de mise de mettre sur la table ses expériences sexuelles des plus traditionnelles aux plus folles et, surtout, de ne manquer aucune occasion de faire valoir que l’on est sexuellement actif.

Mariette Julien inscrit dans la même lignée d’exposition du corps et du vécu l’usage occidental du tatouage et du piercing. Si, dans certaines cultures, ces pratiques de modifications corporelles découlent de rituels communs et renferment la même signification pour l’ensemble de la société, il en va tout autrement pour la nôtre. En s’échappant des sous-cultures punk et homosexuelle qui les ont mises à l’avant scène, ces pratiques corporelles se sont individualisées. Aujourd’hui, le fait de marquer son corps est un choix personnel dans lequel un individu souligne les évènements importants de son existence. L’exposition de ces symboles les transforme en autant d’occasions de verbaliser son vécu et de se raconter à d’autres.

Réseau québécois d’action pour la santé des femmes


[1Voir aussi « La médicalisation de la sexualité » dans AB ! n° 15 (été 2006).

[2Depuis 2004, le Réseau québécois d’action pour la santé des femmes mène une campagne de sensibilisation sur l’image corporelle. Il répertorie également les problèmes de santé reliés à des opérations chirurgicales ratées. www.rqasf.qc.ca

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