Une initiative d’éducation sexuelle de l’organisme À deux mains

Dossier : Sexe, école et porno

Le Projet Sens

Une initiative d’éducation sexuelle de l’organisme À deux mains

Christina Foisy

« Si l’éducation sexuelle n’est pas une priorité pour le gouvernement, nous en ferons la notre ! »

Depuis 1971, À deux mains [Head and Hands en anglais] se préoccupe de la santé et du bien être des jeunes. Issu du mouvement des cliniques gratuites, À deux mains était initialement conçu et contrôlé par des jeunes. Son but premier était de présenter une approche globale et holistique afin de répondre aux nouveaux besoins émergents du mouvement contre-culturel de l’époque. Depuis, l’organisme a élargi son champ d’action et offre une variété de services, surtout dans l’ouest de l’île de Montréal. Les services cliniques gratuits et anonymes se combinent au travail des intervenants de rue et aux ateliers dans les écoles pour offrir aux jeunes une alternative concrète et sans jugement. Mais dans le contexte de la réforme scolaire, un niveau plus important d’implication devait être mis en place.

L’organisme À deux mains a décidé de placer l’éducation sexuelle dans les écoles au premier plan de ses priorités. Depuis 2005, en réponse à la réforme de l’éducation au Québec et en partenariat avec des membres de la communauté, « À deux mains » a mis sur pied le Projet Sens : un projet qui promeut une perspective globale en éducation sexuelle et qui encourage les jeunes à reprendre le pouvoir sur leur vie et sur leur corps.

Le Projet Sens est un projet pilote d’éducation sexuelle communautaire réalisé pour le moment dans des écoles secondaires de la région de Montréal. Le but du projet est de soutenir les jeunes de 14 à 17 ans dans leur développement en leur fournissant de l’information et en nourrissant leur maturité affective afin qu’ils puissent faire des choix éclairés dans leur sexualité. À travers des ateliers et de l’éducation par les paires, nous aidons les participantes au projet à acquérir l’information, la motivation et les compétences nécessaires pour réduire leurs risques de contracter des infections transmises sexuellement (ITS) et le virus d’immunodéficience humaine (VIH).

Parce qu’il prend son assise dans la réalité des jeunes, qu’il part de leurs préoccupations et qu’il leur offre un espace d’expression et d’échange, le Projet Sens se démarque d’autres approches en éducation sexuelle. Plutôt que de reproduire les discours traditionnels basés sur la peur, la victimisation et la maladie, le Projet Sens propose des ateliers qui encouragent les étudiantes à développer leur esprit critique sur le sexe, la sexualité et la santé. Tous les ateliers se fondent sur les besoins des jeunes et comportent une dimension interactive qui inclut des jeux de rôles, de l’expression artistique et des discussions sur la santé sexuelle.

À la suite d’une série d’ateliers Sens, s’ouvre une phase d’éducation par les pairEs qui permet aux participantEs de différentes écoles de devenir des ressources en santé sexuelle pour leurs camarades de classe. Ces « jeunes personnes ressources » reçoivent une formation de 30 heures durant laquelle on leur fournit des connaissances pour prévenir et déconstruire les mythes sur le VIH/SIDA, des outils pour utiliser les arts et les médias dans leurs projets de sensibilisation et des savoir-faire pour l’organisation d’évènements. L’objectif est de permettre aux jeunes d’adopter une approche citoyenne à la promotion de la santé et à l’éducation sexuelle à travers des formules qui soient significatives pour eux/elles et pour leur école.

À deux mains encourage une approche favorable à l’élargissement de la définition d’éducation sexuelle par l’inclusion d’aspects sociaux comme l’identité sexuelle, la diversité culturelle et les relations interpersonnelles. Cependant, nous restons incertaines de la façon dont la réforme scolaire réussirait à informer les adolescentes sur la santé sexuelle, la prévention et les comportements sexuels sains et sécuritaires. En observant les taux de grossesse adolescentes et d’ITS chez les jeunes, on ne peut que conclure que l’éducation sexuelle ne fait pas partie des impératifs académiques. « Les cas les plus alarmants sont ceux où des individus avec des infections à un stade avancé restent inconscients de la gravité de leur situation », affirme le Dr. Wainberg de la faculté de médecine de McGill. « Cela remet en question de nombreux aspects de ce que nous faisons à la fois en milieu scolaire et en terme de prévention. » En réponse à cette problématique, le Projet Sens remet en question la façon dont l’éducation sexuelle a été conçue par le passé et ré-imagine de façon créative les outils pédagogiques en éducation sexuelle afin de promouvoir des comportements positifs chez les jeunes.

Dans le cadre de son travail clinique, À deux mains rencontre de nombreux cas d’infections transmises sexuellement. L’organisme constate que l’absence de cours d’éducation sexuelle pour un nombre grandissant de jeunes se traduit par une augmentation constante du nombre d’ITS. D’après l’Association canadienne pour la santé des adolescents, les jeunes canadiens ne connaissent pas les conséquences des ITS. Par exemple, « seulement 20 % d’entre eux mentionnent le cancer comme conséquence du virus de papillome humain (VPH) et seulement 37 % mentionne l’infertilité comme conséquence de la chlamydia [1] ». Selon une étude de santé publique réalisée à Montréal, «  le nombre de cas de chlamydia a augmenté de 75 % entre 1996 et 2001. [2] » Statistique Canada indique que l’incidence d’ITS chez les jeunes entre 15 et 19 ans a presque doublé dans les dernières années – la moitié des cas de gonorrhée au Canada se retrouvent chez des jeunes entre 15 et 24 ans. De plus, bien que les cas de grossesse adolescente aient diminué, le taux demeure à 40 ‰ [3]. Il est inacceptable qu’un pays, qui dispose des moyens dont dispose le Canada, démontre des taux aussi élevés d’ITS et de grossesse adolescente.

Bien que de nombreux facteurs entrent en jeu dans les taux d’ITS chez les jeunes (comme la violence sexuelle ou l’usage de drogue et d’alcool) l’éducation reste la première étape pour la promotion de la santé sexuelle. À travers des formes d’éducation populaire qui mettent en évidence les réseaux de hiérarchies de savoir et de pouvoir, les jeunes sont capables de reconnaître des systèmes d’iniquité et d’injustice. Ils apprennent également à remettre en question leur propre rôle dans la reproduction de comportements d’oppression et dans la perpétuation d’idéologies inégalitaires. Ils développent un esprit critique leur permettant de déconstruire les mythes qui sont à la source de comportements sexuels non sécuritaires.
En définitive, nous voulons que les jeunes soient des sujets de leur propre sexualité et non des victimes. Des personnes qui se conçoivent comme les sujets de leur sexualité considèrent que leur corps leur appartient, mettent de l’avant leurs besoins et négocient leurs demandes. De tels adolescents ont assez d’estime d’eux-mêmes et de mécanismes de soutien qu’ils sont capables de maintenir leur capacité à être des agents de leur propre vie dans de multiples contextes.

Le site de l’organisme À deux mains


[1Sexual Behaviours and Attitudes : Canadian Teenagers and Mothers, Canadian Association for Adolescent Health (2006).

[2Pascal Leclerc et Carole Morissette, Situation épidémiologique des infections transmissibles sexuellement par le sang (ITSS) pour la région de Montréal, Agence de la Santé et des services sociaux de Montréal : Santé Publique. Février 2006.

[3Statistique Canada, 2004.

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