Dossier : L’assaut contre les (…)

Les régimes de retraite au Québec

Ce qu’il faut savoir

Dossier : L’assaut contre les retraites

Les études actuarielles confirment que les régimes publics sont viables à long terme et en bonne situation financière, autant les programmes fédéraux (Sécurité de la vieillesse et Supplément de revenu garanti) que le Régime des rentes du Québec. Ainsi, nos régimes publics assurent une couverture universelle, sont en bonne situation financière, mais ils restent insuffisants.

L’espérance de vie d’une femme qui atteint 65 ans est de 23 ans, et de 22 ans s’il s’agit d’un homme. Pendant cette période, une personne retraitée qui veut maintenir le même niveau de vie qu’avant sa retraite a besoin de revenus équivalant à 70-75 % de ce qu’était son salaire.

Or, les régimes publics sont très loin de cet objectif. Pour une personne qui atteint l’âge de la retraite sans avoir jamais travaillé, les régimes publics offrent un revenu annuel de 15 581 $, tandis que pour les personnes qui auraient travaillé toute leur vie en cotisant le maximum au Régime des rentes du Québec (RRQ), le revenu s’élève à 21 205 $ – à peine 5 600 $ de plus ! Pour une travailleuse ou un travailleur gagnant le salaire industriel moyen, la somme ne représente que 40 % de son salaire avant la retraite. Dans tous les cas, les régimes publics ne versent même pas assez de revenus pour se hisser au-dessus du seuil de pauvreté.

La nécessité des régimes complémentaires de retraite

Le constat est clair : il n’est pas possible d’espérer maintenir son niveau de vie à la retraite sans l’apport de revenus autres que les régimes publics. Le tableau suivant permet de voir combien d’argent il faut selon le niveau de revenu avant la retraite.

Plus le salaire avant la retraite augmente, plus le montant d’épargne requis augmente rapidement. Or, seulement quatre travailleurs ou travailleuses sur dix ont accès à un régime complémentaire de retraite. Et la Régie des rentes du Québec estime que seulement 27 % des travailleurs et travailleuses ont un « potentiel élevé d’atteinte d’un niveau adéquat de remplacement du revenu à la retraite », tandis que 38 % n’ont strictement rien et un autre 17 % a un « faible potentiel » d’y arriver. Un système de retraite qui ne fonctionne pas pour la majorité des travailleurs et travailleuses est un système qui ne fonctionne pas, point.

Les régimes à prestations déterminées et leur « crise » de financement

L’insuffisance des revenus publics a amené historiquement le mouvement syndical à négocier des régimes complémentaires de retraite à prestations déterminées. Les régimes à prestations déterminées assurent une sécurité du revenu à la retraite dans la mesure où (a) le montant de la rente, ou la formule pour la calculer, est connu, (b) le régime garantit la rente jusqu’au décès et celle-ci ne peut pas être réduite, (c) l’employeur doit verser au moins 50 % de la cotisation régulière et (d) la cotisation doit augmenter si les actifs sont insuffisants pour payer les rentes promises. Bref, le régime de retraite soutient le risque alors que dans un REER, c’est le participant qui assume 100 % du risque de placement ou celui de vivre plus longtemps que son argent. Pourquoi le mouvement syndical a-t-il privilégié historiquement le régime à prestations déterminées ? Il y a trois raisons principales :

Il garantit votre rente de retraite jusqu’à la fin de vos jours, assurant ainsi une sécurité du revenu à la personne retraitée.

On en a plus pour notre argent ! Pour le même niveau de cotisation, il permet de verser un revenu nettement plus élevé à la retraite. Par exemple, une étude américaine récente concluait qu’un régime à prestations déterminées coûte 46 % de moins qu’un régime à cotisation déterminée ou un REER pour fournir le même revenu à la retraite !

Les risques associés au rendement et à l’espérance de vie sont assumés collectivement. Par exemple, il est très difficile pour un individu seul de planifier le montant des retraits qu’il peut faire dans son REER puisqu’il n’a aucune idée de l’âge auquel il va décéder, alors qu’il est assez facile pour un régime à prestations déterminées de 10 000 participantes et participants de prévoir l’âge moyen de décès de ses membres retraités.

Les régimes de retraite connaissent des déficits importants. Le diagnostic est connu : des régimes de plus en plus matures avec plus de retraité·e·s pour chaque cotisant, l’augmentation de l’espérance de vie, les mauvais rendements boursiers de 2001-2002 et surtout de 2008, ou encore les faibles taux d’intérêt qui font exploser le coût estimé de ce que les régimes doivent à leurs membres.

Pourtant, la caisse de retraite typique a réalisé un rendement cumulatif supérieur à ce à quoi s’attendait leur actuaire il y a 20 ans, même en tenant compte de la crise financière de 2008. Mais il y a une faille : ces régimes se financent avec une cotisation tout juste égale à la valeur des prestations qu’elles doivent financer, sans marge ni flexibilité des prestations. Lorsque les régimes étaient en surplus grâce aux rendements élevés obtenus dans les années de vaches grasses, les congés de cotisation ou des améliorations ont mangé les réserves. Cette gestion à courte vue a fait en sorte que ces régimes étaient vulnérables avant même la crise financière de 2008. La solution ? Se donner des réserves adéquates. Par exemple, les Régimes de retraite par financement salarial (RRFS) se sont donné des réserves élevées précisément pour absorber de tels chocs.

Des tendances lourdes dont les plus jeunes feront les frais

Les jeunes qui travaillent dans un milieu où il existe un régime de retraite sont confrontés à plusieurs changements qui vont avoir un impact important pour eux : réduction/élimination des subsides de retraite anticipée ou de l’indexation, hausse des cotisations, réduction des prestations pour service passé lorsque ce n’est pas illégal ou lorsque ce sera légal en raison des « restructurations » à venir, clauses de disparité de traitement où les « vieux » travailleurs conservent leur régime à prestations déterminées tandis que les nouveaux salariés doivent se contenter de régimes à cotisation déterminée beaucoup moins généreux (une situation probablement illégale en vertu de quatre lois, mais qui n’a jamais été testée devant les tribunaux compétents), voire la terminaison du régime.

De plus, la table est en train d’être mise pour mousser l’introduction prochaine de régimes à prestations cibles : ils ressemblent à première vue à un régime à prestations déterminées et permettent d’accumuler une rente à vie. Mais en cas d’insuffisance, les droits acquis ainsi que les chèques de retraite des participant·e·s sont réduits pour faire « disparaître » le déficit. Ce type de régime est déjà en place depuis quelques années chez certaines entreprises en difficulté du secteur du papier et de la forêt, mais on sait que l’intention actuelle est d’en élargir l’application partout et donc de vendre à la population et aux travailleurs et travailleuses en particulier ce nouvel « outil ».

Soulignons enfin qu’un certain nombre de changements sur le marché du travail fait en sorte que les jeunes sont plus désavantagés face à la retraite que les cohortes précédentes : montée du travail atypique, travail temporaire, travail autonome. On voit même certaines grandes firmes et les gouvernements chercher à remplacer leur main-d’œuvre permanente par des sous-traitants (Alcan, ministère des Transports). Tous ces changements impliquent des possibilités moindres ou nulles d’adhérer à un régime complémentaire de retraite pendant plusieurs années, ce qui réduit d’autant le taux de remplacement attendu à la retraite. Reste la possibilité d’épargner dans des REER /RVER, une approche inefficiente, risquée et coûteuse.

Conclusion

Les régimes publics reposent sur des bases financières saines et assurent un revenu minimum, mais ils sont insuffisants pour sortir de la pauvreté ou assurer le maintien du niveau de vie lors du passage à la retraite. Les modifications à la RRQ revendiquées par le Congrès du travail du Canada (CTC), la FTQ, les groupes de femmes et une coalition d’organismes amélioreraient significativement la couverture pour l’ensemble des travailleurs et des travailleuses et relèveraient immédiatement le niveau de vie des plus pauvres. De plus, elles réduiraient significativement le coût et le risque des régimes complémentaires tout en réduisant l’écart entre ceux qui ont un régime et ceux qui n’en ont pas, un enjeu à la fois social et politique.

Les régimes complémentaires à prestations déterminées sont confrontés à des problèmes réels de financement qui, si rien n’est fait, menacent leur pérennité. Il y a un risque élevé que la solution soit une réduction des prestations, mais surtout un transfert du risque vers les participant·e·s et retraité·e·s. Ce transfert de risque « réglerait » le problème du risque de financement de ces régimes pour les employeurs, mais le prix à payer serait que les prochaines cohortes de retraité·e·s soient plus pauvres et ne ouissent plus compter sur un revenu stable et garanti. Il existe une autre solution qui concilie sécurité des prestations et stabilité de la cotisation, comme l’expérience des RRFS l’illustre, de même que la piste de « fonds de stabilisation » préconisée par le Syndicat cana­dien de la fonction publique et d’autres syndicats municipaux.

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