Apprendre de ses erreurs

No 34 - avril / mai 2010

Chronique Éducation

Apprendre de ses erreurs

Normand Baillargeon

Le gâchis causé par la réforme de l’éducation devient chaque jour de plus en plus évident. Dans un ouvrage dirigé par mon collègue Marc Chevrier et dont la sortie est imminente, je signe un texte qui suggère de tirer 12 leçons de l’expérience de cette réforme, histoire de ne pas répéter les erreurs qui furent commises. Les voici.

Des leçons scientifiques et épistémologiques

L’exigence de plausibilité scientifique de ce qui est mis de l’ avant

Des résultats de recherche empirique qui ont de l’importance pour la pratique et qui ont été établis avec un fort degré de probabilité sont rares et difficiles à obtenir en éducation ; mais ils existent.

Or, en matière d’apprentissage, ces résultats contredisaient de manière marquée ce que les promoteurs de la réforme, qui semblaient les ignorer, mettaient de l’avant.

À l’avenir, toute proposition de réforme de l’éducation devra être démonstrativement fondée sur les meilleurs et les plus plausibles résultats de la recherche, tout particulièrement celle qui porte sur les méthodes pédagogiques et sur la psychologie cognitive. Ces travaux contiennent de précieux enseignements et on paiera collectivement un prix fort si on les ignore.

L’adoption d’un principe de « précaution pédagogique »

Cette très ambitieuse réforme a pu être lancée sans avoir au préalable été sérieusement testée et sans que des mécanismes d’évaluation rigoureux de ses effets aient été mis en place. Cela est inadmissible et signifie qu’on a pu se livrer, sur les cerveaux des enfants, à une expérience reposant sur des fondements douteux et dont les effets étaient, au mieux, incertains. Cela ne doit plus se reproduire.

Je propose donc l’adoption de ce que j’appelle un principe de précaution pédagogique en vertu duquel toute proposition de réforme devrait, dans l’éventualité où ses fondements sont crédibles et plausibles, avant d’être implantée à large échelle, être rigoureusement évaluée à petite échelle et cela par des tiers indépendants et compétents.

Des leçons de politique

Favoriser la transparence démocratique

Les simulacres d’évaluation de notre réforme ont été confiés à des personnes et/ou des institutions qui adhéraient à ses principes et avaient intérêt à ce que les résultats de ces évaluations soient positifs. Cela a été possible en raison de cette funeste fermeture sur lui-même du milieu de l’éducation.

Une telle fermeture ne doit plus être et le monde de l’éducation, s’il doit s’ouvrir aux expertises scientifiques, comme je l’ai suggéré plus haut, doit aussi apprendre la véritable transparence et le respect de la démocratie. Car c’est bien ce renfermement et ce manque d’ouverture qui expliquent que les résultats de la vaste consultation des États Généraux de l’éducation, menée au milieu des années 90 et qui avait abouti à un consensus quant au renforcement du curriculum, a pu être entièrement détournée et conduire à une réforme des méthodes pédagogiques.

La réaffirmation du statut de l’école

Outre les enfants provenant de milieux défavorisés ou ayant des difficultés à apprendre, la grande perdante de la réforme de l’éducation est probablement l’école publique elle-même, que désertent de plus en plus de parents qui sont capables de payer une école privée à leurs enfants. Le crédit de ce bien commun immensément précieux qu’est l’école publique est aujourd’hui au plus bas et il y aura fort à faire pour remonter cette pente.

Nous devons collectivement réaffirmer le statut de l’école comme institution publique à vocation perfectionniste réalisée par la transmission de connaissances. Trois exigences apparaissent alors d’emblée.

La première est que l’école soit sanctuarisée, avec obligation pour la société de s’adapter à elle et non l’inverse.

La deuxième, que l’école soit recentrée sur un modèle libéral d’éducation dans lequel les diverses « formes de savoir » par lesquelles l’humanité a exploré et continue d’explorer le monde sont parcourues par les élèves dans le but de construire progressivement leur autonomie et leur rationalité.

La troisième est que l’on admette et reconnaisse qu’entre les divers contenus qu’elle pourrait transmettre, seuls ceux qui relèvent de ce que l’humanité a fait et dit de mieux ont droit de cité dans l’école ; d’autant plus que l’école est le plus souvent la seule institution à pouvoir initier à de tels contenus, qui, pour bien des enfants, ne sont aisément accessibles qu’en ses murs — et c’est tout particulièrement le cas de ces enfants qui n’ont pas la chance d’avoir, à la maison, un accès direct à ces connaissances.

L’imputabilité des réformateurs

Je ne propose évidemment pas ici une chasse aux sorcières ; je sais parfaitement que l’on peut se tromper, surtout sur des questions de politique sociale dans un domaine aussi complexe que l’éducation ; et je ne doute pas non plus de la bonne foi de bien des partisans de la réforme.

Mais en bout de piste, il n’en demeure pas moins qu’on devrait, lorsque l’on prend des décisions aussi importantes, avoir sinon des comptes à rendre du moins des explications à fournir quand il s’avère que ces décisions n’étaient guère avisées. Je laisserai cependant volontiers à d’autres plus compétents que moi en ces matières le soin de dire comment cette imputabilité, qui est indispensable, pourra devenir possible et être sereinement conduite.

La liberté d’expression des dissidents

Toute contestation des principes mis de l’avant par la réforme n’a pu, depuis dix ans, se faire qu’à un prix personnel et professionnel parfois très lourd, au point où de nombreuses personnes ont longtemps préféré se taire plutôt que de faire connaître leurs doutes ou leurs désaccords.

L’acquiescement à ces principes, au contraire, était une garantie de progression professionnelle et d’accès à ce capital symbolique et parfois financier contrôlé par des décideurs ne supportant pas la dissidence.

Outre les nombreuses personnes qui ont enduré en silence ou encouru diverses punitions dans leur vie professionnelle, c’est bien entendu l’indispensable débat démocratique qui a souffert de ce très malsain état de fait et, partant, nos enfants eux-mêmes.

Il importe donc d’instaurer les conditions d’un véritable et sain dialogue, dans lequel les divers points de vue peuvent se faire entendre.

Des leçons idéologiques

La distinction entre progressisme politique et progressisme pédagogique

La réforme s’est voulue une proposition progressiste à la fois politiquement et pédagogiquement. Or il ne s’agit pas de la même chose et la confusion entre ces deux positions peut avoir de très profondes, dramatiques et paradoxales implications.

C’est ainsi que le progressisme en politique, qui est heurté violemment par les inégalités devant l’école et qui aspire à lutter contre elles en aidant les enfants en difficulté ou provenant de milieux défavorisés, est desservi par un progressisme pédagogique autoproclamé qui préconise des méthodes actives, douces, constructivistes et centrées sur l’élève, là où ces enfants, plus que les autres, ont pourtant besoin de méthodes d’instruction directe et d’un enseignement centré sur l’enseignant plutôt que sur l’élève. Le paradoxe est d’autant plus grand que ces dernières méthodes favorisent en outre les enfants qui ont déjà acquis, à la maison, hors de l’école, nombre des prérequis qui permettent d’y fonctionner efficacement.

La méfiance envers les slogans

Le monde de l’éducation est un lieu dans lequel fleurissent des slogans qui sont à la fois, et très étrangement, rassurants mais vides.

Des idées comme « l’élève construit son savoir », ou « construire sa conscience citoyenne à l’échelle planétaire », « développer sa créativité », en sont des exemples. La réforme en a fait connaître un grand nombre. Il suffit pourtant de se demander ce que cela peut bien signifier exactement pour constater que l’affirmation est soit banale, soit manifestement fausse, soit vide.

La disparition de ces slogans sera un bon indice que l’état de santé de l’éducation s’améliore.

Des leçons professionnelles

Le renforcement de la formation des maîtres

Je ne pense pas trahir de grand secret en rappelant que la formation offerte aux futurs maîtres n’est pas d’une très grande valeur intellectuelle.

Il importe donc de la rehausser, aussi bien sur les plans scientifique, philosophique et culturel que sur celui de la formation disciplinaire des maîtres du secondaire.

Le respect de l’autonomie des enseignantes et enseignants

La réforme a été perçue par nombre d’enseignants comme quelque chose qui s’est imposé à eux et qui limitait fortement leur autonomie professionnelle, en particulier sur les plans des méthodes d’enseignement et de l’évaluation des apprentissages. C’est là une autre des raisons de son échec.

Aucune réforme de l’éducation ne sera possible sans le concours des enseignants traités comme des professionnels dont on respecte l’autonomie et à qui on explique les changements souhaités, qui conviennent de leur désirabilité et à qui on laisse une large marge de manœuvre.

La modestie des ambitions

Le milieu de l’éducation, du moins hors des universités et du ministère, est un milieu globalement conservateur. Il l’est politiquement et on peut le déplorer. Mais il l’est aussi sur le plan pédagogique et il est en un sens rassurant qu’il en soit ainsi, comme je l’ai affirmé plus haut.

Il s’ensuit que des réformes en éducation qui ambitionnent d’apporter de trop profonds bouleversements n’ont que peu de chance d’être appuyées par la majorité des enseignantes et enseignants et qu’il faudra à l’avenir avoir des objectifs plus modestes et proposer des changements moins radicaux que ceux que la réforme prônait.

La proportionnalité des exigences et des moyens de les satisfaire

Il sera opportun, à l’avenir, d’avoir des ambitions à la mesure des moyens dont nous disposons.

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