Urgence en Palestine : le Canada n’est pas pressé

No 10 - été 2005

Éditorial No. 10

Urgence en Palestine : le Canada n’est pas pressé

Rachad Antonius, Le Collectif de la revue À bâbord !

Les mesures d’Israël pour étendre son contrôle sur les territoires palestiniens occupés prennent une ampleur sans précédent. Elles sont accompagnées d’actions politiques ciblées et coordonnées, au cœur de la diplomatie canadienne, pour les faire légitimer. Il faut réagir ! Pour cette dixième livraison de la À bâbord !, le Collectif de rédaction a demandé à Rachad Antonius, sociologue, mathématicien et militant de longue date de la solidarité internationale, d’écrire ce texte d’opinion, qui traduit bien l’exaspération que nous ressentons face au déni des droits des Palestiniens et Palestiniennes.

La situation en Palestine aujourd’hui est extrêmement dramatique. Elle nécessite, de la part de tous ceux et celles qui croient à une solution juste et pacifique du conflit, un effort supplémentaire pour faire pression sur le gouvernement canadien afin qu’il agisse au sein des instances internationales en conformité avec ses positions déclarées. N’espérons pas que le Canada prenne des positions qui conduisent à une solution juste du conflit : il n’en a pas la volonté. Qu’il s’en tienne au moins à sa politique déclarée, qui ne reconnaît pas le contrôle israélien sur les territoires occupés. Ses prises de position récentes bafouent sans vergogne ce principe. Cela saute aux yeux quand on examine ce qui se passe sur le terrain, et qu’on le met en rapport avec le comportement du gouvernement canadien et avec l’action des lobbys pro-occupation.

La stratégie coloniale du gouvernement israélien s’appuie sur deux axes : consolider son contrôle effectif sur les territoires qu’il souhaite annexer et, parallèlement, faire légitimer cette annexion par les instances internationales. La consolidation du contrôle sur les territoires occupés passe par le redéploiement des colonies, en abandonnant celles de Gaza, plus coûteuses à défendre en termes politiques, économiques et militaires, pour centrer la colonisation dans la Cisjordanie. La construction du Mur, qui pénètre profondément dans les territoires palestiniens occupés, vise à rendre irréversible l’annexion de nouvelles terres aux colonies existantes [1]. Pour la diplomatie israélienne, il s’agit donc de présenter cette réorganisation du contrôle colonial comme concession, baptisée « Plan de retrait de Gaza », et de présenter le Mur comme une mesure de sécurité. Or, les colonies de Gaza logent moins de 8 000 colons, alors que près de 400 000 colons se sont emparé de larges secteurs des territoires palestiniens occupés, avec l’aide active du gouvernement américain. Dans un échange de lettres au sujet de ce redéploiement, le président Bush a officiellement entériné l’annexion de larges portions de la Cisjordanie, allant ainsi directement à l’encontre du droit international. Présenter Sharon comme « l’homme de la paix » est donc une supercherie extraordinaire.

Ici au Canada, ce nouveau colonialisme est accompagné par un effort de relations publiques et de lobbying politique sans précédent, visant à faire entériner par le gouvernement de Paul Martin l’annexion des territoires. Regroupés dans un comité qui inclut les ministres Irwin Cotler et Joe Volpe, ainsi que les députées Raymonde Folco et Marlene Jennings un certain nombre de parlementaires travaillent très fort pour que le Canada : 1. cesse de critiquer Israël (quand ce dernier entreprend des actions violentes contre les civils palestiniens) ; 2. ne parle plus de territoires occupés, mais de territoires « contestés », une terminologie visant à légitimer l’annexion des territoires palestiniens ; et 3. vote aux Nations Unies dans un sens qui favorise l’annexion d’une partie importante de ces territoires, objectif qui n’est pas toujours formulé explicitement mais qui se déduit clairement des prises de position du comité [2].

Le plus grave est que certains de ces députés, très influents dans le gouvernement actuel et qui ont réussi à faire changer dans les faits la politique canadienne, prétendent être aussi pour le droit des Palestiniens : ils définissent les solutions qu’ils proposent, même si elles entérinent l’annexion de territoires palestiniens, comme des solutions justes, du moment que le mot « État palestinien » y figure… Ainsi, ils se donnent bonne conscience, tout en apportant leur appui à la dépossession des Palestiniens. L’abstention du Canada lors d’un vote demandant qu’Israël se conforme au jugement de la Cour Internationale de Justice appelant au démantèlement du mur de l’apartheid en dit long sur ce changement de politique.

Plus que jamais, il faut donc dénoncer ces politiques le plus vigoureusement possible.


[1Rappelons que ces colonies sont illégales en droit international, puisqu’elles violent l’article 49 de la IVe Convention de Genève de 1949.

[2Ces positions se retrouvent dans un document qu’on peut consulter sur le site web du ministre Cotler : http://www.irwincotler.parl.gc.ca/documents/middle_east_proposal_en.rtf

Thèmes de recherche Politique canadienne, Moyen-Orient
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