Fèves et fascisme

No 10 - été 2005

Réforme de la réglementation sur les semences

Fèves et fascisme

par Richard Rothschild

« Une réforme souhaitée par l’industrie met en péril l’agriculture traditionnelle » pouvait-on lire à la une du Devoir le 22 mars 2005. On y apprend qu’un Comité consultatif chargé de faire des recommandations en vue de modifier les réglementations gouvernementales actuelles en matière de semences propose des réformes majeures qui visent à assurer des résultats concrets. Lesquelles ?

1. Obliger les agriculteures à payer des redevances à l’industrie pour les semences dites certifiées (graines améliorées en laboratoire) même s’ils et elles n’utilisent que les graines non certifiées préservées de récolte en récolte.

2. Prendre des mesures « afin de contraindre les producteurs à utiliser uniquement des semences certifiées »... pour leur faire payer des redevances.

3. Interdire « la vente à des voisins (…) des semences conservées ». Il apparaît que le terme « voisins » ne se limite pas qu’aux petites paysannes d’à côté. Les États-Unis constituent un marché important pour des semences non certifiées bien qu’identifiées du nom d’une variété enregistrée.

On reconnaît là quelques tendances familières. L’industrie – en l’occurrence Monsanto, CropLife Canada, Bayer CropScience et tutti quanti – est capitaliste. En tant que capitaliste, il lui faut transformer l’argent (mise de fonds) en plus d’argent (recouvrement + bénéfices), d’où découlent les réformes 1 et 2. Lié au capital est le « marché » : les circuits de l’offre et de la demande. Les capitalistes s’affairent à y accroître leur avantage sur la concurrence. Quelle meilleure façon que de l’éliminer carrément, d’où les réformes 2 et 3 !

Pour que les deux partenaires, capital et marché, puissent mieux danser le tango, les Monsanto préconisent le remplacement du régime public actuel, fondé sur l’enregistrement des semences par un système privé basé sur la certification. La certification facilite l’extension de la mainmise de la propriété privée sur les semences, des plantes ou, ce qui revient au même, la mainmise de l’industrie sur l’agriculture. Propriété privée signifie refuser, contraindre, cacher et facturer. Voilà en une ligne le résumé de la deuxième partie du rapport du Comité consultatif.

Une prise de contrôle

Or, « marché », dans la théorie libérale, connote un espace séparé de l’État par une sorte de frontière étanche. L’État doit ainsi respecter la vie privée des particuliers et des entreprises qui y sont des acteurs et y exercent librement leurs droits. Toute ingérence étatique est prohibée. C’est l’économie de marché, du marché libre, le domaine privé du capital. Toutefois, nous venons de remarquer que les Monsanto invitent l’État à s’immiscer dans ce sacro-saint marché pour qu’il supprime le commerce en graines non certifiées à leur seul bénéfice. Cette revendication n’a rien à voir avec la santé, la sécurité, le bien-être général, bref, avec des préoccupations non marchandes. Il s’agit simplement de céder aux Monsanto le contrôle du marché agro-alimentaire. Adieu au marché dit libéral.

Afin de compléter le démantèlement de la « frontière libérale » et d’approcher, voire joindre, des politiques publiques aux intérêts privés de l’agro-industrie, le Comité recommande la mise sur pied d’un « organe consultatif permanent » composé d’éléments puissants du privé dont les objectifs comprendraient, entre autres : « susciter le consensus dans le secteur sur des questions de réglementation (…) et dispenser à l’État des avis complets à l’appui de [la déréglementation] » et « fournir au secteur [privé] et à l’État une structure pour travailler ensemble à la mise en œuvre des domaines où il faut obtenir des résultats majeurs… », telles les trois réformes déjà citées.

Une instance privée permanente, officiellement reconnue et légitimée, en « interaction au quotidien avec l’Agence canadienne de protection des aliments » et autres ministères et organismes fédéraux, voilà un vrai mariage entre le grand capital et l’État. Exit le modèle libéral, voici le modèle fasciste. Cela ne veut pas dire que le Canada est en voie de devenir fasciste. Toutefois, si un tel sort nous attend, les nouvelles autorités ne demanderont pas le divorce. Les capitalistes non plus.

Texte du rapport sur le site Seed Sector Review

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur