Réinventer la démocratie
Le municipalisme libertaire
Une entrevue avec Marcel Sévigny
L’exercice de la démocratie à Montréal, Marcel Sévigny en connaît les diverses facettes pour y avoir participé de multiples façons : comme intervenant communautaire, conseiller du RCM au pouvoir, conseiller indépendant puis acteur social incontournable du quartier Pointe St-Charles. Marcel Sévigny s’intéresse au municipalisme libertaire dont il en développe la stratégie au sein de D’abord Solidaires. À bâbord ! l’a rencontré pour discuter de démocratie participative.
ÀB ! Le concept de démocratie participative est à la mode, souvent galvaudé mais en même temps un enjeu électoral. Quelle en est votre définition ?
La démocratie participative doit former un tout avec la démocratie directe et non avec la démocratie représentative. Il doit exister un lien entre le pouvoir d’influence et de décision. Dans la démocratie représentative, il n’y a pas de pouvoir de décision. La démocratie participative est un instrument de décentralisation pour permettre la participation de tous. Les idées de tous peuvent circuler et sont prises en considération avec des réponses logiques émises par le pouvoir en place. Les gens ont donc l’impression que leur point de vue est considéré, et ça, de façon transparente.
ÀB ! Quelles sont les conditions pour que l’expérience d’un budget participatif pour Montréal ne soit pas un outil de récupération mais plutôt un véritable exercice de démocratie participative ?
Le budget participatif intègre plusieurs éléments correspondant à la démocratie participative. Toutefois, le fait que cette initiative soit venue d’en haut pose la question de la remise en question ou non de la structure de pouvoir. S’il y a vraiment une transformation du bas vers le haut, c’est bien. Il faut faire attention : le résultat peut être excellent mais le processus pas nécessairement.
Le budget participatif sort des modèles traditionnels, les gens discutent d’enjeux locaux et budgétaires. À Montréal, ça serait vraiment une avancée qui permettrait à tous de s’y intéresser, d’intervenir et d’aller plus loin par la suite. Ce n’est pas révolutionnaire mais important pour la démocratie locale.
Il faut créer des lieux de participation directe dans les quartiers et faire en sorte que ce soit les élus qui ratifient les décisions d’une assemblée populaire, et non le contraire. Bien sûr, l’administration municipale ne le souhaite pas, alors c’est aux citoyens de l’imposer. Il ne faut pas oublier que le pouvoir de parole n’est pas le pouvoir de décision et que la consultation n’est pas la participation.
ÀB ! Quels sont les principes du municipalisme libertaire ?
L’idée de base est que la reconstruction de la démocratie va se faire par la base, au niveau local. Un mouvement émergera de la mise en réseau de collectifs locaux autogérés, dont l’un des grands rôles sera l’éducation populaire. Nous voulons développer un projet politique avec des structures décentralisées et réseautées sous forme fédérative. Notre défi est de joindre aux visions partielles des visions globales en vue d’un véritable projet de société. Notre option est clairement anticapitaliste, ne s’accommode pas du système actuel et tente d’en sortir. Il n’y a pas de démocratie au niveau national si les bases locales sont faibles.
ÀB ! Comment faire le lien entre ces collectifs et le pouvoir, en vue d’exercer un réel changement ?
Il faut bâtir les institutions politiques de cette nouvelle politique. Par exemple, il faut constituer des assemblées publiques où l’on discute et où l’on vote. Il faut considérer par la suite que cette assemblée est légitime et proposer sa légitimité par rapport à la légitimité des pouvoirs en place. Pour cela, il est fondamental de créer d’abord un débat politique et un rapport de force.
ÀB ! Ce mouvement ne risque-t-il pas d’être ainsi confiné à une position de résistance ?
Non. Il faut développer un niveau de confiance tel que la place publique devienne politique et que la dimension politique des problèmes sociaux s’intègre naturellement dans la vie quotidienne. La place publique devient le lieu de conscientisation. Il s’agit de bâtir des expériences qui seront transférées dans d’autres régions en vue que cela devienne un mouvement. C’est ce qui s’est passé dans la bataille citoyenne pour la Clinique communautaire de Pointe St-Charles où les citoyens ont pris le contrôle, exigé un financement de l’État, ce qui a fait boule de neige vers la création des CLSC.
ÀB ! Un parti politique progressiste, ne peut-il pas contribuer à instaurer cette démocratie participative ?
C’est problématique. Certains partis politiques comme l’UFP se réfèrent aux mouvements sociaux mais ces derniers ne posent pas nécessairement tous les débats et évacuent souvent la réappropriation citoyenne, par exemple l’écologie, le travail. De plus, le pouvoir doit correspondre à ce que les gens veulent créer et non l’inverse.
ÀB ! Comment passer d’une démocratie représentative à une démocratie participative ?
En créant d’abord une démocratie locale et en la réseautant. L’organisation politique qui va en émerger va avoir un type d’organisation autre que celle que nous connaissons actuellement. Il faut une interaction entre les acteurs organisés sur le terrain social et ceux qui le sont sur le terrain politique, comme dans l’exemple de la Révolution espagnole. Avec une telle base ainsi que le contrôle individuel et collectif, tu viens de créer un nouveau gouvernement.