La guerre qui n’aura pas eu lieu

No 06 - oct. / nov. 2004

Anne Nivat

La guerre qui n’aura pas eu lieu

lu par Claude Rioux

Claude Rioux

Anne Nivat, La guerre qui n’aura pas eu lieu, Paris, Fayard, 2004

Envoyée spéciale en Tchétchénie, Anne Nivat connaît bien ce pays où elle a séjourné à de nombreuses reprises depuis une dizaine d’années, témoin de cette « guerre qui se perpétue dans l’indifférence quasi générale et dont on pourra bientôt dire qu’elle n’aura pas eu lieu ».

Dans ce livre où sont réunis récits, entrevues et analyses, l’auteure, qui a « regardé la guerre du côté tchétchène », révèle le mélange de courage et de désespoir qu’éprouvent les habitants de Grozny face à la barbarie de la sale guerre. Elle démasque également la macabre supercherie de la propagande russe (si elle était seulement russe !) qui amalgame « terroristes », « bandits » et combattants indépendantistes.

C’est justement l’apport fondamental de ce livre que de nuancer l’influence réelle des wahhabites (ces fondamentalistes djihadistes) sur le mouvement indépendantiste. Si le peuple tchétchène ne peut être assimilé à des terroristes, il existe certes un courant extrémiste minoritaire, toléré par les rebelles indépendantistes, car il fait cause commune contre l’agresseur russe. Faute de soutien en provenance de l’étranger, les indépendantistes ont opéré un « rapprochement tactique » avec les éléments les plus fondamentalistes – donc plus incontrôlables – de la république.

Le livre explore également les trajectoires de ces jeunes femmes kamikazes, celles du commando de la tragédie de Nord-Ost, qui a pris 800 personnes en otage dans un théâtre de Moscou. L’action, on s’en souvient, s’était soldée par la mort de 129 otages et de l’ensemble du commando tchétchène aux mains des forces spéciales russes, dans des circonstances qui restent à élucider.

Aux côtés d’entrevues avec des personnalités tchétchènes (dont un, révélateur d’une grande lucidité, avec le président indépendantiste Aslan Maskharov), Anne Nivat sort de l’anonymat des personnages « ordinaires » pour nous présenter leur drame (disparition d’un proche, exil, chômage). On rencontre un peuple qui, plus de quatre ans après ce qui est toujours pudiquement appelé une « opération antiterroriste », vit et s’organise dans les ruines de Grozny, sans eau potable ni électricité, en dépit des zachistka, ces « opérations de nettoyage » effectuées par l’armée russe décimant la jeunesse tchétchène. Un livre important pour contrer le silence et l’indifférence.

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