Éditorial du numéro 95
L’auto, frein à la mobilité
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Le collectif d’À bâbord ! dénonce le recul qu’accuse le Québec en matière de transport collectif, au détriment de l’accès à la mobilité, de la défense des territoires et de la lutte contre les changements climatiques.
Alors qu’il faudrait développer de toute urgence notre réseau de transport en commun, la situation va plutôt en se détériorant. Pour commencer l’année en beauté, on apprenait que la Société de transport de Montréal (STM) mettait fin à ses lignes d’autobus « dix minutes max », qui assuraient une fréquence rapide durant les heures de pointe. Cela s’ajoute au recul accusé depuis la pandémie par les systèmes de transport des banlieues, loin d’avoir tous rétabli les services à leur niveau pré-confinement.
Ailleurs au Québec, le système de transport collectif interurbain est à des milles de répondre aux besoins des gens. Orléans Express continue aussi d’offrir des services réduits, et ceux qui restent ne sont pas toujours glorieux : par exemple, le trajet Montréal–Baie-Saint-Paul prend treize heures en autocar, pour seulement 350 kilomètres. Voilà la légendaire efficacité de l’entreprise privée ! Chez VIA Rail, les trajets sont aussi chers que peu fréquents et doivent céder le passage aux trains de marchandises. Sans parler de la stagnation du projet de trains à grande fréquence dans le corridor Windsor-Québec, où habite pratiquement la moitié de la population canadienne.
Si, durant la dernière campagne électorale, Québec Solidaire proposait de nationaliser les autobus interurbains et de revitaliser le réseau ferroviaire public, la CAQ, elle, veut « rationaliser » les « dépenses » du transport collectif, tout en faisant obstruction au progrès du tramway dans la capitale et en misant à coup de milliards sur son délire de troisième lien, au service de l’autosolo – mais électrique, rassurez-vous !
Réduire la transition énergétique à l’électrification de millions d’autosolos, c’est se condamner à éventrer les territoires – autochtones – en exploitant les « minéraux critiques » nécessaires à la production des batteries et en bâtissant de nouveaux barrages afin de répondre à une explosion de la consommation d’énergie « verte ». Pendant ce temps, le super-ministre Fitzgibbon envisage de nous forcer à baisser le chauffage pour réagir à la pénurie d’électricité qui pointe à l’horizon : il nous montre quelles sont ses priorités.
Et pour ajouter au désastre environnemental, le règne tous azimuts des automobiles et l’espace monstrueux qu’on leur accorde dans nos villes et nos villages encouragent aussi l’étalement urbain, cette attaque frontale contre la biodiversité et la préservation des terres agricoles.
On parle beaucoup d’à quel point l’empire de l’automobile est une aberration écologique, mais on oublie souvent – il faut croire qu’on s’est habitué à ce monde infernal – combien il rend nos villes et nos villages hostiles, invivables. Chaque année, il tue des piéton·nes et des cyclistes par dizaines et en blesse encore plus. Il défigure aussi nos grands espaces à coups de viaducs, de voies d’embranchement et de stationnements-îlots de chaleur.
Et, comble de l’ironie, l’omniprésence de l’automobile constitue un obstacle à… la mobilité. Au moins pour tou·tes celleux qui, par choix ou par obligation, ne conduisent pas. Ce sont évidemment les personnes déjà marginalisées et précarisées qui souffrent le plus de ce tout-à-l’auto. Pensons aux habitant·es de villages éloignés qui, malades, doivent se rendre dans les grands centres pour leurs soins essentiels. Même en ville, l’effritement des services de transport public prive toujours un peu plus les personnes sans voiture de d’options, de temps et de spontanéité, les obligeant à organiser leur vie autour d’horaires d’autobus improbables et tenant leur quotidien à la merci des annulations et des retards.
Enfin, écoutons les groupes de défenses des droits qui nous rappellent depuis des années que peu importe l’efficacité de nos tramways et trains, le transport public demeurera injuste tant que l’accès y sera limité par des tarifs parfois outranciers, laissant en plan les personnes à plus faible revenu.
Nous appelons les élu·es – qui de toute évidence ne fréquentent pas beaucoup les autobus – à se rappeler que les questions de mobilité sont des questions de justice sociale, que la mobilité a des effets sur la qualité de vie et sur l’accès aux services essentiels comme les soins de santé et l’éducation.
Projet Montréal augmente la part du budget consacrée à la police alors que la STM en arrache financièrement ; la CAQ milite pour engouffrer des milliards dans un troisième lien qu’aucune étude n’appuie. Plus que de simples erreurs de parcours à rectifier, la situation actuelle est le fruit d’une funeste vision politique : nous pouvons encore – nous devons – emprunter une autre voie.
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