Mini-dossier : La musique engagée
Court circuit panoramique D.I.Y.
Le punk, malgré ses outrances et ses révoltes, a subi, comme à peu près tous les idiomes musicaux, la récupération commerciale et capitaliste d’une part, et, d’autre part une standardisation de « style » dans laquelle l’histoire de la musique (médias, hits, encyclopédies, etc.) l’a confiné. Envers et contre ce triste réductionnisme, prenons les chemins de traverses séditieux en allant à la rencontre de l’underground – au lieu d’Internet, allons pour ce faire dans les salles de seconde zone pour rencontrer cette musique enragée !
À la fin des années 1980, VALIUM ET LES DÉPRESSIFS constitue un point de départ bariolé conjuguant provocation et BD weird avec Henriette Valium (chanteur et BD underground). Ils étaient de la compil Lâchés Lousses (Tir Groupé 1990) – associée aux sources du punk québécois, qui présentait aussi LES REX, B.A.R.F. (Blasting All Rotten Fuckers) et un incontournable maudit : AMNÉSIE – la pièce « Pas des leurs » fait figure d’hymne de ce groupe qui avait une bassiste avant l’heure.
Les années 90 et 2000 sont foisonnantes… La scène anglophone bûche avec des sous-genres, dont le garage punk de DÉJÀ VOODOO quasi tribal et le punk rock de RIP’CORDZ (Paul Gott, chanteur et guitariste, a publié le journal/zine Rear Guard, un précurseur des hebdos culturels à Montréal). N’oublions pas les résistants RHYTHM ACTIVISM de Norman Nawrocki qui frappe fort en déconstruisant le punk, en y insérant du violon, mais aussi en y insufflant l’esprit de Crass, Chumbawamba et même Uz Jsme Doma pour porter des textes inimitables – « Jesus Was Gay » (G-7 Welcoming Committee) en est une pièce à conviction. L’imprimeur catholique initial avait détruit la pochette, sacrilège ! C’est d’ailleurs de RHYTHM ACTIVISM qu’émergea URBAIN DESBOIS – chanson anar avec, notamment « Ma maison travaille plus que moi ». Après quelques disques chez La Tribu, le doux cinglé redeviendra souterrain…
Côté francophone, attirons l’attention sur des oubliés incandescents : BANLIEUE ROUGE (Safwan, chanteur et guitariste, fera ensuite AKUMA) en punk rock dans la foulée de Bérurier Noir, LES MALADES MARTEAUX en minimaliste duo guitare et boîte à rythmes, et fan du dadaïsme (à la fin de l’année 2022, ils jouaient aux Foufs lors du lancement du bookzine Macadam !), GUÉRILLA au rap métal agité (voir Manifeste, un album inspiré par la mouvance politisée et la mémoire du FLQ) et un coup de foudre pour GOUVERNEMENT ZEL, un trio singulier à l’album unique Vente de feu (où on trouve « À vos dictionnaires » ou « La Gigue des mal formés »).
ANONYMUS / MONONC’ SERGE pour l’amalgame métal lourd et l’irrévérence en chanson baveuse fait date dans la stratosphère punk. Un salut particulier à VOÏVOD qui a rallié la scène punk à leur brouet métalcore sans compromis. LA CAGE DE BRUITS (leur disque D.I.Y. Pouvoir fascine), cofondé par le tandem mixte Danielle Richard, chanteuse et bassiste, et Patrick Dostie à la guitare, ose à la fois la radicalité hardcore (« Pu rien à perdre ») tout en étant capable de musique actuelle (« Pour vrai »). Dans cette veine ultra marginale et fertile, ajoutons PLACEBO avec des aspects tchèques (où ils tournèrent) d’un hardcore punk ciselé phénoménal, MONSIEUR TOAD avec des accents d’horreur (« Vivre embaumé » ou « Je suis décédé, merci ») ainsi que GHOULUNATICS (Cryogénie) – qui tournèrent avec Tagada Jones, font partie des excès marécageux et monstrueux paraphrasant ce monde de somnambules qui, inlassablement, travaillent et se reposent…
L’univers baroque et populaire du punk puise aussi dans le ska, dans la foulée de la vague 2Tone (étiquette britannique née à la fin des années 1970), qui l’avait propulsé. Les compilations 2Tongue (Sapristi) ont marqué cette déferlante, souterraine pour l’essentiel, avec, notamment : 2STONE 2SKANK, FOUS ALLIÉS et L’ORBITAL SPOUTNIK. Retenons aussi LES CONARDS À L’ORANGE du génial ska-punk autodérisoire (« Tout nu dans la rue » et « Le magasin des choses utiles »). M.A.P. (Mort Aux Pourris) aura été un groupe d’exception – Repose en paix leur dernier disque produit par Paul Cargnello l’atteste et, leurs projets suivants sont des musts : CHARLIE FOXTROT, ACHIGAN, VARLOPE, etc. Leurs écrits et leur vélocité évoquent le turbo punk gauchiste de Randy ou d’International Noise Conspiracy ; rien de moins. Quelques autres qui fricotèrent avec le ska en privilégiant le punk ? ANOMALIES, dont les pièces « Dissident » et « Vent de révolte » sont torrides, BOULIMIK FOODFIGHT qui boute le feu avec ses albums Photos de famine et Grossir selon ses moyens. Leur pièce « L’anarchie pour les nuls » sur 2Tongue est même forcenée !
TOMAS JENSEN de l’époque des FAUX-MONNAYEURS et JEAN-FRANÇOIS LESSARD ont certes croisé punk politisé avec musique du monde ou la chanson afin d’accoucher de morceaux assassins envers un système broyant les perdants… Il y a peu, la mouvance du folk-sale soulignait les coups de gueule acoustiques de ROBERT FUSIL ET LES CHIENS FOUS, TINTAMARE et LES SOFILANTHROPES.
En fait, le punk grouille toujours et ressurgit en nous sautant à la figure ; là où on l’attend le moins. Après les mythiques VULGAIRES MACHINS revenant récemment, on aurait tort de ne pas citer la pertinence d’ÉRIC PANIC, qui a vécu dans leur ombre, ou encore d’ignorer LES ZÉROS qui joua « Envie de tuer », ou le groupe BRUTAL CHÉRIE – il faut pogoter sur « Debout »… Le mariage qui dure depuis trois albums entre musique trad et punk offre une conclusion aussi ouverte que tonique à ce pétaradant panorama keupon, on a nommé CAROTTÉ, dont le mantra est Punklore et Trashdition (Slam) !
Le punk, dans une compréhension large de l’idiome, n’en démord pas envers l’autorité, le pouvoir et le conformisme. Il y a là matière à musique engagée d’autant plus que, à la base, n’importe qui pourrait en faire minimalement un bordélique exutoire ou même un levier d’agit-prop…