Crise du logement
Prolifération des condos, densification et exclusion
Dossier : Financiarisation du logement - Champ libre au privé
Le visage de Montréal se transforme peu à peu avec la construction de hautes tours d’habitation qui s’imposent dans le paysage. Les logements y sont coûteux et luxueux. Même pour celles et ceux qui n’y habitent pas, ces édifices imposent un type d’urbanisme qui aura d’importantes conséquences.
Montréal a connu depuis le début des années 2000 un fort développement de constructions résidentielles neuves avec une préférence très marquée pour le condominium (ou propriété divise). Ces condominiums s’assemblent dans des constructions à forte densité, des tours qui changent le visage de la ville. Par exemple, dans l’arrondissement du Sud-Ouest, le développement résidentiel à base de condominiums représente 88 % des mises en chantier entre 2000 et 2015. Le développement de logements locatifs a repris depuis une certaine vigueur sur l’île de Montréal, sans jamais pour autant réduire l’attrait du condominium dans les nouveaux projets immobiliers. Dans l’arrondissement de Ville-Marie, couvrant le centre-ville géographique de Montréal, la mise en chantier de copropriétés (condos ou propriétés indivises) a suivi, entre 2019 et 2021, une courbe progressive supérieure à celle des mises en chantier de logements locatifs, pourtant elles aussi en augmentation.
La dimension de ces constructions peut varier selon les quartiers, mais il s’agit d’un développement résidentiel qui rompt avec le précédent modèle privilégiant le bâtiment de deux ou trois étages, regroupant généralement trois à six logements. Dans la plupart de ces nouveaux projets, on remarque une intensification de l’occupation de l’espace qui se traduit par un gros volume de production résidentielle en hauteur. Les trois tours du Canadien (construites entre 2016 et 2021), situées près du Centre Bell, toutes trois d’une cinquantaine d’étages et de plus de 500 unités, sont représentatives de ce nouveau développement résidentiel.
Ailleurs au centre-ville, on suit la tendance, avec des projets de tours de 50 ou 60 étages : le projet Maestria dans le quartier des spectacles (1000 unités), le 1111 Atwater, le 1 Square Philipps, sans oublier le projet Bridge-Bonaventure dans le quartier Pointe-Saint-Charles et dans Ville-Marie (voir à ce sujetle texte de Francis Dolan, Karine Triollet et Margot Silvestro) prévoyant 7500 logements tous les genres confondus. On retrouve plusieurs projets résidentiels un peu différents, moins élevés, mais offrant eux aussi une forte densité, dans les quartiers situés à l’est du centre-ville : le site de l’ancienne usine Molson, le site de l’ancienne tour de la Société Radio-Canada, les abords du pont Jacques-Cartier. Dans plusieurs autres quartiers de la ville, les promoteurs immobiliers n’en ont que pour des projets ayant toujours une forte densité urbaine (de six à dix étages) marquant une différence avec le reste de la trame urbaine.
« Condoïsation » de l’habitat, densité urbaine augmentée
Le condo est donc le produit résidentiel préféré des promoteurs immobiliers. Il est extrêmement rentable : l’investissement initial qu’il nécessite peut être récupéré dans un temps relativement court, avec un taux de rendement plus qu’appréciable. Assez pour attirer des fonds d’investissement privés et institutionnels dans le montage financier de projets immobiliers divers depuis une dizaine d’années. Pourtant, ce n’est pas par goût pour l’architecture futuriste que s’édifient tant de tours d’habitation. La rareté des terrains et leur valeur financière élevée dans une ville comme Montréal forcent la conception de ce type projet pour obtenir une forte rentabilité recherchée par les promoteurs et par leurs partenaires, les fonds d’investissement. Le promoteur Vincent Chiara affirmait au journal Le Devoir qu’il n’y a pas de condos à vendre pour moins de 1000 $ par pieds carrés.
Les nouveaux logements locatifs se comparent maintenant aux condos dans leur conception et leur promotion. On retrouve un bon nombre de projets dépassant les normes habituelles de hauteur dans les quartiers de Montréal. L’emballage publicitaire de ces projets emprunte beaucoup à l’expérience du condo, par exemple en offrant la même gamme de services (salle d’entraînement, piscine, salon, chalet urbain, etc.). On utilise même l’expression de « condo locatif » pour attirer la clientèle.
Face à l’augmentation de la valeur des terrains et à leur rareté, les promoteurs immobiliers ne font pas que revendiquer le changement de zonage pour élever la densité de leurs projets. Ils innovent également en offrant différentes superficies, allant du microcondo (moins de 500 pieds carrés, certains allant jusqu’à 385 pieds carrés) jusqu’au Penthouse (2000 pieds carrés). Cette stratégie de densification par fractionnement de l’espace habitable, produisant un grand nombre de ces microcondos, semble devenir une pratique courante.
Son coût moins prohibitif en apparence le rend plus accessible. Le logement prend place dans un ensemble résidentiel multifonctionnel, avec des commerces de proximité, des bureaux, des espaces verts et offrant des aires communes. La publicité pour ces projets insiste sur le déploiement d’un nouveau style de vie et d’un nouveau milieu de vie urbain (un lifestyle) : une part importante de la vie se situerait hors du logement au profit d’espaces partagés. Certains promoteurs parlent d’une « communauté verticale » où se côtoient jeunes et moins jeunes, couples, personnes seules. Mais celle-ci ne peut inclure que des individus bien fortunés. La disponibilité de copropriétés de deux ou trois chambres à coucher pour les familles reste limitée. Dans les quartiers comme l’arrondissement Sud-Ouest, on a pu observer entre 2000 et 2015 que la croissance massive de constructions résidentielles neuves allait de pair avec la réduction de la taille des ménages.
Il s’agit d’un modèle résidentiel multifonctionnel qui s’exporte en dehors Montréal. L’imposant ensemble immobilier Solar Uniquartier près de la station du REM Du Quartier et du DIX30 à Brossard en est un bon exemple. La valeur ajoutée recherchée de ce « nouveau quartier », en étant liée au développement du transport collectif, donne une indication des voies que prendront les futurs projets immobiliers.
Conséquences observables
Le développement résidentiel montréalais depuis vingt ans a remodelé la trame urbaine, certes, mais surtout les rapports entre les classes sociales dans les quartiers. Dans l’arrondissement du Sud-Ouest, on a assisté pendant ces années à une intensification de la gentrification qui avait doucement commencé durant les décennies antérieures, mais qui s’est amplifiée avec le développement de projets de grande ampleur. Le phénomène se poursuit jusque l’est du centre-ville. Dans les quartiers du Centre-Nord, que ce soit Petite-Patrie, Mile-Ex ou Villeray, on se lance dans des projets résidentiels à forte densité. Cette dynamique se déplace aussi vers des zones plus excentrées comme l’est de l’arrondissement Hochelaga-Maisonneuve, Mercier, mais également dans l’arrondissement Saint-Laurent.
Ces projets, même avec des promesses de construction de logements sociaux et abordables, vont transformer considérablement la composition sociale des résident·es de ces quartiers à moyen et long terme. Cette gentrification par les constructions neuves (new-build gentrification) favorise la présence de groupes sociaux plus scolarisés, fortunés et qui n’ont pas de famille. Elle provoque une forme de ségrégation de l’espace urbain, tant elle exclut les groupes sociaux qui ne peuvent pas se procurer ces résidences dispendieuses que sont le condo ou le « condo locatif ». Ce nouveau phénomène, sans en être la seule cause, vient clairement amplifier la présente crise du logement abordable.