Culture
Entrevue : Cinéma sous les étoiles et Funambules Média
Entretien avec Hubert Sabino-Brunette et Romane Lamoureux-Brochu
Cinéma sous les étoiles, organisé par Funambules Média, est un festival de documentaires sociaux qui se tient dans les parcs et quartiers de Montréal. Dans le cadre de leur 14e édition, Cinéma sous les étoiles propose près de 45 projections à 15 endroits à Montréal. Propos recueillis par Samuel-Élie Lesage.
À bâbord ! : En quelques mots, comment décrivez-vous Cinéma sous les étoiles ?
Hubert Sabino-Brunette : Cinéma sous les étoiles (CslE) vise à faire rayonner le documentaire social et politique en dehors des salles et à apporter ce type de film à de nouveaux auditoires. De plus, le parc, comme lieu de projection, permet des rencontres nouvelles et de diffuser dans un cadre ludique et agréable.
Romane Lamoureux-Brochu : Chaque projection est aussi suivie d’une discussion avec le réalisateur ou la réalisatrice du documentaire, sinon avec un·e expert·e du sujet abordé. Chaque documentaire offre une perspective unique et personnelle, celle du réalisateur ou de la réalisatrice, et nous désirons qu’il suscite la discussion et la réflexion, d’où le fait que le parc est un lieu idéal pour tenir ces projections.
H. S.-B. : Il s’agit aussi d’un lieu qui permet de diffuser de nouveaux talents et qui se démarque des plateformes existantes pour diffuser et soutenir la relève. Notamment, nous organisons à chaque année un concours de court-métrages. Ce concours permet de présenter le court-métrage comme une pratique artistique propre.
ÀB ! : Qu’est-ce qui motive la tenue de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Notre volonté première est de trouver des films qui ne seraient pas diffusés autrement ou qui sont difficilement accessibles au Québec. CslE s’inscrit ainsi dans un réseau avec d’autres organismes alternatifs de diffusion, comme Cinema Politica ou encore les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM), qui visent à montrer ce qui se passe à l’extérieur du Québec et sous un angle nouveau. Au Québec, la diffusion du documentaire est difficile et nous cherchons à le rendre plus accessible pour différents publics.
R. L.-B. : Une autre motivation est de créer des rencontres entre les réalisateur·rices et le public, et de susciter l’intérêt pour le documentaire. Aussi, nous cherchons constamment de nouveaux partenaires pour améliorer la diffusion. Par exemple, cette année, nous avons organisé une semaine thématique portant sur l’environnement. À cela s’ajoute une collaboration avec la Biosphère pour la projection de quatre documentaires autour de la thématique de l’eau, ainsi qu’un documentaire plus familial sur la vie animalière des potagers, en collaboration avec Espace pour la vie.
ÀB ! : Hubert, tu as mentionné que la diffusion du documentaire au Québec est difficile. Pourquoi ?
H. S.-B. : Il y a de moins en moins de diffusion de documentaires dans les grandes salles de projection. Le documentaire est surtout diffusé dans quelques salles indépendantes de Montréal, mais c’est à peu près tout. La plateforme en ligne Tënk fait aussi un bon travail. Sinon, c’est très difficile pour les régions, malgré des initiatives enthousiasmantes ! CslE diffuse les documentaires québécois après leur vie en salle et s’inscrit donc en complémentarité avec les salles qui diffusent du documentaire. Si le documentaire en ligne est bien écouté, les grandes plateformes comme Netflix imposent souvent leur narratif et leur esthétique. CslE essaie donc de faire rayonner un documentaire différent, en octroyant notamment une grande place au documentaire d’auteur.
ÀB ! : Quelles orientations guident la programmation d’une édition de Cinéma sous les étoiles ?
H. S.-B. : Premièrement, nous visons à mettre de l’avant le plus possible des œuvres locales (environ 30-40% de la programmation), puis on cherche à équilibrer les sujets pour couvrir le plus d’enjeux possibles. On cherche de plus à choisir des films mettant en valeur des communautés distinctes des nôtres. Finalement, on cherche à programmer des films internationaux, bien que ce soit parfois plus complexe à cause des coûts élevés des droits de diffusion.
R. L.-B. : Aussi, les invité·es sont à considérer ! On cherche avant tout à inviter le ou la cinéaste, ou du moins une personne qui a participé à la réalisation du film, sinon (et surtout pour les films internationaux), des experts ou expertes sur le sujet. La discussion sur le film est tout aussi importante que la projection.
ÀB ! : Et comment les lieux de projection sont-ils choisis ?
R. L.-B. : Certains des lieux sont devenus des piliers, comme le parc Laurier, où CslE a commencé, ou les parcs Molson ou des Faubourgs. On cherche des lieux qui permettront une belle diffusion, où se réapproprier pour apprendre et discuter se prêtera bien. On cherche aussi à rejoindre des milieux nouveaux et différents publics. Finalement, il faut bien entendu trouver des endroits accessibles et assez grands pour accueillir parfois plus d’une centaine de personnes !
Une fois le lieu déterminé avec les arrondissements, on choisit le film qui y sera projeté. Après 13 ans, nous savons mieux quel parc va attirer quel public.
H. S.-B. : Nous cherchons constamment à construire et porter plus loin CslE. Un rêve a été réalisé cette année en diffusant dans le quartier chinois Big Fight in Chinatown, un documentaire sur la gentrification des différents chinatowns des villes occidentales. Ç’a été l’un des plus beaux moments de la présente édition.
R. L.-B. : La pandémie a ralenti ce volet, mais nous avons organisé par le passé des projections à l’extérieur de Montréal. C’est quelque chose que nous désirons reprendre.
ÀB ! : J’aimerais vous entendre un peu plus sur le parc et sa signification comme lieu de diffusion.
R. L.-B. : Le parc, c’est un lieu de rassemblement, familial, accessible et convivial, synonyme en quelque sorte de ce que CslE désire être. Nous rendons ludique et agréable la diffusion du documentaire social, nous créons des lieux de rassemblements et de discussion. C’est donc aussi un espace public qu’on se réapproprie pour apprendre et qu’on inscrit dans l’actualité. Alors imaginons : un documentaire peut avoir la réputation d’être barbant ou trop complexe. Mais si c’est projeté dans un parc ? Ça rend le film plus intéressant et plus surprenant aussi ! Autrement dit, le parc démocratise le documentaire.
H. S.-B. : L’été, le parc devient aussi l’extension de la maison. C’est un lieu de socialisation et de rencontre, et on veut amener la culture du documentaire là.
Et le parc est aussi un lieu d’évènements imprévisibles ! C’est aussi le parc qui vient au documentaire. Des gens promènent leurs chiens et des gens qui ne viennent pas à la projection se joignent… Le parc rend publique la diffusion.
ÀB ! : Comment travaillez-vous pour que Cinéma sous les étoiles poursuivent sa mission ? Comment s’assurer de rejoindre différentes personnes et différentes communautés ?
R. L.-B. : C’est une question qu’on se pose constamment pour chaque édition. Pour la suite, notre priorité est de sortir de Montréal pour la prochaine édition. Les régions ont également des enjeux spécifiques et il nous faut penser la programmation de films qui y seront bien reçus avec des organismes locaux.
H. S.-B. : Nous essayons de rejoindre différentes communautés en choisissant des films distincts et en projetant dans des lieux nouveaux. On veut porter divers messages et diverses œuvres à différents publics. C’est aussi la même logique qui anime la recherche de partenariat !
ÀB ! : Pour finir, pour cette quatorzième édition, y a-t-il une projection dont vous êtes fiers et fières ?
R. L.-B. : La semaine de l’environnement propose une programmation variée avec beaucoup d’angles différents, avec des discussions qu’on s’attend être riches et intéressantes.
H. S.-B. : Durant cette semaine, le film Paradis est projeté en première québécoise. Le film suit une communauté Iakoute en Sibérie combattant les feux de forêt de 2021 et abandonnée par l’État russe. Il y a une troublante correspondance entre ce film et les feux de forêt qui ont frappé le Québec cet été.
Le film d’ouverture de cette édition a été aussi un grand moment, où nous avons projeté Mon pays imaginaire du grand Patricio Guzman en première devant plus de 450 personnes, qui relate les récents manifestations sociales du Chili. Et finalement, la projection de Le mythe de la femme noire, d’Ayana O’Shun, a attiré près de 900 personnes ! C’est un record de participation !