Koumbit : la technologie autrement

No 106 - Décembre 2025

Culture numérique

Koumbit : la technologie autrement

Entretien avec le collectif Koumbit

Collectif Koumbit, Yannick Delbecque

Koumbit est un collectif de travail qui offre une alternative aux solutions piégées de la grande industrie informatique. L’organisation autogérée fête cette année son 20e anniversaire, une prouesse militante qui mérite d’être soulignée. Propos recueillis par Yannick Delbecque.

À bâbord !  : Qu’est-ce que Koumbit ?

Koumbit : C’est une bête étrange, car les organismes à but non lucratif dans le secteur technologique sont rares ! De plus, Koumbit n’est pas un environnement de travail hiérarchique. Notre collectif est présentement composé de 14 personnes et nous essayons de faire en sorte qu’aucune ne se retrouve avec plus de pouvoir que les autres.

Contrairement à la majorité des acteurs de l’industrie technologique maintenant avide d’« infonuagique [1]  », Koumbit défend toujours l’idéologie originelle de l’Internet. L’Internet promettait d’être décentralisé et démocratisé, les connaissances techniques devaient être accessibles au plus grand nombre, notamment pour l’hébergement des services, comme les sites web et le courriel. Cela devait donner à tous·tes la liberté de participer de manière autonome à la construction d’un outil commun. Nous défendons toujours ces valeurs par le type de services que nous offrons, mais aussi par les choix des technologies que nous utilisons pour assurer ces services, particulièrement l’utilisation de logiciels libres.

ÀB ! : Comment Koumbit est-il organisé et comment prenez-vous les décisions ?

K. : Sur papier, nous sommes un OBNL et nous sommes obligés de faire des assemblées générales et d’avoir un conseil d’administration. Cependant, au quotidien, cet aspect est un peu oublié. En pratique, nous sommes organisés en trois équipes de travail : une pour le développement web, une pour notre infrastructure de serveurs et une pour les tâches administratives. En parallèle de ces équipes, plusieurs comités s’occupent de dossiers spécifiques. Ces comités nous permettent d’organiser notre travail et d’éviter de faire de la microgestion en grand groupe. Ce fonctionnement par comité ressemble à ce qui existe dans les coops d’habitation. Il y a quelques comités jouant des rôles importants. Par exemple, le comité financement s’occupe d’organiser le budget annuel et propose des changements aux horaires ou aux facturables. Le comité ventes s’occupe de la plupart des ventes et décide à qui proposer des rabais solidaires ou même des hébergements solidaires. Les membres du comité « relations humaines » participent au processus d’embauche et organisent notre processus annuel d’évaluation par les pairs. Il y a plusieurs autres comités moins importants, souvent temporaires.

Les grandes orientations de Koumbit sont décidées par notre conseil de travail, formé de tous les gens qui travaillent chez Koumbit. Il se réunit environ à chaque deux semaines pour traiter de questions plus complexes, comme l’embauche, les augmentations de salaire ou nos prix.

ÀB ! : À ses débuts, Koumbit était influencé par les idées de l’économie participative de Michael Albert et Robin Hahnel, notamment la recherche d’équilibre entre les tâches de chaque personne. Est-ce que ces principes guident toujours le fonctionnement de Koumbit ?

K. : Ces idées ont eu une influence certaine dans les premières années de Koumbit, mais nous ne nous y référons plus explicitement aujourd’hui. Cependant, nous tentons toujours de garder un équilibre des tâches et de fonctionner sans hiérarchies.

Dans nos pratiques actuelles, si des personnes de l’équipe sentent un déséquilibre, il sera rapidement nommé. Par exemple, si une personne développe une connaissance d’une technologie spécifique plus poussée que les autres, cette personne risque d’être la seule à pouvoir prendre certaines décisions. Pour éviter de telles situations, nous mettons en place des mesures, comme des formations, pour permettre à tous·tes de participer au plus grand nombre de tâches.

ÀB ! : Koumbit héberge de nombreux sites militants depuis ses origines. Comment contribuez-vous à assurer la sécurité des groupes militants ?

K. : Nous savons qu’il est important pour certains groupes et certaines personnes de protéger leur anonymat. Nous ne cherchons jamais à avoir plus d’information que le minimum nécessaire. Ainsi, nous n’avons rien à dire si on exige de nous de l’information au sujet d’un groupe militant. De plus, tous nos serveurs sont cryptés : s’ils étaient saisis, il n’y a pas grand-chose à en tirer.

La police nous demande plusieurs fois par année de donner des informations au sujet de nos clients ou des informations présentes sur nos serveurs. Contrairement aux plus grandes entreprises, nous refusons systématiquement de donner de l’information à la police si elle ne présente pas de mandat, et même dans ce cas, nous donnons uniquement le minimum requis.

L’extrême droite cherche aussi à s’attaquer à des sites que nous hébergeons, en nous demandant par exemple de les fermer. Dans de telles situations, nous évaluons les risques, et Koumbit fait ce qu’il peut pour se placer en rempart contre l’extrême droite, même si ce n’est pas toujours facile.

Enfin, contrairement aux grandes entreprises offrant de l’hébergement, nous ne vendons pas d’informations au sujet de nos clients. Les grands hébergeurs vendent souvent des données au sujet de leurs clients. Ça peut être des statistiques à leur sujet, sur les visites aux sites hébergés, et même parfois au sujet du contenu des courriels hébergés sur leurs serveurs. Ces informations sont vendues à d’autres entreprises, principalement dans le marketing ou l’intelligence artificielle.

ÀB ! : Comment contribuez-vous à l’idéal d’autonomie technologique ?

K. : Nous ne pouvons pas présumer que tous·tes maîtrisent les technologies que nous considérons comme simples, comme installer un site WordPress. Nous discutons avec chaque groupe et chaque personne pour déterminer s’il y a un désir d’apprendre et nous les épaulons et les guidons vers des ressources pouvant les aider. Nous aimerions donner des formations plus complètes, mais le manque de temps rend cela plus difficile.

Le modèle d’affaires le plus populaire va lier les groupes et personnes ayant leurs propres sites à leur hébergeur. Par exemple, une personne utilisant Google Drive pour héberger ses fichiers peut les récupérer quand elle le désire, mais elle ne peut pas utiliser la plateforme Google Drive autrement que sur les serveurs de Google, ce qui la rend dépendante du géant. Il est possible d’avoir un plein contrôle sur les fichiers et sur la plateforme avec un dépôt de fichier autogéré, par exemple avec Nextcloud, qui l’on peut réinstaller sur le serveur de notre choix. En n’offrant que des plateformes construites avec des logiciels libres, Koumbit permet de recréer les plateformes choisies ailleurs si l’on n’est plus satisfait ou si on a un conflit idéologique avec Koumbit. C’est vraiment la clé de l’autonomie technologique.

ÀB ! : Quelles sont vos prises de positions politiques et idéologiques les plus importantes ?

K. : Contrairement à une association étudiante ou à des organisations similaires, il est plutôt rare que nous prenions le temps de prendre des positions officielles sur des questions précises. Cependant, on peut déduire nos positions politiques d’après les groupes à qui nous offrons de l’hébergement gratuit : des groupes anticoloniaux, féministes, antiracistes, antifascistes. Nous choisissons de travailler avec des gens qui ont des idées politiques similaires aux nôtres, dans un spectre progressiste assez large. Nous défendons historiquement l’autonomie numérique, un Internet libre, le droit à l’anonymat sur Internet, la redistribution des richesses, l’égalité. Nous appuyons quiconque œuvre à une société plus juste et égalitaire, ce qui ratisse très large !

ÀB ! : Quels sont vos projets et défis à relever pour les prochaines années ?

K. : Sur le plan technologique, le défi du moment est l’invasion de robots associés aux différents systèmes d’intelligence artificielle, un fléau sur l’ensemble de l’Internet. Ces robots passent sur les sites que nous hébergeons et en pompent le texte, processus qui demande énormément de ressources à nos serveurs. Nous devons régulièrement travailler de nuit pour prendre des mesures afin d’assurer la continuité de nos services. Les petits hébergeurs comme Koumbit, même s’ils ne veulent pas offrir de services d’intelligence artificielle, sont obligés de prévoir plus de ressources pour survivre à ces robots ou trouver des stratégies pour les contrôler ou les bloquer.

Concernant notre fonctionnement, un défi est d’assurer aux membres de notre collectif de travail un salaire intéressant et qui, idéalement, suit le rythme de l’inflation. Nous avons réussi à suivre ce rythme dans les années passées, mais cela devient un peu plus difficile.


[1Modèle informatique dans lequel les données sont stockées et traitées sur des serveurs distants.

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