Forums citoyens sur l’éducation
Parlons… d’une nouvelle révolution scolaire, démocratique et écologique
Ce printemps, une vingtaine de forums d’initiative citoyenne sont convoqués dans toutes les régions pour dresser un bilan de santé franc et complet du système d’éducation québécois. Ses défis sont nombreux et complexes, et commandent des réponses à la hauteur des ambitions que le Québec caresse pour traverser le XXIe siècle. Face à un manque de vision gouvernemental, la population est appelée à imaginer une nouvelle révolution scolaire.
Lancés en mars dernier, les forums citoyens Parlons éducation convient la population de toutes les régions à faire le point sur les défis criants de l’école québécoise : comment assurer l’égalité des chances dans le contexte de diversité des populations scolaires ? Que faire d’une école à trois vitesses ? Comment maintenir une influence dans ce qu’il reste de démocratie scolaire ? Quelle place accorder à la transmission culturelle face aux besoins du marché du travail ? Comment mieux retenir, valoriser et outiller les personnels scolaires ? Au-delà des enjeux et problèmes spécifiques mais importants qu’ils examinent de près, les forums posent en définitive une question simple mais fondamentale à la population québécoise : quelle école nous faut-il imaginer et bâtir pour le monde à venir ? Un monde qui pourrait bien être profondément transformé par la crise climatique, l’exacerbation des inégalités et le déficit démocratique.
Ainsi, les forums Parlons éducation invitent les citoyennes et les citoyens à rechercher et à formuler un nouveau tout cohérent, une vision de l’éducation et du système scolaire à leur mesure et à leur portée. Un projet qui ne va pas de soi. Mais des propositions existent pour nous guider dans cette incontournable réflexion.
Pour une révolution scolaire
La crise de l’éducation n’est pas que québécoise, et pour cause. La marchandisation des systèmes éducatifs et l’homogénéisation de leurs modes de régulation sous l’impulsion de l’économie du savoir et la pression des organisations internationales créent de nouvelles règles du jeu et bousculent les communautés, les dépossédant des outils de leur destinée comme l’école, les orientations scolaires, les finalités éducatives. La mondialisation tend à dépolitiser l’éducation, c’est-à-dire à en faire un objet purement administratif ou technique car stratégique pour des économies en compétition. Pourtant, elle est recalibrée précisément en fonction de cette compétition, au détriment du lien social et d’une conception humaniste et démocratique de l’école. C’est ce que Christian Laval et Francis Vergne, avec leurs collègues Pierre Clément et Guy Dreux, avaient savamment démontré en 2011 dans leur essai La nouvelle école capitaliste. Mais cette puissante démonstration, qui a permis d’enrichir la critique générale de la réforme internationale et néolibérales des systèmes scolaires, souffrait de solutions.
Avec Éducation démocratique, en 2021 (paru en 2022 au Québec), Laval et Vergne appellent cette fois à une nouvelle révolution scolaire, soit à engager une rupture collective avec cette école surannée héritée de l’économie industrielle et capitaliste, pour définir une éducation au service d’une démocratie sociale, égalitaire et écologique. En somme, les auteurs convient à repolitiser la question scolaire et à relever dès à présent, et par la base, le défi de la transformation de l’école pour affronter les crises climatiques, sociale et démocratique. Pour y parvenir, ils proposent d’ériger l’institution scolaire en commun éducatif, indépendant de l’État et autogouverné par des collectifs civils, garantissant la liberté de pensée et l’accès universel aux savoirs. Cette école serait dédiée à la mise en œuvre d’une « culture commune démocratique et écologique », fondée sur le respect de l’autre, la collaboration plutôt que la compétition, et la pratique de la délibération démocratique comme fondement de l’apprentissage de la citoyenneté et de l’autonomisation des individus.
Si la discussion collective à laquelle les forums citoyens Parlons éducation convient la population du Québec ce printemps doit ouvrir une réflexion sur la reprise en main et l’avenir du système scolaire pour faire face aux défis environnementaux, économiques et sociaux qui l’attendent, la proposition de Laval et Vergne ne peut qu’aider à soutenir une réflexion constructive.
Les piliers d’une école démocratique
Pour affronter durablement les défis qui s’imposent à nos sociétés, Laval et Vergne proposent de jeter dès à présent les fondements du programme de l’école de demain autour de l’égalité sociale, l’émancipation et l’agentivité démocratique de citoyen·nes mu·es par une culture commune unificatrice à la fois cosmopolite et respectueuse des milieux de vie. Bref, une culture universaliste qui rapproche et lie les êtres humains plutôt qu’elle ne les divise, au bénéfice d’une caste privilégiée.
Placée au cœur de la mission éducative, la transmission et la transformation de la culture par des individus critiques et autonomisés, soit des citoyennes et citoyens égaux et libres, suppose la recherche d’un accès illimité, tout aussi libre et égalitaire aux savoirs et à la culture purs – non hiérarchisés ou instrumentalisés en fonction de la pensée et des classes dominantes. Cela exige la réorganisation des sociétés (notamment autour des temps sociaux, des valeurs et priorités sociales et culturelles), et le maintien d’infrastructures de savoir ouvertes, inclusives et dynamiques. Il faut donc s’affranchir des barrières et dynamiques de compétition internes qui hiérarchisent les filières, les établissements, les élèves ; en un mot, Laval et Vergne estiment impératif de briser la spirale ségrégationniste de la compétition scolaire et sociale, qui favorise le déterminisme et la séparation des destinées, pour lui préférer une logique égalitaire, fondée sur une expérience et un bagage communs.
Cela suppose a priori de consacrer l’indépendance de l’institution scolaire face aux influences et pouvoirs politiques, économiques marchands et donc, in fine, de la libérer du contrôle intéressé de l’État qui a échoué jusqu’ici à faire de l’école une institution démocratique, démocratisante et apte à réduire les inégalités sociales. Indépendance qui exige de reconnaître et garantir la liberté académique et de pensée, et de remettre entièrement la destinée de l’institution aux mains de sa communauté (parents, élèves, personnels, chercheurs, etc.), responsable d’offrir et préserver l’accès libre aux savoirs et à la culture. Il s’agit donc de créer ce que les auteurs nomment « l’université démocratique », principe de collégialité et d’autonomie applicable à l’ensemble de l’institution d’enseignement, depuis la petite enfance jusqu’à l’enseignement supérieur. C’est grâce à cet « autogouvernement de l’école », qui reconnaît l’expérience et l’expertise de chacun de ses acteurs, qu’il sera possible de définir les pratiques, l’organisation et les conduites susceptibles de déhiérarchiser les savoirs, de fluidifier l’organisation du travail, de déségréguer l’institution et de l’ouvrir à la diversité de ses composantes. La collégialité et l’agentivité attendues seraient plus favorables à l’expérimentation et au déploiement de pratiques altératrices émergeant de la base pour s’émanciper des modèles normatifs imposés par la bienpensante bureaucratie centralisatrice. Ce nouveau contexte doit favoriser l’émergence d’une véritable « pédagogie instituante », c’est-à-dire une organisation de la fonction de transmission de la culture tournée vers la construction d’un autogouvernement populaire, une reprise en main de la destinée collective par l’agentivité citoyenne et démocratique des individus, soit qui dépasse la seule connaissance des institutions de représentation (dont l’exercice cyclique du vote) pour faire directement l’expérience, par la pratique, de la conversation démocratique, de la délibération et du pouvoir collectifs, dès et dans la classe et l’école, en donnant aux élèves l’occasion de décider de leur organisation, de leur aménagement physique et temporel, de leur fonctionnement. Cela suppose de nouveaux rapports sociaux et pédagogiques dans l’enceinte de l’institution, une nouvelle conception de la transmission culturelle, et du partage du pouvoir, dont Laval et Vergne trouvent les prémisses dans les meilleurs éléments des pédagogies alternatives.
Repolitiser l’éducation
Alors que la liberté académique est remise en question, que la démocratie et la liberté d’expression dans l’enceinte de l’école sont mises à mal, que les programmes scolaires prennent l’allure de véritables fourre-tout, que la gestion axée sur les résultats transforme la nature et la finalité même de l’acte éducatif, l’hypothèse d’une organisation collégiale de l’école et d’un véritable partenariat entre le personnel, les parents et les élèves pour faire émerger par la base une école nouvelle, libre et émancipatrice, paraît bien utopique. Il y a du pain sur la planche…
Laval et Vergne jettent les bases, par des principes fondamentaux, d’une transition vers une école nouvelle, adaptée à la réalité criante de notre époque confrontée à l’urgence et le péril que font peser sur l’intégrité de notre civilisation le déficit démocratique, l’urgence écologique et l’exacerbation des inégalités sociales. Ils ciblent l’institution scolaire, pour le peu qu’elle puisse se réorganiser comme commun éducatif, axé sur l’universelle accessibilité des savoirs et l’émancipation démocratique, pour porter cette mission. Avec audace, ils confient aux acteur·rices de première ligne qui œuvrent et participent quotidiennement à l’effort éducatif, le soin de constituer la communauté de base de cet autogouvernement populaire de l’école.
En somme, Laval et Vergne invitent quiconque croit à l’urgence d’un changement de cap civilisationnel à ne pas attendre que le changement arrive d’en haut, comme on nous l’a trop souvent inculqué au prix de tant de déceptions ; compte tenu des impératifs auxquels nous sommes confronté·es, il faut plutôt se regrouper au sein de collectifs et forcer le changement par en bas. Cela implique en premier lieu un effort de délibération, de se réunir pour se réapproprier politiquement et socialement les enjeux et la mission de l’école, et échanger sur une vision alternative, durable et structurante de notre système d’éducation, à opposer à celle, résolument obtuse et obstinée, de nos gouvernants.
C’est ce que les forums Parlons éducation se proposent précisément de faire ce printemps. Et c’est pourquoi ils demeurent un rendez-vous incontournable.