J’ai joué au baseball avec Fidel

3 décembre 2016

J’ai joué au baseball avec Fidel

Gérald McKenzie

1964. Pour le deuxième anniversaire de la seconde Déclaration de La Havane, Cuba invitait des délégations de soutien du monde entier. Le 26 juillet [1] serait fêté à Santiago de Cuba.

Quelques mois plus tôt, la section canadienne du Fair Play for Cuba Committee avait contacté la revue Parti Pris pour inclure des Québécois·es à la délégation canadienne de 45 militant·e·s progessistes – toutes dépenses payées. Ainsi, Étatsuniens, Soviétiques, Vietnamiens, Canadiens et tous les autres sont partis de La Havane vers Santiago – comme pour les cendres de Fidel Castro après son décès. Trois jours pour descendre l’île en allant rouler des cigares avec les ouvriers, bâtir des écoles en ciments dans les montagnes, cueillir du café, rencontrer des leaders syndicaux et du parti. Enfin, Santiago. Combien parmi nous étaient de la GRC ?

Et ces Étatsuniens, dont plusieurs seraient parmi les « 7 de Chicago », plus anar que marxistes-léninistes. Ils auront la chance d’avoir une audience avec le Che. Pas nous. Chez les Canadiens on comptait des « straights  » socialistes, le militant Robert Silverman des « vélo-rutionnaires » , des Montréalais du réseau Parti Pris, entre autres.

Des traducteurs commissaires accompagnaient notre groupe et nous débitaient le discours impeccable de la révolution et du marxisme-léninisme. À l’hôtel, Giáp [2] sortait de sa chambre, discret.

Le soir, on s’échappait dans les quartiers périphériques de Santiago où plusieurs hommes et femmes armé·e·s dansaient avec leur famille sur la salsa des Buena Vista Social Club locaux. Les gringos faisaient fureur.

– « Hey gringo !
No, canadiense !
Amigos ! »

Trudeau venait d’envoyer des vaches canadiennes spécialement adaptées aux conditions cubaines…

Une rumeur parvint jusqu’à nos chambres. Fidel est arrivé en trombe sur le campus, immédiatement entouré. Un débat s’est engagé entre lui et les Étatsuniens, plusieurs de New York et Chicago. La révolution : motivation morale ou motivation matérielle ? Fidel versus le Che. Fidel : « On réglera ça au baseball. Formez-vous une équipe, demain 3 heures. » Et il s’engouffra dans sa vieille Lincoln verte. Poussière.

Je fis partie de l’équipe de baseball. Parmi les Yippies gringos et les intellos québécois, j’étais le seul premier-but. Le stade est plein à craquer. Où est Fidel ? On ne sait jamais ni quand ni par où il arrive.

Il arrive !! Ovation cubaine. On se réchauffe. Il est le lanceur des Cubains. Les gringos surveillent les buts. Au bâton : Fidel. Le 3e but attrape la balle et la lance au 1er : Fidel est out. Finalement, je suis au bâton, il lance : une, deux, trois prises ; à mon tour d’être mort !

Il est remplacé et regarde la partie tout près de moi. Innocent, je m’approche pour lui demander : « Fidel, que penses-tu du mouvement pour l’indépendance du Québec [révolutionnaire à l’époque]  ? » Sa réponse : « C’est combien les points ? » Le dimanche suivant, il parla cinq heures sans discontinuer devant un million de paysans.

J’ai joué au baseball avec Fidel Castro.


[1Jour de commémoration du 26 juillet 1953 où Fidel Castro, avec une centaine de jeunes révolutionnaires, menait une attaque contre la caserne de la Moncada, à Santiago de Cuba. L’attaque fut un échec sanglant pour les assaillants, la plupart ayant été tués. NDLR.

[2Võ Nguyên Giáp, général vietnamien victorieux contre l’armée française lors de la guerre d’Indochine puis contre l’armée étatsunienne lors de la guerre du Viêt Nam. NDLR.

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