Recherche, design et médias contre le profilage racial

Dossier : La police, à quoi ça (…)

Dossier : La police, à quoi ça sert ?

Recherche, design et médias contre le profilage racial

MTL sans profilage

MTL sans profilage est un collectif de recherche-action multigénérationnel, multidisciplinaire et multiracial qui vise à documenter, visibiliser et intervenir sur les enjeux de profilage racial dans les pratiques policières à Montréal. Présentation du parcours, des apprentissages et de l’approche du collectif.

MTL sans profilage a d’abord mené, à partir de 2015, une enquête qualitative dont les résultats ont été publiés en 2018 dans le rapport Le profilage racial dans les pratiques policières : points de vue et expériences de jeunes racisés à Montréal [1]. Ces résultats ont révélé que le taux d’interpellation policière dans le quartier Saint-Michel est élevé et que le profilage racial est bien présent dans la vie des jeunes de minorités racisées. Plus de la moitié des jeunes interviewé·e·s a vécu au moins une ou plusieurs interpellations policières. Dans la grande majorité des cas, les interpellations étaient arbitraires et non-fondées.

Une recherche révélatrice

Plusieurs jeunes ont vécu et raconté des expériences traumatisantes d’abus verbal, physique, psychologique et sexuel de la part de policiers. Des jeunes interviewé·e·s ont été mis·e·s en détention sans que les policiers leur expliquent clairement les motifs, avant d’être libéré·e·s parce que les policiers n’avaient pas de preuves pour les retenir.

En évoquant des interpellations arbitraires, les jeunes interviewé·e·s ont expliqué que les policiers donnent rarement des explications, même quand les jeunes en font la demande. Ils et elles ont aussi mentionné que les policiers agissaient de façon plus agressive et impatiente quand ils demandaient pourquoi ils devaient montrer une pièce d’identité. Il arrivait que les policiers menacent les jeunes avec des amendes pour « refus de coopérer » s’ils ne montraient pas leurs cartes d’identité.

Les contrôles d’identité souvent arbitraires et sans réel motif semblaient constituer une sorte de rite de passage pour les jeunes du quartier Saint-Michel, étant donné leur caractère fréquent et répétitif. Alors que certains jeunes semblent se résigner aux contrôles d’identité, d’autres le vivent comme une forme de harcèlement.

Ces interactions involontaires que les jeunes ont avec la police ont de multiples conséquences négatives. Comme d’autres recherches l’ont démontré, le profilage racial est source de stress et de traumatismes pour les jeunes, mais aussi parfois de blessures physiques. D’autres conséquences incluent les coûts de constats d’infraction et d’autres charges financières, le retrait des milieux publics, un sentiment d’impuissance, un affaiblissement de l’estime de soi et des contacts précoces avec le système judiciaire.

Les pratiques policières identifiées dans l’étude illustrent que le profilage racial n’est pas simplement le résultat de préjugés de policiers, mais relève aussi de politiques organisationnelles qui autorisent les policiers à agir de façon plus intrusive et sévère auprès des jeunes noir·e·s et racisé·e·s à Montréal.

Dans un article scientifique à paraître [2], nous expliquons que le développement d’un maintien de l’ordre proactif, la racisation de la délinquance sous couvert de la lutte aux « gangs de rue », le contrôle des incivilités et l’investissement de ressources disproportionnées dans les quartiers avec une haute densité de personnes racisées à Montréal donnent le pouvoir aux policiers d’intervenir de façon arbitraire auprès des jeunes noir·e·s et racisé·e·s.

Ensemble, ces politiques autorisent les policiers-ères à faire des interpellations pro-actives (ou « préventives ») auprès des jeunes noir.es et racisé·e·s, à partir de l’idée qu’ils et elles sont intrinsèquement délinquant·e·s. Autrement dit, les politiques ont pour effet de permettre aux policiers d’aller à l’encontre de la loi en utilisant la couleur de peau et autres stéréotypes raciaux (style vestimentaire, cheveux dreads, etc.) pour interpeller des jeunes noir·e·s et racisé·e·s. Ces pratiques constituent une atteinte à leurs droits et doivent être démantelées.

De MTL sans profilage à #MtlSansProfilage

Une des priorités du projet était que le travail de recherche effectué puisse profiter aux communautés racisées, et surtout aux jeunes qui subissent du profilage racial. Il n’était pas question que la recherche prenne la poussière dans les étagères : nous avons très vite étendu le groupe de travail en invitant une illustratrice, un designer et des ressources en communication.

Il s’agissait donc de s’adresser directement aux jeunes racisé·e·s pour leur montrer qu’ils et elles ne sont pas seul·e·s à vivre des expériences négatives dans leurs relations avec les policiers, et que leurs actions sont légitimes, comme prendre soin de soi, en parler, se défendre légalement, etc.

C’est ainsi que sont nées les vignettes de sensibilisation, conçues en tant qu’outils pour :

*faire connaître aux jeunes montréalais·e·s racisé·e·s leurs droits, et les outiller en cas de profilage par la police ;

* leur rappeler qu’ils et elles ne sont pas seul·e·s dans leurs réalités et qu’il est important de prendre soin de soi lorsqu’on vit ce type de situation ;

* visibiliser leurs témoignages et expériences avec la police.

Il nous tenait à cœur de créer une véritable identité visuelle autour du projet pour le rendre attrayant auprès de notre public cible. Nous voulions que les vignettes diffusées sur les médias sociaux puissent se démarquer en transmettant des messages forts, avec un choix de couleurs vives, et ainsi marquer les esprits. Il était aussi important pour nous que le rapport de recherche soit visuellement attirant, agréable à lire et accessible à un large public.

Toujours dans cet esprit de créer des ponts entre la théorie et la pratique, entre les milieux universitaire et médiatique, nous avons bâti nos communications à travers un dialogue constant entre les membres du collectif.

Depuis le lancement des vignettes en 2017, nous échangeons sans cesse sur les messages que nous souhaitons porter et sur la façon de les formuler, avec pour objectif de concilier nos idées avec la réalité des médias sociaux. Comment faire passer des réflexions complexes tout en composant avec les algorithmes de Facebook, la culture de l’immédiat et de la performance, et l’attention très limitée (et parasitée) des personnes qui sont exposées à nos publications ? Comment choisir un contenu adapté et formuler un texte suffisamment pertinent pour attirer l’attention de notre public cible, tout en restant nuancé·e·s dans nos propos ? Comment rester ancré·e·s dans l’actualité, tout en faisant des liens avec notre recherche ?

Un de nos plus récents échanges, par exemple, a porté sur la diffusion d’images montrant des personnes noires ou autochtones violentées par la police : doit-on les partager, pour choquer et montrer cette réalité aux personnes qui ne la connaissent pas ? Ou n’y a-t-il pas plutôt un risque de contribuer à banaliser ce type d’images et ainsi à reproduire des formes de violence visuelle ? Nous avons finalement décidé de ne plus partager de photos ou scènes de violence extrême, jugeant que cela n’est pas nécessaire pour faire savoir que cette réalité existe, évitant dès lors de normaliser les images de personnes noires et autochtones brutalisées. Et nous sommes donc, nous aussi, constamment en train de nous éduquer les un·e·s les autres à travers nos échanges.

Ancrer la recherche dans l’espace public

Outre la diffusion publique du rapport, l’équipe a fait de multiples présentations sur sa recherche depuis 2016, lors d’activités organisées par des groupes communautaires, dans le cadre de conférences universitaires, lors de consultations de la Ville de Montréal (Consultation sur le profilage social et racial en 2017, Consultation publique et sur le racisme et la discrimination systémiques en 2019), ou encore lors de conférences organisées par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) ou Amnistie Internationale.

L’équipe a aussi rédigé cinq rapports d’expertise pour des cas de profilage racial portés devant le Tribunal au Québec par la CDPDJ. Chacune des poursuites avait été lancée par le Centre de recherche-action sur les relations raciales et impliquait des hommes noirs ayant subi diverses formes de discrimination raciale de la part de policiers, dont certaines avec violence physique.

L’équipe entreprend maintenant une nouvelle phase qui consiste à faire avancer la lutte contre le profilage racial en interpellant les institutions qui jouent un rôle majeur dans la (re) production du profilage racial. Ce nouveau projet sera réalisé en collaboration avec l’organisme Head & Hands / À Deux Mains, tout en étant dirigé par une équipe de jeunes racisé·e·s et autochtones. Il sera financé par le ministère du Patrimoine canadien, dans le cadre du Programme d’action et de lutte contre le racisme.

Suivez-nous sur nos réseaux sociaux pour rester au courant de la suite !


[1On peut consulter le rapport en ligne : https://bit.ly/3tNDLAA.

[2Anne-Marie Livingstone, Marie Meudec, et Rhita Harim, « Racisme et discrimination systémique dans le Québec contemporain : ses formes et ses manifestations », Nouvelles Pratiques Sociales, vol. 31, no 2, sous presse.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème