L’histoire (vraie) de la police au Québec

Dossier : La police, à quoi ça (…)

Dossier : La police, à quoi ça sert ?

L’histoire (vraie) de la police au Québec

Adèle Clapperton-Richard

La police au Québec est importante. On le voit aujourd’hui : la gestion de la crise sociale et sanitaire est fortement policière. Rien de bien surprenant, quand on connaît l’historique de l’institution. Petite chronologie, ici, qui montre que la police a toujours été au service du capital, du colonialisme et des nationalismes canadien et québécois.

La police est aujourd’hui une des institutions les plus présentes et les plus fortes, même dans les États démocratiques. C’est le cas au Québec et au Canada. Se targuant d’assurer la « sécurité » des citoyen·ne·s, les corps policiers ont plutôt joué dans l’histoire, et jouent encore, un rôle de répression. Ce que l’institution nomme un « maintien » et un « rétablissement de l’ordre » ressemble plus à de la surveillance accrue, de la coercition et des confrontations souvent violentes.

Et ces confrontations visent des groupes spécifiques. La preuve n’est plus à faire que la police n’intervient pas de manière neutre et impartiale devant les divers groupes et mouvements sociaux. Elle a au contraire toujours exercé un contrôle des groupes considérés « subversifs » ou « dangereux » – c’est-à-dire les franges les plus marginalisées de la population, notamment celles qui militent pour leurs droits.

La section « Histoire » du site Web de la Sûreté du Québec (SQ) [1] nous informe que le « développement de cette figure marquante de l’histoire de la province est étroitement lié à celui de la société québécoise ». L’histoire de la société québécoise étant une histoire empreinte de racisme, de colonialisme, de sexisme, d’inégalités économiques et de rapports de classes, l’énoncé de la SQ apparaît donc tout à fait approprié : l’histoire de la police est exactement à cette image.

Ce petit tour d’horizon des principaux faits marquants de l’institution policière au Québec en rend bien compte. S’il y a au Québec trois « niveaux » de corps de police qui interviennent – municipal, provincial et fédéral – c’est principalement sur l’histoire de la Sûreté du Québec que je m’attarderai.

XVIIe et XIXe siècles : colonisation et « ordre social »

Au Québec et au Canada, la création des corps policiers modernes va de pair avec la Confédération. Leur rôle est fondamental dans la colonisation et l’appropriation des territoires autochtones, plus particulièrement dans l’Ouest canadien [2]. Ainsi, la prédécesseure de la Royal Canadian Mounted Police / Gendarmerie royale du Canada (RCMP/GRC), la North-West Mounted Police, a été créée en 1873 par le gouvernement de John A. Macdonald spécifiquement pour assurer l’expansion et la régulation coloniales, à travers les déplacements et la relocalisation forcés des populations autochtones.

La fonction coloniale des premiers « policiers » au Québec remonte toutefois au XVIIe siècle. Sur le site du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), on nous apprend par exemple que les « premiers représentants de l’ordre de Montréal » sont regroupés sous une milice de 120 hommes créée par Paul Chomedey de Maisonneuve en 1663. Cette milice a pour mission de « surveiller l’ennemi qui menace les paysans dispersés sur leurs terres à l’extérieur des murs de Ville-Marie » et « n’a pas pour responsabilité première de réprimer le crime ». Il est aisé de comprendre que « l’ennemi » menaçant pour les colons est en fait la population autochtone. La répression policière des peuples autochtones au Québec prend donc racine dans les débuts du colonialisme – et elle se poursuit jusqu’à nos jours.

Les fonctions de contrôle social et de coercition envers d’autres groupes sociaux sont aussi manifestes dès la mise sur pied de la police provinciale. En 1870, le 1er mai – une date particulièrement significative, et ironique, lorsqu’on pense à la répression policière des ouvrier·ère·s –, l’organisation de la Police provinciale du Québec, ancêtre de la SQ, est officiellement créée. Il est énoncé que cette police « pourra intervenir lors d’émeutes électorales, religieuses et conflits ouvriers tout en veillant au respect des lois fédérales, provinciales et règlements municipaux ». Assurer la « sécurité » signifie alors beaucoup contenir les mouvements qui pourraient perturber l’ordre social.

C’est la figure du « constable » qui résume bien l’esprit devant animer ces policiers, c’est-à-dire des hommes « robustes et capables qui seront armés […] de fusils ou mousquets légers, de baïonnettes et de revolvers ou toutes autres armes […] dont ils ne devront se servir que dans des cas d’extrême nécessité [3] ». Ainsi, l’armement constant et le « bon jugement » des policiers semblent incontournables dès les débuts.

Début et mi-XXe siècle : moralité et répression des luttes ouvrières

Au tournant du XXe siècle, l’argument qui justifie les interventions policières est, comme aujourd’hui, celui de la lutte contre la criminalité. C’est en fait une surveillance étroite de la moralité qui se met en place, et qui se concrétise par une « chasse » aux déviant·e·s. Différents corps de police de niveau provincial sont créés au début des années 1900 : Police du revenu, Police de la circulation et Police des liqueurs. Cette dernière joue un rôle fondamental dans les « arrestations d’ivrognes » et le « démantèlement des “lieux de débauche” ». Ce sont en fait des escouades de la moralité qui assurent contrôle et coercition sur les maisons de jeu, la vente d’alcool, la prostitution et le commerce des drogues, particulièrement l’opium.

À la fin des années 1940 et au cours des années 1950, sous Duplessis, les policiers de ce qui est alors nommé la Sûreté provinciale sont particulièrement actifs dans la répression violente des mouvements ouvriers. Lors de grèves et de manifestations de travailleur·euse·s d’usines de textile, à Salaberry-de-Valleyfield (1946) et Louiseville (1952) ou du secteur minier, à Asbestos (1949) et Murdochville (1957), les policiers interviennent pour protéger les briseurs de grève (scabs) et leur permettre de passer les piquets de grève, tout en arrêtant les grévistes par centaines. Ces affrontements causent plusieurs blessés, et même un mort, à Murdochville.

1960-1980 : modernisation et militarisation

Les chercheur·euse·s qui ont étudié la police s’entendent pour dire que les années 1960 et 1970 marquent un tournant caractérisé par une militarisation accrue des forces policières et une augmentation de la répression envers les mouvements sociaux et les groupes marginalisés militant pour la reconnaissance de leurs droits. Dans un contexte où les inégalités, surtout économiques et raciales, se consolident, l’expansion de la puissance et de la présence policières est liée à des politiques néoconservatrices qui amènent des solutions et des réponses punitives aux problèmes sociaux – précarité économique, itinérance, toxicomanie, etc [4]. La crainte que la population vivant dans la précarité puisse devenir « dangereuse » justifie le profilage et l’interventionnisme plus fort de la police.

Au Québec, ces années sont caractérisées par « le retour d’un modèle administratif militaire » à la SQ, sous la direction de Josaphat Brunet – un ancien supérieur de la GRC. Une quarantaine d’ex-membres de la GRC seront même nommés à des « postes clés » à la SQ entre 1960 et 1965. Ces liens entre GRC et SQ sont à considérer dans le contexte des interventions colonialistes de la police dans les années 1980 et 1990, notamment à Listuguj pour imposer des restrictions aux Mi’kmaq sur la pêche aux saumons, puis sur le territoire des Kanien’kéha:ka lors du siège d’Oka par la SQ d’abord, puis l’armée canadienne.

1990 à aujourd’hui : expansion et puissance

Les années 1990 et 2000 amènent des interventions policières de plus en plus nombreuses et répressives, particulièrement dans le cadre de grandes manifestations menées par des mouvements sociaux de gauche. Un exemple emblématique : la violence de l’intervention des policiers de la SQ lors du Sommet des Amériques de Québec en 2001 ou, plus récemment, lors de la grève étudiante de 2012. La réponse aux « enjeux de sécurité publique propres au XXIe siècle », pour reprendre encore une formulation de la SQ, se déploie donc dans la poursuite de l’armement des corps policiers et dans l’allocation d’un budget de plus en plus important – 1,1 milliard de dollars en 2018-2019.

Le passé et l’actualité de la police renvoient à la violence coloniale, au contrôle des « déviant·e·s » et à la répression des populations les plus marginalisées. Si la police a pris forme dans des contextes sociaux, politiques et historiques particuliers, on peut peut-être imaginer, pour le futur, d’autres contextes dans lesquels il n’y aurait pas de police. 


[1« 1870-2020 : Histoire de la Sûreté du Québec ». En ligne : www.sq.gouv.qc.ca/organisation/histoire/ Sauf mention contraire, les citations de cet article proviennent de ce site Web.

[2Sean Carleton, « Might is not right : A historical perspective on coercion as a colonial strategy », Canadian Dimension. En ligne : canadiandimension.com/articles/view/might-is-not-right-a-historical-perspective-on-coercion-as-a-colonial-strategy

[3« Histoire de la police à Montréal ». En ligne : spvm.qc.ca/fr/Pages/Decouvrir-le-SPVM/Musee-de-la-police/Histoire-de-la-police-a-Montreal

[4Voir Alex S. Vitale, The End of Policing, Londres, Verso, 2017.

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