« Copagande », l’art de légitimer l’institution

Dossier : La police, à quoi ça (…)

Dossier : La police, à quoi ça sert ?

« Copagande », l’art de légitimer l’institution

Philippe de Grosbois, Ramon Vitesse

Le maintien en place de l’institution policière dans nos sociétés suppose un travail considérable sur les esprits. Cela se voit notamment dans les œuvres cinématographiques et télévisuelles (Bon cop bad cop, De père en flic, 19-2, District 31, etc.) et dans de nombreuses opérations de relations publiques, allant de visites dans les écoles à la participation de policier·e·s à titres « d’expert·e·s » dans des médias d’information.

Dès l’école primaire, la police effectue des visites directement dans les classes, par exemple pour prodiguer des conseils sécuritaires en vue de l’Halloween. Au secondaire, il arrive que la police dispose d’un local et qu’elle soit présente sur les lieux sur une base régulière. Ce travail souvent qualifié de « proximité » ou de « communautaire » a pour effet de permettre à l’institution de se forger une image de normalité, voire d’« autorité ». Outre l’école, la présence assidue des services de communication policiers auprès des médias vient tamiser et légitimer les actions et façons de faire de la police.

En résumant de manière un peu grossière, on pourrait affirmer que cette « copagande » — mot-valise construit à l’aide du mot anglais « cop » (« police ») et « propagande » — s’articule autour de deux axiomes. Premièrement, l’espace public et le monde en général sont dangereux. C’est pourquoi nous avons besoin d’une force policière, bien équipée et armée, organisée sur des bases paramilitaires. On remarquera qu’après un événement criminel, la police apparaît soudainement en force et nous rejoue un classique — la cavalerie brille avec un temps de retard alors qu’un tel étalage de force escamote la difficulté du travail en amont, qui ne relève pas de la police. Deuxièmement, la police veille au bien-être de la communauté. On parle alors d’assurer une présence policière, humaine et serviable, prête à secourir à tout instant.

Ces deux axiomes peuvent sembler contradictoires, mais du point de vue policier, il s’agit de savoir bien les orchestrer pour faire mouche. C’est la fameuse dynamique « bon cop, bad cop », mais appliquée au champ médiatique et culturel plutôt qu’à l’interrogatoire d’enquête. Selon les critiques amenées par la société et les mouvements sociaux, on jouera de l’un ou de l’autre, tantôt en dépeignant la ville comme envahie par la criminalité (on parlera par exemple du « Bronx » de Montréal-Nord [1]), tantôt en mettant de l’avant des initiatives policières à caractère social ou communautaire : « le cœur sur la main, des policiers de la Sûreté du Québec ont pris part à d’importantes manifestations de solidarité ces dernières semaines. Ils ont tenu à réchauffer le temps des Fêtes de plusieurs de leurs citoyens [sic] », rapportait récemment le journal local de Valleyfield [2].

On trouvera un bel exemple de ces communications hybrides célébrant à la fois le superhéros à l’assaut des brigands et l’allié sympathique de la communauté dans un clip promotionnel produit par le SPVM en 2012, soulignant l’arrivée de nouveaux uniformes [3]. La musique est solennelle et sombre. Deux agent·e·s enfilent leur uniforme noir, se préparant à faire face à l’adversité. À pied, en voiture, ils répondent aux demandes des gens du quartier, écoutent, s’élancent dans une ruelle — sans qu’on sache trop pourquoi. Ils saluent au passage une dame noire, souriante au possible (tout va bien !). Aucune arme, aucune violence, mais on sent malgré tout les Batman et Wonderwoman en puissance : on les voit à la fin de leur journée, posant fièrement devant l’hôtel de ville, observant le soleil couchant derrière les édifices montréalais. Bonne nuit, citoyen·ne·s, la police veille sur vous. 


[1Daniel Renaud, « La police frappe au cœur du Bronx de Montréal-Nord », La Presse, 9 décembre 2020. Suite aux protestations soulevées par le titre, ce dernier sera modifié par « Frappe anti-drogue dans Montréal-Nord », sans que le journal n’informe de la modification ni de son motif.

[2Yanick Michaud, « Les policiers de la Sûreté du Québec agissent pour leur communauté » Journal Saint-François, 18 décembre 2020.

[3« 2013 : Le SPVM change la couleur de son uniforme », 18 décembre 2012. Disponible en ligne : www.youtube.com/watch ?v=c6CuucLseDY

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