International
Palestine. Remettre les pendules à l’heure
Depuis le 7 octobre dernier, jour de l’attaque du Hamas ayant causé 1200 décès de civils et environ 240 prises d’otages, les représailles d’Israël, sous la forme de bombardements incessants sur l’une des zones les plus densément peuplées du monde ont fait plus de 14 000 morts en un mois et demi, dont plus de 6000 enfants.
Depuis la même date, une vague de désinformation déferle pour appuyer la posture déshumanisante et vengeresse de l’État d’Israël. Elle se caractérise par une réécriture de l’histoire qui occulte l’occupation, la colonisation et l’apartheid depuis la Nakba (la catastrophe) de 1948. Il est crucial de contrer ce discours fallacieux, car tolérer les violences extrêmes contre la population de Gaza, qualifiées par de nombreux experts de nettoyage ethnique et, de plus en plus, de génocide, c’est encourager la haine et la violence. Cela fragilise la capacité de défendre les droits dans des contextes de rapports de force inégaux et discriminatoires à travers le monde. C’est aussi endosser le rôle toxique joué par Israël à travers le monde par l’exportation de technologies militaires et de surveillance mortifères certifiées « testées au combat » pour armer des régimes autoritaires et violents, pour le contrôle des migrants, pour la surveillance des protestations sociales ainsi que des militant·es des droits humains et des journalistes ou pour bâtir des murs hautement sécurisés, comme entre les États-Unis et le Mexique [1].
Sans la fin de la complicité étasunienne, plusieurs spécialistes de la région craignent un exode de la population d’une ampleur encore plus grande que lors de la Nakba de 1948 qui avait causé l’expulsion violente d’entre 700 000 et 800 000 Palestinien·nes. Déjà, depuis le 7 octobre, plus de 1,5 millions de personnes ont été forcées de se déplacer entre le Nord et le Sud de la bande de Gaza, suite à l’ordre d’évacuation lancé par l’État d’Israël. Malgré ce déplacement initial, justifié officiellement par la volonté de « protéger la population civile », Israël a continué de bombarder les civils plus au Sud, comme à Khan Younes, repoussant la population vers une petite zone à la frontière de l’Égypte, de sorte qu’un exode massif vers l’Égypte est craint par plusieurs expert·es de la région. Israël a aussi ciblé quasi systématiquement les hôpitaux et les lieux protégés du Nord de Gaza (par exemple, les écoles de l’UNRWA), laissant croire que l’objectif est de briser la population psychologiquement et de mater la résistance.
Colonisation et apartheid
Le sionisme vise quatre objectifs selon l’historien canadien Yakov Rabkin : « 1) transformer l’identité transnationale juive centrée sur la Torah en une identité nationale à l’instar d’autres nations européennes ; 2) développer une nouvelle langue vernaculaire, soit une langue nationale, basée sur l’hébreu biblique et rabbinique ; 3) déplacer les juifs de leur pays d’origine vers la Palestine ; 4) établir un contrôle politique et économique sur la Palestine. » Rabkin ajoute la volonté de modernisation à l’européenne de ce territoire jugé arriéré, trait typique du colonialisme européen [2].
Plus concrètement, l’État d’Israël est en fait une colonie de peuplement, car elle encourage les personnes juives du monde entier à en devenir citoyen·nes, afin de mener une guerre démographique pour l’occupation du territoire. L’État israélien souhaite ainsi s’assurer que le nombre de citoyen·nes israélien·nes demeure plus grand que celui des Palestinien·nes ou des Israélien·nes d’origine arabe. De plus, la vie des Palestinien.nes est rendue volontairement intolérable afin de les pousser à quitter le territoire, sans droit de retour, en violation de la résolution 194 de l’ONU. Du côté palestinien, la vie est si cruelle, humiliante, oppressante, qu’« exister, c’est résister ». Il y a donc une distinction importante à faire : les cibles de la résistance actuelle sont avant tout le sionisme et les acteurs de ce projet colonial.
De fait, selon la zone où les Palestinien·nes habitent et leur statut, différents droits et privilèges leurs sont ainsi attribués, mais toujours inférieurs à ceux de la population juive israélienne. Selon l’organisation israélienne de défense des droits B’Tselem, quatre méthodes sont utilisées à cet effet : « Deux d’entre elles sont mises en œuvre de manière uniforme dans la région entière : la restriction de la migration des non-juifs et l’accaparement de terres palestiniennes pour construire des communautés réservées aux Juifs, tout en reléguant les Palestiniens à de petites enclaves. Les deux autres sont principalement mises en œuvre dans les Territoires occupés : des restrictions draconiennes sur le déplacement des Palestiniens non citoyens et le déni de leurs droits politiques. Le contrôle sur ces aspects de la vie se trouve entièrement dans les mains d’Israël : dans la région entière, Israël a le monopole du pouvoir sur l’enregistrement de la population, l’allocation des terres, les listes d’électeurs et le droit (ou l’interdiction) de voyager à l’intérieur de la région, d’entrer à n’importe quel endroit de la région, ou d’en sortir. » [3]
Dans ce contexte, les expressions qui peuvent faire paraître les deux parties comme étant égales en effaçant la réalité historique de l’occupation, comme « conflit israélo-palestinien » ou « guerre entre Israël et le Hamas », sont trompeuses. En fait, l’État d’Israël est non seulement la puissance occupante de la Palestine, imposant un contrôle total sur la vie de sa population, mais demeure de plus l’une des dix plus grandes puissances militaires mondiales, faisant partie du « club sélect » des détenteurs de l’arme nucléaire et ayant reçu, de l’aveu-même du Congrès américain, plus de 260 milliards de dollars US en aide militaire depuis 1948. Israël aurait ainsi vendu pour 12,5 milliards de dollars US en armes en 2022 [4]. Notons par ailleurs que le Hamas a bénéficié d’un appui financier important depuis plusieurs années sous la gouverne de Netanyahou, dans le but d’affaiblir l’Autorité palestinienne et de contrer la solution à deux États prônée lors des Accords d’Oslo, tout en permettant de justifier la violence de l’occupation et d’invoquer l’impossibilité de négocier [5].
Autodétermination et droit international humanitaire
En droit international, le droit à l’autodétermination est fondateur, comme corollaire de la souveraineté des États, les acteurs de ce droit. Or, en cas d’occupation militaire d’un territoire, plusieurs résolutions de l’ONU reconnaissent qu’un peuple a le droit de se défendre et de résister par la violence à la violence. Bien que l’occupation soit plus discrète aux yeux du monde qu’une guerre à proprement parler, il n’en reste pas moins qu’une violence est appliquée en continu envers la population occupée. Cette situation devrait être transitoire et non permanente, comme dans le cas de la Palestine. De plus, si l’occupation permanente est déjà illégale en droit international, elle résulte au minimum en des responsabilités pour l’occupant, qui doit s’assurer du bon traitement et de la protection de cette population.
Le droit international humanitaire demande en particulier de faire la distinction entre civil·es et combattant·es ; que les attaques soient proportionnelles aux objectifs militaires visés ; de ne pas attaquer des lieux ou des personnes protégées (journalistes, hôpitaux, écoles, infrastructures civiles) ; d’assurer à la population la capacité de survivre, notamment en ayant accès à l’eau et à la nourriture ; et de protéger ceux et celles qui ne sont plus en mesure de combattre. En ce sens, si la résistance palestinienne est permise, elle se doit aussi de respecter la distinction entre civil·es et combattant·es, tout comme l’armée d’Israël. Par ailleurs, l’ampleur des décès chez les civil·es de Gaza est telle que plusieurs spécialistes des droits humains parlent non seulement de crimes de guerre, mais d’un cas d’école de génocide, un crime contre l’humanité contre lequel l’ensemble des pays est obligé d’agir en droit international. Le silence et l’inaction sont dans ce cas criminels et complices. La population de Gaza est sous un blocus quasi-total ; elle souffre de la faim et n’a pas accès à l’eau potable. Avec le non-fonctionnement des infrastructures de purification de l’eau, l’insalubrité et l’écroulement des services de santé, des maladies infectieuses et diarrhéiques commencent déjà à se propager. L’ensemble de la population gazaouie est présentement otage de la volonté de vengeance de la machine de guerre israélienne.
Solidarité envers le peuple palestinien
Devant ce carnage, impossible de se taire, pour notre propre dignité, et pourtant, il existe un fort climat de peur chez les organisations et individus. Cette solidarité est parfois criminalisée, dénoncée comme étant antisémite, alors qu’il n’en est rien. Pourquoi ?
Au cours des dernières années, l’International Holocaust Remembrance Alliance (IHRA) a intensivement promulgué une définition de l’antisémitisme assimilant toute critique des politiques de l’État d’Israël à de l’antisémitisme. Ce courant visant à faire taire, voire à criminaliser la solidarité avec la Palestine, date de plusieurs années, une motion ayant par exemple été adoptée sous le gouvernement de Stephen Harper en ce sens. La définition vise aussi à détourner les énergies existantes pour bâtir et renforcer la solidarité vers la défense fastidieuse et individuelle contre de fausses accusations d’antisémitisme. Plutôt que de réellement défendre la communauté juive contre l’antisémitisme, cette définition tend à banaliser l’utilisation de ce terme et à affaiblir la capacité collective à dénoncer les réels crimes haineux contre elle.
De plus, l’idée que l’État israélien, pourtant un État d’apartheid (!), serait la « seule démocratie au Moyen-Orient » et qu’en contrepartie, les Palestinien·nes arabes seraient des terroristes violent·es, arriéré·es et islamistes a su s’insérer dans le discours des médias dominants avec des termes comme « terroristes » que certains médias comme la BBC ont d’ailleurs refusé d’employer.
Le cas le plus récent de censure est du Dr. Yipeng Ge, suspendu de son internat à l’université d’Ottawa, notamment pour avoir utilisé la phrase « de la rivière à la mer » sur les médias sociaux. À sa défense, une pétition en ligne a recueilli plus de 60 000 signatures. Des groupes comme Voix juives indépendantes et Labour for Palestine tentent aussi de répondre aux attaques injustifiées d’antisémitisme, respectivement en prenant position publiquement et par la création d’un réseau de soutien juridique pour contrer ces attaques à la liberté d’expression. Il est donc urgent d’agir pour demander le respect du droit international par l’État d’Israël et dénoncer publiquement les violations des droits humains des Palestinien·nes, pour demander d’imposer conséquemment des sanctions envers Israël, notamment contre le commerce d’armes. L’appui au mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions constitue également un levier important pour faire pression économiquement et politiquement sur Israël afin qu’il respecte le droit international et pour briser la complicité de compagnies et institutions présentes au Canada et au Québec ainsi que de leurs gouvernements envers cet État. Trois actions concrètes sont possibles à brève échéance : participer aux manifestations en solidarité avec la Palestine et s’organiser collectivement pour prendre parole ; signer une pétition parlementaire auprès du gouvernement fédéral, demandant notamment des sanctions et un embargo sur le commerce d’armes avec Israël, et signer une pétition au gouvernement provincial lui demandant d’annuler l’ouverture d’un bureau du Québec à Tel Aviv.
Il en revient aux Palestiniens et Palestiniennes de décider leur avenir, mais dans les circonstances actuelles, le rapport de force est tellement faussé qu’un appui et des pressions internationales sont essentiels pour que cette population ait un jour cette liberté.
[1] Chris Hedges, « Israël ferme son laboratoire humain à Gaza », The Chris Hedges Reports, 17 novembre 2023, traduction par le Collectif Échec à la Guerre. Disponible en ligne.
[2] Rabkin, Yakov, Comprendre l’État israélien, Écosociété, p. 62.
[3] B’Tselem, « Un régime de suprématie juive de la Méditerranée au Jourdain : c’est un apartheid », 12 janvier 2021. Disponible en ligne.
[4] Chris Hedges, op. cit.