No 27 - déc. 2008 / jan. 2009

Chronique Économie

La crise - fragments

Gaétan Breton

La crise états-unienne actuelle s’est inscrite dans la conscience populaire avec les problèmes des deux grands du financement hypothécaire : Freddie Mac (Federal Home Loan Mortgage Corporation) et Fannie Mae (Federal National Mortgage Association). Ce sont les problèmes de ces deux entreprises qui ont lancé le processus de sauvetage en cascades par le gouvernement des États-Unis. Le niveau du risque et la quantité de créances douteuses auraient, tout d’un coup, rendu nécessaire un sauvetage d’urgence.

Les signes du naufrage

J’ai tenté, dans un premier temps, de chercher les signes avant-coureurs de cette débâcle financière. Les états financiers de Freddie Mac montrent des profits pour 2005 et 2006 et une perte pour 2007. Cependant, un dividende a été versé de 1,52, 1,91 et 1,75 par action au cours des trois dernières années.

Les états montrent une perte de 3,1 milliards $, ce qui n’est pas rien mais non dramatique eu égard aux profits des années précédentes. D’après le président de l’entreprise, qui existe déjà depuis quelques décennies, les changements de méthodes comptables rendent l’entreprise plus transparente, plus comparable et plus orientée vers ses affaires et sa mission. Est-ce à dire que les états financiers auraient été plus ou moins manipulés pendant tout ce temps, et ce, avec la bénédiction des vérificateurs ? Tout ce système semble avoir été basé sur une hausse continue du prix des maisons. Ainsi, la valeur de la maison, qui est la garantie, demeure au-dessus de la valeur de la créance. Quand les états financiers doivent tenir compte de la valeur marchande des créances (mark-to-market) et que la valeur des maisons diminue, la situation change drastiquement. Les hypothèques peuvent-elles valoir plus, dans les livres, que les maisons qui les garantissent ? Pourtant, nous ne sommes même pas encore dans la question de fond, liée à une série de défauts de paiement, nous sommes encore dans des questions de présentation des données.

Le président écrit, dans le Rapport annuel de 2007 : « It is essential to note that a significant portion of our losses were not economic, but the result of accounting conventions. » (Il est essentiel de noter qu’une portion significative de nos pertes n’est pas économique, mais bien le résultat des conventions comptables). Or, les conventions comptables ne changent rien à la réalité sous-jacente, elles changent seulement la façon de la raconter. Comme nous le verrons plus loin, les manipulations de l’image comptable ne se terminent pas là, mais la réalité sous-jacente s’est elle aussi modifiée significativement.

Une vraie crise immobilière

Par ailleurs, le prix des maisons a connu une baisse en 2007 alors qu’il n’avait cessé d’augmenter au cours des années précédentes. En 2007, le volume des ventes de maisons a diminué et les stocks de maisons invendues ainsi créés ont fait chuter les prix. Deux conséquences en découlent : 1. parfois les créances ont dépassé la valeur marchande des maisons, ce qui incite fortement l’emprunteur à cesser de payer même s’il en avait encore les moyens, et 2. les taux hypothécaires ont été ajustés (subprimes), ce qui a placé plusieurs emprunteurs dans l’impossibilité de rembourser.

La crise immobilière n’arrive pas seule et l’expression « quand le bâtiment va, tout va » semble transitive. Parmi l’ensemble des choses qui se sont mises à tourner à l’envers, le dollar américain a connu des difficultés importantes créant des pressions pour tous ceux qui avaient des financements en provenance de l’étranger. Or, c’était le cas de notre couple hypothécaire, Freddie et Fannie.

La titrisation

Les entreprises partout dans le monde, précédées en cela par les banques, ont commencé à émettre des titres couvrant leurs actifs. Les actifs ne sont plus simplement placés en garantie de dettes, ils sont vendus même s’ils ne sont pas livrés. Les créances hypothécaires sont ainsi transformées en produits financiers dérivés qui sont cédés sur les marchés internationaux. Ces nouveaux titres ont au moins deux avantages pour les détenteurs des actifs : 1. les actifs ainsi « vendus » sortent des livres, ce qui améliore les ratios de rendement sur l’actif, et 2. ils permettent de faire entrer de l’argent neuf dans l’entreprise et de relancer des opérations qui n’auraient pu être facilement financées par les méthodes traditionnelles. Nous retrouvons notre manipulation comptable puisque en sortant ces actifs des livres sans vraiment s’en débarrasser, l’entreprise pratique ce qu’on appelle communément le financement hors bilan.

Ces produits sont plus volatiles que les anciennes obligations et suivent les aléas des actifs qu’ils financent. Ainsi, la valeur des garanties baissant et le dollar allant dans la même direction, les pertes de change vont augmenter en flèche, ce que montrent tout de même les états financiers de Freddie Mac et Fannie Mae. L’autre perte la plus importante reflétée aux états financiers est liée aux produits dérivés, c’est-à-dire à la valeur des titres émis en échange des hypothèques.

Un petit coin du tableau

Cette situation n’est qu’une partie d’un tableau beaucoup plus vaste. La crise actuelle est l’aboutissement d’une série de petites crises, qui ont laissé leurs responsables trop contents de s’en sortir souvent encore plus riches qu’avant en continuant allègrement de faire payer les pauvres. La table est mise pour que l’opération sauvetage sur le dos des citoyens se reproduise, mais l’issue est encore loin.

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