École publique : passer à l’offensive

No 71 - oct. / nov. 2017

Minidossier

École publique : passer à l’offensive

Stéphane Vigneault

Le système scolaire inefficace et inéquitable commande d’attaquer de front la ségrégation scolaire au Québec, estime le mouvement L’école ensemble.

Les statistiques décourageantes s’accumulent sous nos yeux. Les résultats de nos élèves aux examens internationaux PISA stagnent ou déclinent. Un quart des enseignant·e·s qui ont moins de cinq ans d’expérience décrochent. Chez les Québécois·es âgé·e·s de 16 à 65 ans, 53% ont des compétences faibles ou insuffisantes en littératie. Le taux de décrochage au secondaire reste désespérément élevé à plus de 25 %.

Comme de plus en plus de chercheur·e·s, nous croyons que c’est la ségrégation scolaire qui explique la mauvaise posture du Québec. Un comité d’expert·e·s formé par le ministère de l’Éducation et présidé par Pauline Champoux-Lesage (Protectrice du citoyen de 2001 à 2006) affirmait en 2014 dans son rapport : « Les élèves qui sont plus à risque d’échouer pour des raisons liées à leur statut socioéconomique ou à leur origine ethnique, bénéficient significativement de la présence d’élèves forts dans leur classe, alors que les élèves forts ne sont pas pénalisés par la composition hétérogène de leur classe. »

Ce rapport stipule aussi que le fait de classer les élèves selon leur rendement scolaire exacerbe les inégalités sociales, notamment dans le contexte où les parents ont la capacité de choisir les écoles publiques où ils et elles inscriront leurs enfants.

Ce comité précisait qu’il serait possible d’augmenter l’efficience du système scolaire en favorisant l’hétérogénéité des classes, et cela à moindre coût. Il concluait sur ce diagnostic : « La pratique du placement sélectif des élèves dans des classes ou des écoles différentes sur la base de leurs résultats scolaires, résultats qui sont intimement liés à leur origine sociale, entraîne des coûts supplémentaires dus à la concentration d’élèves à risque dans les mêmes groupes. »

En ce sens, le taux de ségrégation scolaire est au moins de 41 % aujourd’hui au Québec. Son augmentation est le résultat d’un cercle vicieux qui se renforce continuellement.

La part du privé subventionné en éducation augmente sans cesse. De 5 % en 1970, elle est aujourd’hui de 21 % au secondaire. Elle atteint même 39 % à Montréal et 42 % à Québec.

Le réseau public a répondu au départ de ses élèves en créant des écoles à projet particulier sélectif qui pratiquent leur propre écrémage : le nombre d’étudiant·e·s admis·e·s dans un projet particulier est estimé au secondaire à au moins 20 %.

En parallèle, l’école publique commune voit sa tâche alourdie : intégration des élèves avec des besoins particuliers, augmentation du nombre de cas lourds et pratiques visant à limiter le redoublement.

Cette nouvelle composition de la classe ordinaire, de plus en plus écrémée, renforce l’attrait du privé et des projets particuliers.

Le péché originel de l’éducation au Québec est bien sûr d’avoir commencé en 1968 à financer le réseau privé. Mais la réplique du réseau public n’allait qu’accentuer le problème.

Des mesures d’atténuation

En réponse aux méfaits causés par le privé subventionné et son écrémage des écoles publiques, le réseau public aurait pu choisir de s’opposer résolument au financement du privé par les contribuables (à hauteur de 79 % si on inclut le financement indirect par les crédits d’impôt). Il s’est plutôt montré accommodant et a adopté une politique d’atténuation des méfaits.

Les exemples de mesures d’atténuation sont nombreux. En voici trois :

  • la création des projets particuliers sélectifs qui permettent de concurrencer l’écrémage du privé subventionné ;
  • les fonds spéciaux pour les écoles défavorisées ;
  • les appels au privé subventionné pour qu’il accepte plus d’élèves en difficulté.

Les projets particuliers sélectifs (p. ex. les écoles internationales) ont connu un grand succès auprès des parents qui y ont vu une solution de rechange économique. Au moins 20 % des élèves au secondaire se retrouvent maintenant dans un projet particulier sélectif. Mais que la ségrégation soit causée par le public ou le privé subventionné, elle a les mêmes effets délétères sur les résultats d’ensemble.

Les fonds spéciaux pour les écoles défavorisées s’incarnent au Québec dans la stratégie d’intervention Agir autrement. Le problème de cette stratégie de saupoudrage est bien sûr de ne pas s’attaquer aux racines du problème. La France, par exemple, avec ses « zones d’éducation prioritaires » a dû constater l’échec de ce type de politique : « En proposant non pas de lutter contre la ségrégation scolaire, mais d’en atténuer les effets par l’octroi de moyens supplémentaires, la politique d’éducation prioritaire en France s’interdit d’agir sur les sources des inégalités. » (Georges Felouzis, Les Inégalités scolaires, PUF, 2014)

Les appels au privé subventionné pour qu’il daigne accepter plus d’élèves en difficulté sont de la même eau. Avec moins de 5 % de ces élèves actuellement dans ses écoles, il faut comprendre que le privé subventionné ne peut se permettre d’en accepter trop sans nuire à son avantage concurrentiel, c’est-à-dire un environnement exclusif. On jouera sur les décimales pour permettre au ministre de temporiser, mais les quelques enfants en difficulté de plus dont on acceptera l’argent pourront toujours être renvoyés (au public) au besoin.

Les solutions

Pour s’attaquer de front à la ségrégation scolaire, le mouvement L’école ensemble propose une nouvelle vision de l’école publique :

Une école équitable
Nous demandons que 100 % des fonds publics en éducation profitent au nouveau public que nous proposons. Nous acceptons l’existence des écoles privées, mais celles-ci ne doivent plus recevoir de fonds publics.

Une école sereine
Nous voulons mettre fin à la sélection des élèves au public. Cet écrémage qui stresse les familles et érode les communautés n’aura plus lieu d’être dans le nouveau public.

Une école commune
Nous souhaitons un nouveau public renforcé par le retour de la plupart des élèves du privé subventionné et celui des élèves des projets particuliers sélectifs. Le maintien des élèves les plus performant·e·s au sein d’une classe commune est un facteur déterminant de la réussite scolaire pour tous et toutes.

Une école efficace
Nous proposons que le nouveau public consolide l’aide aux élèves en difficulté et développe en plus une offre d’apprentissage enrichie pour les élèves les plus performant·e·s.

La fin de la sélection au public couplée à la fin des subventions publiques au privé donnera naissance à un vrai privé (le modèle ontarien où le réseau privé est financé à 0 % par les contribuables nous indique que ce dernier devrait accaparer environ 5 % des élèves au secondaire) et à un nouveau public dynamisé par un afflux massif d’élèves provenant du privé subventionné et des projets particuliers sélectifs.

Plusieurs parents retirent leurs enfants de l’école ordinaire parce qu’ils et elles anticipent que la cadence d’apprentissage sera trop lente. Le nouveau public verra une hausse immédiate du rythme scolaire grâce à un taux d’élèves performant·e·s en hausse et un taux d’élèves en difficulté en baisse. Mais le mouvement L’École ensemble croit qu’il faut aller un peu plus loin. C’est pourquoi nous demandons qu’en parallèle à l’aide aux élèves en difficulté soit développé – au sein d’une classe commune – un soutien aux élèves les plus performant·e·s.

Le système d’éducation actuel est un boulet pour le Québec alors qu’il pourrait être un levier collectif d’une redoutable efficacité. Les élections provinciales sont pour bientôt ; ce sera le moment de prendre les décisions qui s’imposent.

Thèmes de recherche Education et enseignement
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