Idéaux politiques

No 71 - oct. / nov. 2017

Bertrand Russell

Idéaux politiques

Philippe de Grosbois

Bertrand Russell, Idéaux politiques, Montréal, Écosociété, 2016, 110 p.

En 1916, le mathématicien et philosophe Bertrand Russell, alors âgé de 44 ans, participe activement au mouvement antimilitariste britannique et prononce une série de conférences sur sa pensée politique. Le texte de ses allocutions sera publié un an plus tard, mais il faudra attendre un siècle avant qu’Idéaux politiques soit accessible en français. Grâce à Normand Baillargeon, Chantal Santerre et Écosociété, c’est maintenant chose faite.

La pensée que Russell y déploie s’articule largement autour de la distinction entre deux types de pulsions fondamentales : les « pulsions de possession, qui incitent à vouloir acquérir ou conserver des biens privés qui ne peuvent être partagés  » et les « pulsions créatrices  » qui émergent autour de la promotion «  des biens qui peuvent être partagés en commun » (sciences et arts, notamment). Il s’agit donc d’évaluer si les institutions sociales favorisent les deuxièmes et écartent autant que possible les premières. Puisque ces institutions reposent largement (en 1916 comme en 2016) sur « la propriété et le pouvoir », Russell soutient qu’il faut les revoir en profondeur, en commençant par le capitalisme et le salariat, qui « encouragent les instincts prédateurs ».

Le penseur soutient donc «  l’entière abolition du pouvoir aujourd’hui exercé par les capitalistes  » et la mise en place d’une « autogestion industrielle soumise à un contrôle étatique » (pour la régulation des prix, par exemple). Pour lui, le socialisme d’État ne permet pas aux travailleuses et travailleurs d’avoir une voix et nuit à l’épanouissement des pulsions créatrices ; autrement dit, il ne constitue pas « un système véritablement démocratique ».

Les idéaux politiques de Russell et sa défense des pulsions créatrices s’incarnent aussi dans une promotion des libertés des individus et de l’expression d’idées nouvelles. Russell déplore que « sous l’influence du socialisme, une certaine hostilité envers la liberté individuelle s’est manifestée, même dans les cercles progressistes  », où « la liberté est associée au laissez-faire » (une propension que l’on retrouve aujourd’hui au sein du courant dit « conservateur de gauche »). Libertaire, le philosophe soutient au contraire que «  la tendance spontanée de l’artiste […] a une valeur infinie pour l’individu qui est habité par elle » et que « respecter en soi-même et en autrui de telles tendances est la principale composante qui fait une vie bonne  ». Ici aussi, l’intervention étatique (et de l’éducation en particulier) est justifiée lorsqu’elle limite cette liberté nourrie de pulsions possessives (qui encourage la rivalité et la violence), tout en stimulant les pulsions créatrices.

En 1916, Russell perd son poste à Trinity College ; deux ans plus tard, il purgera cinq mois de prison pour ses activités pacifistes. Cela n’empêchera pas ses idéaux politiques de laisser une marque profonde dans les esprits, toujours présente un siècle plus tard.

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