Dossier : Transition écologique. Le

Dossier : Transition écologique, le grand virage

Entre urgence et volonté d’agir

Patrick Rondeau

Il faut travailler à une transition écologique juste et non simplement à une transition énergétique. Cette lutte n’est pas qu’environnementale, elle est également économique. Une révoution dans nos habitudes de production et de consommation s’impose donc.

La transition juste n’est ni une échappatoire, ni une façon de retarder des décisions déchirantes. C’est une volonté de réduire les gaz à effet de serre (GES), mais en s’assurant que ce soit juste et équitable pour tout le monde. Sinon, les décisions prises seront drastiques et creuseront davantage les inégalités sociales. Un état de pauvreté ne permet pas à une population de lutter dignement contre le réchauffement climatique. On ne peut lutter pour la planète efficacement quand tous nos efforts sont mis pour se loger, se nourrir, se vêtir… bref, survivre.

Il faut donc sensibiliser des millions de personnes à emboiter le pas vers une transition environnementale et une lutte au réchauffement climatique. Déjà, en 2006, l’économiste Nicholas Stern, ancien vice-président de la Banque mondiale, sonnait l’alarme en affirmant que les changements climatiques causeraient des pertes importantes, soit 0,5 % à 1 % des PIB des pays industrialisés. L’impact mondial s’élèvera donc de 391 milliards $ à 782 milliards $ par année. Si rien n’est fait, cette somme pourrait être de 5 milliards $ par année au Canada. Inutile de préciser que l’impact se fera sentir non pas chez les plus riches de ce monde, mais chez les plus pauvres par de nouvelles coupures dans les programmes sociaux et dans les services publics. Le danger est bel et bien réel. L’impact se fera sentir également dans le domaine de l’agriculture, du tourisme, des pêcheries, dans les industries, sur l’emploi, sur la santé, bref sur l’ensemble de la population.

L’inévitable transition

Cette transition doit dépasser de loin la simple transition énergétique. Le gouvernement du Québec prend la voie de la facilité en créant Transition Énergétique Québec (TEQ). Quand on s’attarde à la composition du conseil d’administration, on constate que 12 des 15 membres sont soit sympathisant·e·s du PLQ, soit issu·e·s du milieu des affaires. Force est de constater que les recommandations auront de la difficulté à s’éloigner de solutions strictement financières. Pourtant, le Québec a un besoin pressant de moderniser ses industries. C’est donc dans la sphère de l’économie réelle que se trouve la solution.

Revenons à la notion de transition énergétique. Au Québec, vraiment ? C’est de ça dont nous avons besoin ? Au niveau mondial, l’enjeu énergétique est crucial. La lutte au charbon, au nucléaire ou au mazout est un enjeu de taille qui aura un réel impact sur la réduction des GES. Qu’en est-il au Québec ? La vaste utilisation des ressources énergétique passe par l’hydro-électricité, une ressource renouvelable à 99 %. Le défi n’est donc pas à ce niveau.

Créer le TEQ est-il ce dont le Québec avait besoin ? Est-ce de la poudre aux yeux ? Poser la question, c’est y répondre.

Cela étant dit, devant une idéologie purement néolibérale, on ne peut pas s’étonner que ce gouvernement cherche à régler les problèmes avec ce qu’il connait : des solutions financières ainsi que les forces du marché. Pourtant, c’est au niveau des modes de production et de consommation qu’il faut directement s’attaquer. Cette question n’est pas simple et demande du courage politique et de la concertation.

La définition la plus répandue de la transition juste est la suivante : s’assurer que les communautés n’aient pas à payer seules le prix des changements climatiques. La transition doit se faire avec et pour les communautés, ainsi qu’avec les travailleuses et travailleurs.

En fait, elle doit inclure tous les secteurs de la société et ne pas être présentée comme une fatalité, mais comme un ensemble d’opportunités. Ces opportunités pourraient dépasser le simple rendement économique, mais permettre de repenser nos modes de production et de consommation et par conséquent nos modes de vie. Ultimement, cette réflexion ne peut que remettre en question le système économique capitaliste qui nous a menés où nous sommes.

Paradoxes et opportunités

Le passage à une véritable transition juste comporte son lot d’incertitudes et de paradoxes. Tout d’abord, les premiers groupes qui seront touchés, les travailleuses et travailleurs, doivent être rassuré·e·s. Quand on oppose l’environnement à l’emploi, c’est tout le temps cette dernière qui l’emportera pour des raisons évidentes. Pourtant, il existe une voie entre les deux. En 2016, la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ) a effectué une tournée à travers la province pour discuter de ces questions. Les résultats sont tout aussi concluants que surprenants. Tout d’abord, tout le monde sait qu’il y a un réchauffement climatique, mais peu de personnes peuvent vraiment en expliquer l’origine, les causes et les effets. Simplement aborder ces questions sensibilise vers une volonté d’agir. De plus, en discutant avec ses membres, la FTQ s’est rapidement rendu compte qu’elle pouvait aller plus loin dans ses prises de positions, notamment sur la question des hydrocarbures. Les membres syndiqué·e·s sont bien sûr des travailleuses et travailleurs, mais ce sont aussi des parents, des grands-parents, des citoyen·ne·s qui sont inquiets de l’environnement.

Plus concrètement, une réelle transition au Québec implique du financement et des décisions politiques. Deux situations sont possibles : moderniser les installations ou fermer l’entreprise. Naturellement, il faut viser la pérennité des entreprises pour la survie économique des régions. Cela implique un programme de formation en entreprise. Déjà, des outils existent : la Commission des partenaires du marché du travail, qui met en commun les besoins d’adéquation en formation des entreprises avec les travailleuses et travailleurs, et le régime d’assurance-emploi. Un fonds dédié pourrait être imaginé au sein de la caisse d’assurance-emploi pour permettre aux milliers de travailleuses et travailleurs de passer au travers la crise des changements climatiques. Selon les données de la bourse du carbone, une modulation des cotisations patronales pourrait permettre de financer adéquatement les besoins en formation des entreprises face aux changements climatiques. Un programme pour faciliter la réembauche pourrait aussi être envisagé, particulièrement pour les personnes de plus de 50 ans. Finalement, l’État doit financer la modernisation des entreprises. Le Fonds vert du Québec devrait servir à cela et non au développement des hydrocarbures. D’ailleurs, question de financer adéquatement ce fonds, la bourse du carbone du Québec devrait être plus contraignante envers les entreprises ; elle devrait prendre exemple à ce sujet sur celle de la Californie.

Bien sûr, l’innovation et la création d’emplois sont également une nécessité. Au niveau de la recherche et du développement (R&D), le Québec est un peu l’enfant pauvre des pays industrialisés. Depuis plusieurs années, plusieurs pays européens consacrent environ 1% de leur PIB à la recherche et au développement. Encore une fois, une réelle volonté de financer la R&D permettrait de relancer un nouveau cycle industriel et manufacturier au Québec (voitures électriques, composantes énergétiques, etc.).

La transition juste a également un immense potentiel de création d’emplois. Selon le Blue Green Alliance du Canada, on pourrait créer 29 emplois par million investi dans les secteurs thermiques et dans les énergies propres au lieu de 2 dans l’industrie pétrolière. La Columbia Institute affirmait récemment que 4 millions d’emplois pourraient être créés d’ici 2050 dans le domaine de la construction au Canada, soit dans la rénovation et la construction écoénergétique des bâtiments et dans la réfection complète des infrastructures, notamment dans l’électrification des transports. Concernant la crise du bois d’œuvre, une réorientation de l’industrie de la forêt, selon le rapport Beauregard, permettrait de faire passer les emplois de 63 983 (en 2011) à 92 389 en 2031. Cette conversion permettraient de développer des produits en haute valeur ajoutée (ex : produits hygiéniques), de miser sur des constructions en bois et de développer la chimie verte, soit les nanocristaux celluloses, qui permettrait de remplacer le pétrole dans la production de plastique. S’ajoute à cela la biomasse, comme source d’énergie.

Tout ceci apporte néanmoins son lot de paradoxes et certains diront que la production de voitures électriques implique une trop grande production de batterie au lithium et que l’utilisation des résidus forestiers pour la production de biomasse a un impact sur l’écosystème de la forêt.

À vrai dire, c’est un énorme point d’interrogation, et bien qu’il existe bon nombre d’études, il n’y a pas consensus en la matière.

La seule chose qui est sûre, c’est qu’il faut rassurer ceux et celles qui pourraient payer chèrement une transition injuste. Il faut également les impliquer tout au long des solutions proposées, et ce, le plus rapidement possible.

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