Dossier : La gauche au Québec, (…)

Dossier : La gauche au Québec, entre la gauche et les urnes

Choisir son terrain de lutte

Nicolas Phébus

Une montée des luttes sociales se traduit rarement sur le plan de la politique partisane. Au contraire, les grandes périodes de radicalité s’accompagnent souvent d’une montée parallèle de la droite.

On se souviendra que de Gaulle a été réélu après mai 68, Bourassa après la grève générale de 1972 et, plus près de nous, Charest presque deux ans jour pour jour après le Sommet des Amériques. C’est qu’il n’y a pas nécessairement de vases communicants entre les deux terrains. En fait, les anarchistes soutiennent même que le terrain électoral est un piège mortel pour les luttes sociales.

Quiconque a déjà fait un peu de travail électoral sait que ça n’a rien à voir avec la mobilisation sociale. Dans un cas on s’adresse à chaque personne individuellement, on cherche à plaire au plus grand nombre et à rassurer la population ; alors que dans l’autre, on s’adresse au contraire à des collectivités, on cherche à révéler des lignes de fracture et on veut prouver notre capacité à infléchir le cours normal des choses. Ce qui construit le rapport de force et permet des victoires est précisément ce qui effraie une importante frange de l’électorat.

On l’a vu une fois de plus au printemps dernier. C’est l’émergence dans l’espace public d’un grand désordre et la promesse d’un bouleversement réel des rapports de force qui ont fait sortir tant de gens dans la rue avec le fol espoir de changer le monde (ou au moins de donner une bonne leçon aux élites dirigeantes). Et c’est ce même désordre qui en a poussé tant d’autres dans les bras du Parti libéral et de la CAQ.

Durant la campagne électorale, les arguments des unes et des autres étaient limpides : les grévistes devaient soit s’effacer pour ne pas jouer le jeu des libéraux, soit être matés. Il fallait être raisonnable et rentrer dans le rang. Une variation sur le même thème est servie à tout le monde depuis l’élection du PQ – de la taxe santé au Sommet sur l’éducation. À ce jeu, ce sont toujours les luttes sociales qui sont perdantes.

L’ennui c’est que, concrètement, ce sont les luttes sociales qui sont le moteur du changement. Que ce soit sur le plan des consciences, des alternatives ou des politiques publiques. La grève étudiante avait réussi, chose rare, à unifier (presque) toutes les sensibilités progressistes au-delà de toute affiliation partisane. Ce qui l’a rendue possible, c’est la création d’un leadership collectif, la CLASSE, fédérant les plus pragmatiques des révolutionnaires au plus radicaux des solidaires. Les élections ont fait voler en éclat cette unité, rendant la relance de la lutte étudiante d’autant plus difficile (indépendamment de la fatigue militante, normale, que tout le monde ressent une fois l’enthousiasme collectif retombé).

Toute ma pratique militante tourne autour de l’animation des luttes. Ça implique de travailler à l’unité du plus grand nombre autour d’objectifs communs de transformation sociale. Dans ce contexte, si l’action politique est utile et nécessaire, la politique partisane, elle, est contre-productive. Si je n’étais pas déjà anarchiste, je crois bien que je serais obligé de le devenir.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème