Dossier : Cégeps – 50 ans d’existen

Dossier : Cégeps. 50 ans d’existence

Quel rôle pour le syndicalisme ?

Yannick Delbecque, Lucie Piché, Caroline Senneville

Dès la création des cégeps, les luttes syndicales ont influencé l’organisation du travail et contribué à maintenir la mission originale des collèges. Les syndicats d’enseignant·e·s jouissent d’une reconnaissance assez unique au Québec, qui leur a permis dans le temps d’exercer une influence importante, autant locale que nationale, dégrèvement pour les membres des exécutifs, enveloppe salariale fermée, accès à de multiples informations clés, etc. Pour discuter de l’influence du syndicalisme sur les cégeps et des luttes passées et celles à venir, nous avons joint Caroline Senneville, présidente de la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ-CSN), et Lucie Piché, présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants de cégep (FEC-CSQ). Propos recueillis par Yannick Delbecque.

À bâbord ! : Comment le syndicalisme a-t-il contribué à la construction et au développement des cégeps ? Quel rôle l’action syndicale a-t-elle joué dans la construction de ces établissements d’enseignement tels que nous les connaissons aujourd’hui ?

Caroline Senneville : D’abord, à travers la négociation de nos conditions de travail, l’action syndicale a permis de faire évoluer la structure collective dont font partie les départements et les comités de programme et de renforcer la collégialité essentielle à notre travail. Par exemple, la notion de « chef de département » nommé par le collège a évolué vers celle de « coordonnatrice ou de coordonnateur » désigné par ses pairs. Les syndicats ont été à l’avant-garde de la question de l’accès à l’égalité en emploi : dès 1983, les conventions collectives des enseignantes et des enseignants de cégep prévoient un comité national qui se penche sur l’implantation d’un programme d’accès à l’égalité en emploi, alors qu’il faut attendre 2001 avant que cette pratique ne soit instituée par le gouvernement du Québec.

Lucie Piché : La promotion d’une éducation publique favorisant l’égalité des chances est au cœur du projet syndical de la FEC, qui a vu le jour dans les mois qui ont suivi la création des cégeps. Les valeurs portées par notre mouvement syndical recoupent donc étroitement la mission des cégeps, fondée sur la démocratisation de l’éducation.

On cherchait également à l’époque à rompre avec la formation élitiste des collèges classiques, d’où la volonté d’offrir à toute la population étudiante du collégial une formation générale forte, propre à développer un fonds culturel commun et à former des citoyennes et des citoyens ouverts d’esprit et critiques de leur monde. La défense de cette formation générale par notre mouvement syndical au fil des décennies a permis de maintenir cet objectif qui demeure tout aussi pertinent aujourd’hui que dans les années 1960.

La promotion d’un modèle participatif de gestion a également façonné le milieu collégial, impliquant le personnel enseignant, tout comme les autres catégories d’emploi et la population étudiante, dans les orientations locales. La valorisation de l’expertise des profs, fondée sur l’autonomie professionnelle et la collégialité, a par ailleurs fait des départements un microcosme de démocratie participative. Ce modèle, qui a donné une couleur spécifique au militantisme syndical, est cependant remis en question à l’heure de la nouvelle gestion publique où prime une gestion plus autoritaire en matière de relations de travail.

ÀB ! : De quelle manière le militantisme syndical au collégial contribue-t-il à la réalisation de la mission des cégeps ? En quoi ce militantisme est-il différent de celui qu’on trouve dans les autres organisations syndicales ?

Lucie Piché : En insistant sur les facteurs sociaux liés à la réussite éducative, le militantisme syndical contribue à la mission des cégeps parce qu’il met en lumière des éléments structurants qui dépassent l’offre de cours. Origine sociale, sexe, ethnicité ou provenance régionale constituent autant d’éléments pouvant jouer un rôle déterminant dans l’accès aux études post- secondaires. L’égalité des chances passe donc par des mesures de soutien que revendique le mouvement syndical, des mesures tant financières – on pense par exemple au programme de prêts et bourses étudiant – que pédagogiques. Cette préoccupation n’est qu’un exemple parmi tant d’autres illustrant la volonté du mouvement syndical de pérenniser le projet initial des auteurs du rapport Parent de contrer les inégalités sociales par l’éducation.

Caroline Senneville : Le militantisme syndical au collégial ne se limite pas aux conditions de travail, mais aussi aux conditions d’enseignement, à l’accessibilité aux études dans toutes les régions et au développement des programmes : c’est donc une vision de l’enseignement supérieur et de l’éducation au Québec, une vision de société que nous portons aussi. À titre d’exemple, notre campagne actuelle « Un DEC, c’est un DEC, partout au Québec ! » ne vise pas les conditions de travail, mais plutôt la préservation d’une formation de citoyennes et de citoyens travailleurs qui ne soit pas dictée par les entreprises.

En ce qui a trait à l’originalité de la FNEEQ, comme elle regroupe des syndicats d’institutions collégiales publiques et privées et d’institutions universitaires, ce qui en fait la fédération la plus représentative de l’enseignement supérieur au Québec, il s’agit du lieu privilégié pour poser un regard large sur l’enseignement supérieur et pour coordonner des luttes communes à ces différents milieux. Par ailleurs, le militantisme de la FNEEQ est aussi très actif sur le deuxième front, ce qui n’est pas étranger au choix politique qu’a fait une majorité d’enseignantes et d’enseignants d’appartenir à la FNEEQ et à la CSN, une centrale multisectorielle, ouvrière et donc fortement ancrée dans la société.

ÀB ! : Quelles luttes syndicales à venir pourraient encore influencer l’évolution des cégeps ?

Caroline Senneville : Les luttes à venir sous-tendent pour la plupart la question de l’accessibilité, celle à une formation de qualité, à des diplômes qualifiants et à la formation d’une main-d’œuvre en emploi dans des conditions d’enseignement qui le permettent. Nous sommes un peu les gardiennes et les gardiens de l’égalité des chances pour que la population étudiante dans toutes les régions ait accès à une formation initiale et à la formation continue, selon une diversité de parcours. À ces luttes s’ajoute celle déjà évoquée de la nécessité de préserver la mission essentielle des cégeps de former des citoyennes et des citoyens travailleurs qui ne sont pas à la merci des changements du milieu de l’emploi, mais dont la formation suffisamment large permet de s’y adapter.

Lucie Piché : Bien que le réseau ait démontré toute sa pertinence depuis 50 ans, il s’avère essentiel de lutter pour maintenir une formation qualifiante et non strictement arrimée aux besoins des entreprises, et ce, dans toutes les régions du Québec. La lutte contre la hausse constante des frais afférents qui ne cessent de grever le budget étudiant –et celui des familles– est tout aussi essentielle qu’un réel réinvestissement en éducation supérieure. À l’instar de l’ensemble des services publics, les compressions budgétaires imposées au nom de l’austérité ont en effet eu un impact très négatif sur les services offerts en éducation supérieure. Il revient aussi au mouvement syndical d’exiger que la formation à distance, qui se développe de plus en plus pour pallier le déclin démographique de certaines régions, soit bien balisée car ce modèle n’est pas sans danger pour les jeunes dont le projet scolaire n’est pas clairement orienté. Voilà quelques dossiers prioritaires qui, croyons-nous à la FEC, peuvent influencer l’évolution des cégeps dans les années à venir si l’on veut maintenir les lignes de force du projet initial : accessibilité aux études, égalité des chances, acquisition d’une culture commune favorisant le vivre ensemble et développement d’une conscience citoyenne.

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