L’identité québécoise. Du château fort à la gélatine

No 69 - avril / mai 2017

Le Québec à l’ère Trump

L’identité québécoise. Du château fort à la gélatine

David Sanschagrin

Débattre publiquement d’identité, québécoise ou canadienne, n’implique pas nécessairement de sombrer dans le conservatisme identitaire, où l’Autre est perçu comme une menace à la préservation de « notre » culture.

On peut tout à fait discuter des valeurs générales d’une société auxquelles on s’identifie (État de droit, protection du français, etc.) que l’on voudrait cristalliser dans une loi constitutionnelle ou quasi constitutionnelle, comme au Québec avec la Charte des droits et libertés de la personne ou la Charte de la langue française. C’est plutôt la façon incendiaire et irrationnelle dont le débat est mené au Québec, et de manière générale en Occident, qui pose problème. Car des élites démagogues sèment la division, popularisent une conception naturaliste et exclusive des cultures nationales, voient l’Autre comme une menace plutôt qu’un apport positif et proposent les mauvaises solutions (comme le rejet de l’immigration) à des problèmes mal identifiés (les effets de la mondialisation sur le marché du travail par exemple).

L’identité n’est pas un château fort assiégé par des hordes barbares cherchant à détruire « notre » culture pour « nous » imposer la leur. Même si l’identité a une certaine permanence, en s’inscrivant dans des institutions (comme l’école), elle est aussi changeante et de nature flexible, à la fois politique et culturelle, et elle ne s’arrête pas aux frontières officielles des États. Sur le territoire d’une même communauté politique, il existe aussi de profondes différences culturelles entre régions, classes sociales et groupes socioculturels.

Peur et rigidité contre violence et flexibilité

Qu’ils s’agissent de films japonais, de musique américaine ou de religion musulmane, les influences extérieures sont légions et pénètrent dans la culture québécoise de tous les côtés, qu’on le veuille ou non. Commencer à montrer du doigt l’ennemi intérieur (comme le Musulman ou l’élite multiculturelle déphasée), comme le font certain·e·s chroniqueurs·euses, pour tenter de retrouver la « pureté » de « notre » culture est futile et dangereux. Futile parce qu’il n’y a pas de tel âge d’or national et qu’une culture est appelée à changer, car elle n’est pas un château fort ou une bulle imperméable, mais plutôt une sorte de gélatine mouvante et poreuse. Dangereux parce qu’établir une division hiérarchique de la société sur des bases ethnoculturelles et confessionnelles est un cocktail social explosif.

Si la vigilance est de mise en politique dans un monde changeant et aux multiples menaces (économiques, terroristes, environnementales), la peur et l’inquiétude ne sont jamais bonnes conseillères. La vigilance commande une démarche rationnelle : s’appuyer sur des faits pour identifier un problème et proposer des solutions adéquates.

L’économie mondialisée met en compétition les travailleurs·euses du monde entier à cause de la recherche effrénée de profits de la part des grandes entreprises. Pendant ce temps, les partis politiques sociaux-démocrates, de défenseurs de la classe laborieuse, sont devenus des promoteurs de cette économie libre-échangiste. La misère et la violence frappent encore plus durement les pays du Sud, dont les habitant·e·s cherchent une vie meilleure au Nord. La réponse rationnelle n’est pas de voir la personne racisée issue d’une immigration récente comme une menace économique et culturelle. La réponse est plutôt de lutter pour une économie mondialisée radicalement différente, de s’opposer à l’évasion fiscale et d’assurer une meilleure redistribution de la richesse. Les travailleurs licenciés blancs et les réfugiés sans emploi maghrébins ont un problème commun : le capitalisme parasitaire des banquiers.

Pour le Québec francophone, son statut minoritaire en Amérique du Nord est déjà une source d’inquiétude, qu’il n’est pas nécessaire d’attiser en invoquant la menace, inexistante, d’une islamisation de la société. Rejetant le nationalisme conservateur de la race et de la religion, la société québécoise a choisi dans les années 1960 que le français soit le facteur d’appartenance nationale. Le Québec a des défis à relever pour préserver et accroître son caractère français face à la mondialisation et à la langue dominante anglaise. L’intégration des immigrant·e·s à la communauté francophone est l’une des réponses à ce défi. Des moyens rationnels existent pour favoriser cette intégration : la francisation des entreprises de 50 employé·e·s ou moins, une meilleure reconnaissance des diplômes et l’augmentation des budgets pour les cours de français.

L’immigration est une recherche d’une meilleure vie, et le Québec francophone, avant de montrer du doigt la mauvaise foi de l’immigrant qui refuse de s’intégrer, doit remplir sa part du contrat en donnant les outils favorisant cette vie meilleure.

S’il est raisonnable de demander à l’immigrant de respecter les lois en vigueur et le caractère français du Québec, il est par contre inacceptable de s’attendre à ce qu’il mette de côté sa culture pour adopter la « nôtre ». D’abord, il pourrait « nous » demander de lui définir précisément ce qu’est « notre » culture québécoise, auquel cas il n’aurait pas la même réponse selon son interlocuteur. Ensuite, l’immigration est une relation d’échange : d’un côté est offerte une société plus sûre et prospère, de l’autre le ou la nouvelle arrivant·e contribue à cette dernière. La relation d’échange ne s’arrête pas là, car tout véritable échange suppose un rapport mutuel qui produit quelque chose d’un peu différent. On ne peut pas accepter l’Autre chez soi, lui dire qu’il est chez lui, et ensuite vouloir qu’il soit comme « nous » et n’ait pas son mot à dire sur la façon d’occuper la maison. Ce n’est pas un ennemi, mais un allié potentiel.

Le Québec a changé, va continuer de le faire, et c’est bien ainsi. Les âmes canadiennes-françaises inquiètes ne conçoivent pas que l’on puisse être aujourd’hui Québécois, francophone et musulman pratiquant parce qu’elles refusent le réel. Le multiculturalisme n’est pas seulement une politique fédérale de gestion de la diversité qui a ses ratés, c’est aussi le fait sociologique du pluralisme au cœur de la société québécoise.

Or, depuis une dizaine d’années, des animateurs de radio, des chroniqueurs et des politiciens se font du capital politique sur le dos des Néo-Québécois·es en dénonçant « l’Autre qui refuse de s’intégrer », « qui rejette les valeurs québécoises », « qui ne veut pas apprendre le français », etc. Du coup, ces personnes ont donné une légitimité aux discours xénophobes et ont normalisé la violence raciste. Qu’il s’agisse de Mario Dumont en 2007 critiquant les « accommodements déraisonnables », de Bernard Drainville avec sa Charte des « valeurs québécoises » ou encore de Jean-François Lisée qui a évoqué la possibilité de cacher une mitraillette sous une burqa, la carte islamophobe a été invoquée pour faire des gains politiques. Ces personnes ont joué de manière irresponsable avec le cocktail explosif de la division ethnoculturelle et religieuse, elles ont donc une responsabilité dans la détérioration du climat social et politique et la montée du conservatisme identitaire au Québec depuis dix ans. Elles n’ont pas tiré de balles dans une mosquée de Sainte-Foy, mais elles ont participé au développement d’un terreau fertile à ce genre de comportement violent.

Il est grand temps de conclure cette parenthèse conservatrice identitaire et de revenir aux faits : l’intégration au Québec est une relation mutuelle qui se passe en français et qui ne concerne pas la croyance des nouveaux et nouvelles arrivant·e·s. De ce brassage démographique, la culture commune est appelée à changer et à se recomposer continuellement, tout en préservant une certaine continuité. Après, les gens prieront –ou non– le dieu de leur choix.

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