Tout en équilibre

No 69 - avril / mai 2017

Camp de formation de Lutte Commune

Tout en équilibre

Isabelle Bouchard

Les 28 et 29 janvier 2017 s’est tenu le premier camp de formation de Lutte Commune, un réseau composé de travailleurs et travailleuses du secteur public et du milieu communautaire ainsi que d’étudiant·e·s. Au cours de cette fin de semaine, plus de 130 personnes ont saisi l’occasion d’aborder les enjeux de l’heure du syndicalisme.

Devant cette diversité de participant·e·s, on comprend qu’il n’est pas évident de proposer aux participant·e·s une formule qui puisse satisfaire et répondre pleinement aux besoins de chacun·e. Or, la formule de type « ateliers-formations-cours » proposée et réfléchie par les organisatrices·teurs du camp nous est apparue tout à fait adéquate parce qu’elle a gagné le pari de l’équilibre : celui de répondre aux besoins différents des participant·e·s.

Entre théorie et pratique

Très schématiquement, on peut prétendre que l’univers syndical est divisé en deux. Il y a les militant·e·s que l’on peut qualifier de « pragmatiques », alors que les autres sont étiquetés « idéalistes ». Les premiers sont affairés à mettre en place des actions, des structures ou des campagnes qui visent notamment une meilleure organisation des forces syndicales. Les seconds se concentrent davantage sur la recherche de sens comme fondement à l’action.

Il ne faut pas concevoir ces types de militance comme opposés puisqu’il s’agit plutôt d’aspirations complémentaires. La programmation du camp de formation de Lutte Commune a proposé des activités pouvant répondre aux deux axes. Sans faire le résumé exhaustif de tous les ateliers, nous en présentons ici quelques-uns afin d’illustrer notre propos.

Ainsi, plusieurs ateliers ateliers à saveur pratique étaient offerts. Tristan Lamour et Mostafa Henaway ont animé un atelier sur le thème de l’organisation en milieux non syndiqués, thème fort inusité dans l’univers syndical habituel. L’atelier a été l’occasion de revenir sur l’expérience récente de syndicalisation de la succursale Frite Alors ! de la rue Rachel, à Montréal. Camille Robert a quant à elle a donné un atelier d’infographie militante dont le thème était la conception de matériel d’information. Elle a présenté les bases théoriques et pratiques afin de rendre le matériel d’information « regardable, lisible et efficace ».

Les pragmatiques ont pu aussi participer à un atelier portant sur la mise en place d’un comité de mobilisation en milieu de travail. Les animateurs, Benoît Tellier et Philippe Lapointe, ont su présenter deux expériences de mise en œuvre de tel comité (en milieu collégial et en milieu industriel) en axant leur exposé sur les aspects pratiques du processus. À la suite de l’exposé, les participant·e·s ont été amenés à discuter de questions de fond telles que : comment transformer une culture syndicale ? Comment démocratiser la prise de parole et introduire une culture du débat ? Comment devenir un syndicat autonome, capable de se donner une vie propre ? Évidemment, l’atelier n’a pas réglé ces questions, mais il a permis d’évoquer des pistes de solution, notamment la mise en place de comités de mobilisation dans les syndicats locaux ou encore le fait d’accepter qu’une proposition émanant d’un exécutif puisse être renversée par une majorité de membres à la suite d’un débat.

La programmation a fait une place presque équivalente aux amants de la théorie. Xavier Lafrance a présenté un atelier portant sur l’histoire critique du syndicalisme dans lequel il a traité des types de syndicalisme pratiqués en Amérique du Nord, de leurs pratiques et de leur évolution. Pour leur part, Marlihan Lopez et Irina Badita ont offert une formation initiale sur le concept d’intersectionnalité. L’atelier « Dépasser le capitalisme : enjeux et stratégies syndicales » a quant à lui permis de mettre en lumière les différentes positions syndicales allant de l’abolitionnisme aux positions à caractère plutôt réformiste. Les quatre présentateurs·trice, Jeanne Reynolds, Claude Vaillancourt, David Mendel et Fabien Torres ont su, par leurs propos, enrichir la réflexion sur cet enjeu peu discuté dans les instances syndicales traditionnelles.

Entre hommes et femmes

En plus d’incarner l’équilibre par ses propositions d’ateliers pratiques et théoriques, le camp de formation de Lutte Commune s’est aussi déroulé dans le respect de la parité hommes-femmes. Le souci des membres du comité organisateur à cet égard était manifeste. En effet, la programmation comportait 14 animatrices-conférencières et 14 animateurs-conférenciers. Cette parité effective dans la composition des panélistes contraste avec la situation qui prévaut dans les instances syndicales traditionnelles. Il faut aussi mentionner le souci des animateurs et des animatrices des ateliers qui ont proposé l’alternance de la prise de parole lors des périodes d’échanges même si, finalement, plus de participants ont pris la parole que de participantes, au demeurant moins nombreuses.

L’équilibre de la programmation de l’événement ne se limitait pas aux éléments précédents. Il faut en souligner un autre encore, celui du partage équilibré de la prise de parole entre, d’une part, les personnes responsables de l’animation des ateliers et, d’autre part, les participantes et participants eux-mêmes. Il arrive parfois que dans les instances syndicales traditionnelles, la parole revienne plus souvent aux élu·e·s. Ce qui est probablement légitime en fonction des pratiques internes et généralement admises par les membres. Toutefois, ces pratiques font en sorte qu’à l’occasion, les membres ne prennent pas la parole, brisant ainsi l’équilibre que certain·e·s souhaitent. Durant les deux jours du camp de formation, cet équilibre a été atteint. Les participant·e·s ont pris la parole, ils et elles ont bonifié les débats en présentant leurs propres expériences, leurs interrogations et leurs remises en question. Il faut dire que le respect du temps réparti pour les présentations a facilité cette prise de parole.

Si les intentions des membres du comité organisateur du camp de formation de Lutte Commune étaient « d’outiller les militant·e·s, tant sur le plan des idées que sur le plan de l’organisation concrète, de tenir des débats de fond sur des sujets peu abordés dans les instances syndicales officielles et de briser l’isolement [1] », force est d’admettre que le camp a été une véritable réussite.

À lire sur le même sujet : « Pour un syndicalisme hors des sentiers battus » de Valérie Beauchamp


[1Tiré du site web de Lutte Commune : http://luttecommune.info.

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