Un parti qui hésite... 10 ans plus tard

No 63 - février / mars 2016

10 ans de Québec solidaire

Un parti qui hésite... 10 ans plus tard

Diane Lamoureux

Québec solidaire a eu 10 ans en février 2016 et À bâbord ! avait produit un court dossier à ce sujet au même moment. Dans la foulée du 11e congrès du parti qui s’est tenu la fin de semaine dernière, nous mettons en ligne ce dossier. Vous trouverez ici le texte critique de Diane Lamoureux. Dans cet autre article, est réunie la dizaine de témoignages de personnalités publiques soulignant le travail parcouru depuis la fondation de QS.

Dossier coordonné par Philippe Boudreau.

Lors de sa création, Québec solidaire se voulait un parti cherchant à promouvoir le bien commun à travers un programme qui se revendiquait de l’écologie, de la gauche, de la démo­cratie, du féminisme, de l’altermondialisme et d’un Québec pluriel et souverain. Tout un programme ! Ce qui explique peut-être que, 10 ans plus tard, il soit encore en cours d’élaboration bien que les diverses échéances électorales aient permis d’en préciser les contours.

Il me semble important, d’entrée de jeu, de préciser d’où je parle. Je n’ai jamais adhéré à Québec solidaire, même si j’ai assisté à son congrès de fondation et que j’y compte de nombreux ami·e·s. Par ailleurs, comme militante, j’ai toujours été plus intéressée par la forme mouvement et les collectifs affinitaires que par les structures partisanes. En outre, il me semble que les changements sociaux véritables ne viennent pas des institutions, quoique celles-ci aient un rôle à jouer pour les relayer et les généraliser, mais des innovations et des mobilisations à l’intérieur de la société civile.

Issu des mouvements sociaux et voulant contrer la droite et les politiques néolibérales, QS contribue maintenant à donner une voix aux mouvements sociaux à l’Assemblée nationale ; mais le faible nombre de député·e·s et le faible temps de parole accordé au parti doit être pris en compte. Trois député·e·s en trois élections, à ce rythme le parti n’obtiendra une majorité de sièges à l’Assemblée nationale que dans très longtemps, d’autant plus qu’il existe surtout à Montréal, en dépit des tentatives de s’implanter dans les autres régions. Son appui populaire n’augmente pas tellement, malgré un rejet des politiques austé­ritaires du gouvernement Couillard par la population québécoise. Cependant, le rapport que le parti entretient avec les mouvements sociaux reste tout de même ambigu. Les urnes et la rue ne font pas toujours bon ménage. Après avoir activement soutenu le mouvement étudiant de 2012, QS s’est tout de même engagé dans la campagne électorale, alors que c’était une des tactiques du Parti libéral pour casser la grève.

Apports et lacunes

C’est paradoxalement sur la question nationale que l’apport de QS a été le plus intéressant jusqu’à présent. Partisan de ce que l’on pourrait qualifier de souveraineté utilitaire (favoriser la souveraineté parce que le contexte québécois est plus favorable que le contexte canadien pour mettre en pratique le programme du parti), Québec solidaire a su éviter les dérives du nationalisme ethnique dans les débats sur les accommodements raisonnables et sur la Charte des valeurs et est resté fidèle à sa vision d’un Québec pluriel riche de ses diverses vagues migratoires et ouvert aux revendications de ses populations auto­chtones, tout en favorisant la place du français comme langue publique commune. Le processus d’accession à la souveraineté que propose QS peut sembler laborieux, mais il est toutefois plus ouvert et inclusif que les « astuces » (qui se transforment souvent en pétards mouillés) du Parti québécois.

Il n’en reste pas moins que si QS a sa place sur l’échiquier politique québécois comme parti de gauche, le mode de scrutin actuel joue en sa défaveur. Si certain·e·s militant·e·s de QS militent activement en faveur d’une réforme du mode de scrutin, on ne peut pas dire que le parti, comme parti, soit particulièrement actif dans ce domaine. Or, pour effectuer une véritable percée parlementaire, QS est confronté à un dilemme : soit miser sur une réforme du mode de scrutin qui ouvrirait l’éventail des choix politiques dont nous disposons, mais dans ce cadre son positionnement multiple (les étiquettes dont j’ai fait mention au début) peut s’avérer un fardeau par rapport à des partis plus spécialisés (comme un parti vert, par exemple) ; soit escompter la disparition du PQ du paysage politique, ce qui ouvrirait la voie à une reconfiguration des forces politiques non pas sur l’axe souveraineté/canadianité, comme c’est le cas depuis le début des années 1970, mais sur l’axe gauche/droite, ce qui pourrait favoriser l’expansion de QS comme seul parti de gauche. Cependant, rien n’indique que l’une ou l’autre de ces avenues se concrétiseront à court terme, ce qui condamne en quelque sorte QS à vivoter à la marge de la représentation politique.

Des positions à préciser

Par ailleurs, il serait utile de s’interroger sur ce que signifie être de gauche, en 2015, au Québec. Le posi­tionnement de QS en faveur de l’écologie, du féminisme, de la démocratie, de l’ouverture à la diver­sité ethnoculturelle entre grosso modo dans une perspective de gauche aujourd’hui. Mais, il y a également le capitalisme vert, une instrumentalisation de l’égalité entre les hommes et les femmes à des fins racistes et islamophobes, une réduction de la démocratie à son volet représentatif et des déclinaisons conservatrices de la diversité ethnique. Reste donc à préciser quel type de gauche incarne QS.

Une première zone de flou entoure la question du capitalisme. QS invoque régulièrement le bien commun et la justice sociale et dit vouloir « dépasser le capitalisme ». C’est certainement préférable aux politiques austéritaires du gouver­nement en place qui évide les institutions démocratiques, soutient les canards boiteux du Québec inc., marchandise les services publics en atten­dant de les privatiser, brade nos ressources natu­relles et veut s’inscrire dans l’économie pétrolière. Mais quels sont les modes de dépassement du capitalisme ? L’altermondialisme a créé une zone de flou en se parant de bonnes intentions et de bons sentiments tout en évitant de poser la question de la nature intrinsèquement injuste du capitalisme.

À cet égard, QS est lourdement handicapé par ses origines dans le mouvement communautaire et par les paradoxes de ce mouvement. En effet, le mouvement communautaire est le lieu d’une organisation sociale autonome des groupes dominés dans la société, le terreau de plusieurs inno­vations sociales (les garderies populaires des années 1970 ont rendu possible la création des CPE ; les cliniques communautaires ont poussé le gouvernement à mettre en place des CLSC, etc.). Mais il est aussi le lieu où l’on panse les plaies sociales du capitalisme par la mise en place de services divers qui pallient certaines conséquences des injustices sociales créées par le capitalisme ou le désengagement de l’État concernant la dispensation de services publics. Au cours des dernières années, le communautaire s’est beaucoup inves­ti dans l’économie sociale et la lutte à la pauvreté, ce qui est loin de constituer une réponse d’ensemble au capitalisme et peut même contribuer à le conforter, comme en témoignent l’inclusion de la lutte à la pauvreté dans le programme du millénaire de la Banque mondiale ou la solvabilité des pauvres par des programmes de microcrédit.

Prôner une rupture avec le capitalisme comme mode de production et de distribution de la riches­se, ce n’est pas répéter sous une nouvelle forme le vieux débat entre réforme sociale et révo­lution. Par exemple, comment se dire écologiste aujourd’hui si l’on ne prend pas en considération que le maintien de la planète Terre comme lieu habitable par les êtres humains nécessite d’en finir avec un système économique qui prône l’accumulation infinie plutôt que la satisfaction des besoins humains, qui repose sur l’échange (par défi­nition illimité) plutôt que sur l’usage (limitable) ? Le fémi­nisme se réduit-il à l’accession de quelques femmes à l’élite politique, économique ou médiatique ou ne prône-t-il pas plutôt une profonde transformation de la production et de la reproduction et un dépassement du binarisme du genre ?

Bref, il est des hésitations qui contribuent à étouffer le débat politique ou à l’obscurcir, et des ambiguïtés qui ne nous permettent pas d’espérer laisser le vieux monde capitaliste derrière nous.

Thèmes de recherche Politique québécoise
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