L’héritage social et politique de Jean Tremblay

Dossier - Autocratie municipale

Saguenay

L’héritage social et politique de Jean Tremblay

Dossier : Autocratie municipale

Claude Côté

Les prises de parole publiques du maire de Saguenay, Jean Tremblay, ont à plusieurs occasions fait couler beaucoup d’encre. En septembre 2015, il annonçait qu’il ne se représenterait pas à la fin de son mandat en 2017. Pour certain·e·s, c’était une très bonne nouvelle, presque une libération. Résultat de la fusion en 2002 de Chicoutimi, Jonquière et La Baie notamment, Saguenay n’a eu que ce maire coloré depuis. Quel héritage laissera-t-il ?

Jean Tremblay sera longtemps associé à la prière récitée aux séances du conseil muni­cipal et à sa défense acharnée de celle-ci devant les tribunaux. En 2006, Alain Simoneau, alors citoyen de Saguenay, portait plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse contre la pratique du maire. Cette plainte a galvanisé ce dernier, qui a mobilisé ses troupes et les ressources de la Ville afin de la contrecarrer. La bataille judiciaire a été portée jusque devant la Cour suprême du Canada (CSC), qui a finalement obligé le maire Tremblay à cesser cette pratique.

L’enjeu soulevé par cette bataille était principalement celui de la neutralité de l’État. La séparation de l’Église et de l’État dans le contexte saguenéen n’était en effet pas respectée comme en fait foi la décision de la CSC : « Par la récitation de la prière en litige lors des séances publiques de délibérations du conseil municipal, les intimés adhèrent sciemment à certaines croyances religieuses à l’exclusion des autres. Ce faisant, ils contreviennent à l’obligation de neutralité qui incombe à l’État. »

Greenpeace et les intellectuels

« Je vous demande, les syndicats, les travailleurs : mobilisons-nous contre Greenpeace et contre les intellectuels de ce monde. » Voilà comment s’exprimait le maire à l’égard de Greenpeace et des intellectuels l’an dernier. C’est au courant de l’année 2007, lors d’une action de l’ONG à Saguenay visant à protéger la forêt boréale que le premier magistrat fait leur connaissance. C’est d’ailleurs à la suite d’une entrevue donnée aux différents médias régionaux concernant ce coup médiatique de Greenpeace que le maire devient une vedette de l’émission Infoman, qui le rebaptise Jean « là là » Tremblay. En 2015, le maire Tremblay proposait ainsi à la société civile saguenéenne de se mobiliser contre cette organisation militante puisque l’entreprise Produits forestiers Résolu (PFR), établie dans la région, avait perdu son accréditation FSC (Forest Stewardship Council) qui garantit la bonne gestion de la forêt. Dans la logique tout à fait ridicule du maire Tremblay, c’était la faute de Greenpeace. Selon lui, les usines qui ferment dans la région sont le résultat de l’activisme des groupes comme Greenpeace qui préfèrent sauver un caribou forestier plutôt que les emplois dans la région.

Cet épisode d’appel à la mobilisation du maire contre Greenpeace et les intellectuels n’est pas sa première frasque contre les intellos. En 2012, lors de la campagne électorale québécoise, la candidate du Parti québécois Djemila Benhabib s’est prononcé sur la présence du crucifix à l’Assemblée nationale. Les propos de cette dernière ne firent pas l’affaire de M. Tremblay et celui-ci prétexta qu’elle n’avait pas à s’interroger sur le sujet étant donné qu’il avait du mal à prononcer le nom de Mme Benhabib. En réaction à ces propos, le sociologue Gérard Bouchard, ancien co-président de la Commission sur les accommodements raisonnables, a suggéré à l’émission Tout le monde en parle que Jean Tremblay n’était rien d’autre qu’un intégriste religieux. C’était suffisant pour que le maire dénonce vertement les propos de Bouchard et suggère que ce dernier était allé à l’école « beaucoup trop longtemps » ! Il revient à la charge en 2015 en proposant de se mobiliser contre les intellectuels, comme nous l’avons souligné précédemment.

Pas à une contradiction près, le maire Tremblay proposait pourtant en 2013 de faire de Saguenay une ville universitaire, à l’image de Sherbrooke, en travaillant de concert avec l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Reste maintenant à voir la place qui serait accordée aux « intellectuels » de cette ville universitaire…

Mouvement étudiant et anti-émeute

Comme plusieurs autres endroits au Québec, Saguenay a été touché par le mouvement de grève étudiante de 2012 ; certains programmes d’études de l’UQAC et du cégep de Jonquière ont fait grève durant cette période. À l’instar de Montréal, plusieurs manifestations ont eu lieu dans les rues de la ville, bloquant à l’occasion des boulevards et même le pont Dubuc, unique lien entre le centre-ville de l’arrondissement de Chicoutimi et la rive nord de la rivière Saguenay.

Dans ce dossier, le maire s’est prononcé timidement sur la question des droits de scolarité, proposant d’imposer une hausse mais sur une plus longue période, proposition qui avait étrangement été reprise par le gouvernement de Jean Charest à l’époque. En avril 2012, lors de son passage au Cercle de presse du Saguenay, le maire Tremblay affirmait que les manifestations étudiantes étaient dérangeantes, mais qu’il n’augmenterait pas le budget de la Sécurité publique de Saguenay (SPS). Il faut rappeler que Saguenay, à cette époque, n’avait toujours pas de service de police munie d’une unité de contrôle de foule. Or, en novembre de la même année, bien qu’il ait annoncé qu’il ne financerait pas davantage le SPS, la Ville annonçait qu’elle débourserait 100 000 $ pour acheter l’équipement et former des policiers afin d’être conforme aux exigences du ministère de la Sécurité publique. Cette décision est survenue seulement une fois la grève étudiante terminée. Maintenant, dans un contexte où l’opposition commence à se mobiliser au Saguenay, les élus saguenéens auront accès à une police formée au contrôle de foule.

Opposition politique et médiatique

Déjà avec la prière à l’Hôtel de Ville, des citoyen·ne·s de Saguenay se sont mobilisés à quelques reprises pour exiger que le maire cesse son entêtement. Comme quoi les dangers de l’orgueil, l’un des sept péchés capitaux, auraient pu raisonner le maire et le faire céder sur cette question. C’est en novembre 2010 qu’un premier groupe de citoyen·ne·s se rencontre afin de créer un comité politique qui a mené, en 2011, à la création d’un parti politique : l’Équipe du renouveau démocratique (ERD). C’est lors du scrutin de 2013 que l’ERD se présente pour la première fois aux élections avec comme objectif de remplacer Jean Tremblay à la tête de la septième ville en importance au Québec. Lors de cette élection, 37 % des électeurs·trices ont voté pour l’opposition et deux candidates de l’ERD ont été élues au conseil municipal. L’organisation d’un parti politique municipal est une première dans l’histoire de la ville de Saguenay. Depuis l’élection de l’ERD, une tension est palpable au conseil municipal, où le roitelet se sent surveillé et où les débats n’ont jamais été aussi courants dans les instances municipales.

À l’instar d’une opposition organisée dans un parti politique, les médias régionaux ont aussi exercé un contre-pouvoir au maire – du moins une part d’entre eux. C’est principalement des journalistes radio-canadiens qui soulevaient les irrégularités dans la gestion du maire. D’autres médias, surtout KYK Radio X, ont appuyé le maire et ses idées. Cette station de radio a notamment organisé une campagne de financement dans le dossier de la prière afin de soutenir cette « lutte ». Par la suite, en réponse au « mauvais » portrait que Radio-Canada dépeignait de lui, le maire Tremblay a parfois refusé de répondre à des questions le concernant, voire d’accorder des entrevues à certain·e·s journalistes. Face à cette opposition médiatique, il a décidé de mettre sur pied son propre média. Dorénavant, il réagit et fait des annonces via des capsules vidéo sur le site internet de la Ville.

Perspectives d’avenir

Nous nous demandons si la présence d’une opposition politique organisée aura finalement eu raison du règne de Jean Tremblay. Depuis la « fondation-fusion » de la ville en 2002, il a géré celle-ci comme si c’était son petit royaume et les médias régionaux ont gouté à sa médecine. Cet homme de foi aura eu un impact significatif sur le paysage politique québécois. Le discours qu’il a entretenu dans les dernières années ne fait pas honneur aux citoyen·ne·s du Saguenay-Lac-Saint-Jean. À notre avis, le discours de bon gestionnaire et d’homme de principes aura maintenu Jean Tremblay au pouvoir. En se plaçant en défenseur des « valeurs canadiennes-françaises » (sic), il a démontré une force de caractère qui a touché sans doute beaucoup d’électrices et d’électeurs saguenéens.

Ce qui reste intéressant dans ce portrait de l’héritage social et politique de Jean Tremblay est qu’en quittant la vie publique, il laisse le champ libre là où tout espoir de changement était, jusqu’à tout récemment, difficile à envisager. Ce dernier gagnait les élections avec des résultats presque staliniens. L’avenir nous dira à quoi pourrait ressembler la Ville de Saguenay avec de nouvelles personnes à sa tête. C’est au cours du prochain mandat que l’on pourra mesurer la pérennité de l’héritage de Jean Tremblay.

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