Refonte de la taxation scolaire. Une réforme qui en prépare une autre ?

No 74 - avril / mai 2018

Chronique éducation

Refonte de la taxation scolaire. Une réforme qui en prépare une autre ?

Wilfried Cordeau

En labourant les terres caquistes afin d’« alléger le fardeau fiscal des contribuables », le gouvernement Couillard prétend s’attaquer à diverses iniquités fiscales par sa réforme du modèle de taxation scolaire. Or, bien plus qu’un enjeu technique et électoral, cette réforme a une portée politique et idéologique notable.

La taxe scolaire est certainement un mode de financement régressif et problématique en matière d’équité. D’ailleurs, on peut douter que les baisses de taxe promises aux propriétaires soient répercutées sur les loyers. Cela dit, bien qu’imparfaite, cette réforme doit atténuer les importantes disparités observées dans les comptes de taxes au sein d’une même région. Outre sa portée technique, elle réaménage les rapports économiques et politiques entre le réseau scolaire et l’État, ce qui soulève d’importantes questions démocratiques. Elle pave certainement la voie aux luttes électorales de l’automne 2018, mais aussi à une nouvelle charge contre les commissions scolaires.

Austérité permanente

Ces dernières années, les politiques d’austérité ont fait en sorte que la proportion occupée par la taxe scolaire dans le budget global du gouvernement s’est retrouvée gonflée [1]. Les revenus de la taxe scolaire permettent donc au réseau de se soutenir, jusqu’à un certain point, face à certaines de ses responsabilités. Cependant, sa principale source de financement dépend des priorités budgétaires et, donc, de la volonté politique du gouvernement. Si bien que le réseau public demeure dans une situation de dépendance face au pouvoir central.

Avec le projet de loi 166 portant sur la réforme du système de taxation scolaire, le gouvernement libéral vient considérablement accroître cette dépendance. En mettant de l’avant une baisse généralisée des taxes scolaires et en insérant dans la loi une exemption de base pour toutes les propriétés, c’est plus de 670 M$ de revenus autonomes que le gouvernement soustrait aux commissions scolaires dès 2018-2019, soit plus du tiers du produit annuel de la taxe scolaire. Pour combler cette perte de revenus, une compensation systémique sera versée à même le budget de l’État. Or, celle-ci ne peut qu’ajouter une pression supplémentaire au portefeuille déjà exsangue de l’éducation. De plus, les produits de la taxe scolaire, liés à la valeur foncière, progressent généralement plus rapidement que l’inflation et les budgets du ministère. Les montants de la compensation s’avéreront donc rapidement insuffisants pour répondre aux besoins traditionnels du réseau et occuperont une part croissante du budget de l’éducation au fil des ans au détriment des autres postes budgétaires. Cette béquille risque de forcer les gouvernements futurs à trouver de nouvelles sources de revenus par la tarification ou par de nouvelles coupes dans les services, toute hausse d’impôt étant d’emblée écartée par les gouvernants néolibéraux. Cette tendance institutionnalise de fait un mécanisme d’austérité permanente.

Transformation des rapports de pouvoir

Dans ce contexte, la réduction du champ de taxation scolaire dans la structure financière du réseau public risque donc de placer les commissions scolaires, les établissements et les services en position de vulnérabilité face au pouvoir politique. En contrepartie, aucune réduction des responsabilités des commissions scolaires ne semble suivre cette recentralisation financière. Cela constitue un élément de rupture notable avec la tendance observée historiquement. Depuis 1996, diverses obligations financières se sont ajoutées aux responsabilités des commissions scolaires. Le produit de la taxe scolaire devait ainsi assurer le financement du fonctionnement des centres administratifs puis des établissements d’enseignement, ainsi qu’une partie du transport scolaire. Le poids de la taxe scolaire s’était donc accru en conséquence. Or, désormais, toutes ces obligations demeureront malgré le recul des revenus de taxation. C’est dire que le réseau sera placé entre le marteau et l’enclume et devra continuer de « faire plus avec moins ».

Ainsi, malgré la tendance à la décentralisation du réseau, la stratégie financière du gouvernement tend à accroître l’ascendant de l’État sur les structures intermédiaires. En fait, cela reste cohérent avec les diverses réformes entreprises au cours des vingt dernières années qui ont favorisé la mise en place de la Nouvelle gestion publique dans le réseau scolaire. Celle-ci a pour effet de réduire l’autonomie des acteurs en les soumettant à des obligations de résultat dans un contexte d’austérité systémique. Elle concourt à cette fin à affaiblir leurs pouvoirs ou leurs leviers stratégiques, tels que leur emprise sur les ressources financières.

En regroupant les 69 commissions scolaires dans 17 régions de taxation scolaire, la réforme institue un taux de taxe uniforme au plan régional, une perception commune des revenus fonciers et une redistribution concertée. Cette idée, qui peut favoriser des économies d’échelle et permettre la mise en commun et une distribution cohérente des ressources sur le plan régional, présente un intérêt certain. Toutefois, elle réduit au passage l’autonomie décisionnelle de la commission scolaire en matière financière, au profit d’une entité régionale potentielle. Conjuguée à la création récente des comités de répartition des ressources qui, composés de cadres scolaires et non d’élus, exercent un fort ascendant sur l’allocation des ressources au sein de la commission scolaire, la nouvelle structure de perception de la taxe scolaire donne l’impression d’un écartèlement du pouvoir financier de la structure intermédiaire. Si cette question mérite d’être approfondie dans l’espace public, force est de constater une transformation des rapports de pouvoir politiques et économiques entre l’État et les commissions scolaires, ainsi qu’au sein de ces dernières. Ce qui n’est pas étranger, tant s’en faut, à une certaine conception idéologique de la structure scolaire.

Dépolitisation de la démocratie scolaire

Symptomatique d’une conception réductrice de la gouvernance scolaire, le ministre de l’Éducation n’a entendu que des représentants des administrations scolaires en février dernier. Aucun représentant du personnel, des parents, ni de la société civile n’a été invité à se prononcer sur sa réforme. Comme si la taxe scolaire n’était qu’un enjeu strictement technique et administratif et que la réduction du financement de l’éducation n’avait aucune portée sociétale. Et c’est bien là que le bât blesse.

La conception néolibérale des structures scolaires tient généralement la démocratie scolaire en mépris et lui préfère une organisation administrative désincarnée destinée à soutenir une gestion communautaire d’établissements autonomes. Par leur pouvoir financier et législatif, les autorités impulsent une gestion axée sur les résultats destinée à épurer les structures de toute considération politique – c’est-à-dire qui concerne le pouvoir citoyen sur l’organisation et les destinées générales de l’éducation – au profit de questions strictement « administratives ». Au fil des années, les gouvernements successifs, réforme après réforme, ont ainsi expurgé la chose scolaire de son intérêt public pour la réduire à une chose technique et prétendument apolitique. N’y voyant plus d’enjeu social, les électeurs désertent donc les élections scolaires, laissant leurs élus de proximité en pâture à une crise de légitimité âprement alimentée par les partis néolibéraux qui réclament l’abolition des conseils de commissaires.

Affaiblissant le principe qui lie taxation et représentation, la réforme du ministre Proulx contribue à la délégitimation politique de la démocratie scolaire. Dès lors, la prochaine élection scolaire, par la faiblesse prévisible de son taux de participation, ne manquera pas d’être utilisée une nouvelle fois comme prétexte à une restructuration plus radicale du réseau, qu’elle soit signée d’une main libérale ou caquiste.


[1Les compressions ont été de 1,2 milliard de dollars entre 2012 et 2016, tandis que la proportion des taxes scolaires est passée de 14,4% à 18,5% durant la même période.

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