ALENA. La nouvelle offensive

No 74 - avril / mai 2018

International

ALENA. La nouvelle offensive

Ronald Cameron

Les rondes de renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) se poursuivent depuis plus de six mois et tous les scénarios quant au sort de ces discussions demeurent possibles. Donald Trump ne renonce pas à mettre fin à l’accord, mais la possibilité de les reporter après les élections mexicaines et américaines qui ont lieu cette année est une hypothèse plausible. Néanmoins, les équipes de négociation, y compris celle de l’administration Trump, travaillent dans la perspective de conclure une entente. Quelle sorte d’accord pourrait-il ressortir de ces négociations ?

Les mouvements sociaux et syndicaux se sont toujours inquiétés des conséquences des accords de libre-échange. Le but de tels accords n’est pas seulement de faciliter le commerce transfrontalier, notamment par la réduction des droits de douanes, mais aussi de réduire les obstacles au commerce, en éliminant la réglementation, en ouvrant tous les marchés et en accordant davantage de droits aux entreprises. La renégociation actuelle de l’ALENA ne fait pas exception.

Un bilan peu reluisant

Le bilan de l’ALENA est connu : depuis 24 ans, on constate une hausse de la croissance dans les trois pays impliqués, bien que l’ALENA ne soit pas le seul facteur de création de cette richesse accrue. Par ailleurs, on observe du même coup dans les trois pays que les conditions de vie et de travail, notamment les salaires, n’ont pas accompagné cette croissance. Il s’agit là d’une des raisons de la frustration de la population ouvrière américaine sur laquelle Donald Trump s’est appuyé pour son élection. Et ce sont les travailleuses et les travailleurs du Mexique qui ont le plus souffert de cette détérioration des conditions de travail et des droits humains, alors qu’on leur promettait le contraire.

Premier accord multinational signé en 1994, l’ALENA s’offre comme un modèle pour tous les accords subséquents sur les droits des entreprises, notamment en leur permettant de poursuivre les États grâce au fameux chapitre 11. Rappelons que le Canada est l’État le plus poursuivi et celui qui a perdu ses causes le plus souvent dans ce contexte. Les deux tiers des poursuites concernent la réglementation en environnement !

Les nouveaux enjeux

Les discussions en cours soulèvent plusieurs enjeux qui vont de l’ouverture du secteur privé des services au secteur agricole en passant par la production automobile et aux marchés publics. Les demandes américaines visent évidemment à renforcer la position des entreprises des États-Unis sur différents marchés. Toutefois, derrière les demandes spécifiques, les enjeux plus fondamentaux portent toujours sur la souveraineté des gouvernements à décider des règles et des normes dans des secteurs clés de leur développement.

L’ouverture des marchés publics, non seulement au niveau des gouvernements, mais aussi des municipalités et même des sociétés d’État, remet en question un important levier de développement local, régional, voire national. Le gouvernement Trudeau présente d’ailleurs l’accord entre le Canada et l’Union européenne comme un modèle qui permet des percées importantes sur ce plan.

Par ailleurs, on retrouve différentes remises en question du contenu d’origine dans la production automobile, de la gestion de l’offre dans le secteur agricole, mais aussi de la suppression des tarifications dans le commerce numérique. Les enjeux concernant l’environnement demeurent entiers : il n’y a aucune remise en question du principe de proportionnalité qui oblige à maintenir l’exportation de la même proportion d’énergie vers les partenaires commerciaux.

Les élites économiques et politiques canadiennes se présentent comme les sauveurs d’une éventuelle catastrophe, celle de la fin de l’ALENA. On doit reconnaître que le projet de Trump, avec ou sans ALENA, constitue une attaque majeure contre les classes laborieuses. Dans ce contexte, la position des organisations de la société civile nord-américaine qui demandent une nouvelle entente ne vise ni la défense de l’ALENA ni le rejet de toute entente commerciale. Elles proposent plutôt une alternative à la dérèglementation et à la libéralisation des marchés. Juste avant l’amorce des négociations, des organisations nord-américaines des trois pays ont adopté à Mexico une déclaration politique qui appelle à une nouvelle entente, basée sur le respect des peuples et de la planète.

Toutefois, force est de reconnaître que l’alternative formulée par la société civile n’est pas au centre des discussions en cours. Sur ce plan, les objectifs des négociations ne sont pas différents de ceux des années 1990. Donald Trump, aussi protectionniste qu’il puisse être, ne veut pas remettre en question la dérèglementation et la libéralisation de la mondialisation néolibérale ; il défend ainsi les intérêts des grandes entreprises aux États-Unis. D’ailleurs, sa réforme fiscale ne fait pas qu’en donner davantage aux mieux nantis, elle offre aux entreprises américaines un cadre fiscal qui s’apparente à un paradis fiscal !

Les propositions américaines dans les négociations contiennent des remises en question de la réglementation en matière agricole et dans le commerce numérique, en continuité avec les meilleures traditions de dérèglementation. Trump veut renforcer ces politiques du tout au marché. C’est d’ailleurs ce qui rend crédible la possibilité d’une entente.

La position du gouvernement Trudeau

La position du gouvernement libéral à Ottawa en vue de moderniser l’entente ne constitue en rien une orientation susceptible de faire échec aux politiques agressives de Donald Trump. Ses points d’appui sont l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne, d’une part, et le récent partenariat transpacifique (PTP), dit « progressiste », d’autre part. Par ailleurs, les ouvertures évoquées dans les négociations en cours n’ont rien de rassurant.

D’abord, l’AECG et le PTP reprennent l’essentiel des irritants typiques des accords de libre-échange, comme le droit des entreprises de poursuivre les États. De plus, le PTP, l’accord signé par la ministre Freeland en Nouvelle-Zélande le 4 février dernier, nous fait reculer sur certains développements concernant le travail et les dispositions à l’égard de la culture.

En outre, il est inquiétant d’apprendre ce que sont les avancées survenues au lendemain de la ronde de Montréal. Même si nous n’avons que des bribes d’information et que nous ne connaîtrons la réalité plus précise qu’à la conclusion d’une entente, nous avons appris que les avancées portent notamment sur la dérèglementation du commerce numérique et les normes de santé des produits alimentaires.

Si toutes les possibilités sont sur la table, celle d’une amélioration des droits humains, des normes du travail et du respect de l’environnement n’est pas prioritaire. La probabilité est grande pour que la modernisation de l’ALENA se réalise sur la base d’une extension de la dérèglementation et des politiques néolibérales appuyées par l’administration Trump.

Le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) est né dans les années 1980-1990 lors de la lutte contre les premiers accords de libre-échange. Ces accords concrétisaient la première vague des politiques néolibérales. Le combat du RQIC, notamment contre la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), s’inscrivait dans une conjoncture et un contexte de mobilisations sociales combatives, notamment en Amérique latine. Sans répéter l’histoire, le contexte politique et social actuel exige de redéfinir les plans d’action en fonction de cette nouvelle offensive, et ce, dans le cadre des mobilisations sociales d’aujourd’hui et au-delà des accords de libre-échange et de l’ALENA.

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