Les défis du prochain chef conservateur

No 84 - été 2020

Politique

Les défis du prochain chef conservateur

Bryan Breguet

En 2017, la plupart des expert·e·s et analystes (et une bonne majorité des membres du Parti conservateur) pensaient que Justin Trudeau serait imbattable lors de l’élection générale de 2019. Or, celle-ci s’est révélée « gagnable » et plusieurs personnes pensent maintenant qu’Andrew Scheer aurait en fait pu (dû ?) faire mieux. Le prochain chef réussira-t-il là où Scheer a échoué ?

Certes, le Parti conservateur du Canada (PCC) a reçu en octobre davantage de votes que le Parti libéral, mais son total de sièges était bien inférieur. La raison principale ? L’Ontario et, dans une moindre mesure, le Québec. Dans ces deux provinces, le PCC a fait pire qu’en 2015 en termes de pourcentage de votes, alors que partout ailleurs ce parti progressait assez significativement. Avec 36 député·e·s élu·e·s dans la province comptant le plus grand nombre de circonscriptions, cela ne représentait qu’un gain de 3 sièges par rapport à 2015. Juste assez pour compenser les deux pertes au Québec, mais de loin insuffisant pour envoyer Trudeau dans l’opposition.

MacKay et le potentiel québécois

Alors que la course à la direction du PCC promettait initialement d’être palpitante, avec possiblement une opposition entre plusieurs grands noms du milieu conservateur (MacKay, Ambrose, Charest, Poilievre, etc.), on se retrouve avec essentiellement Mackay seul, quasi assuré de devenir le prochain chef du parti. Oui, Erin O’Toole se présente, ainsi que plusieurs autres dont les noms sont essentiellement inconnus du grand public. Il est un peu surprenant de voir le peu de candidatures étant donné la nature « gagnable » de la prochaine élection, mais la réalité est que Peter MacKay sera selon toute vraisemblance le prochain chef. Vingt ans après avoir uni la droite canadienne, MacKay va enfin avoir sa chance de devenir premier ministre.

Que devra-t-il faire pour battre Trudeau ? La réponse facile et logique est naturellement de faire mieux au Québec et en Ontario. Le PCC pourrait se contenter de faire des gains en Ontario (surtout dans la grande région métropolitaine de Toronto, le GTA), mais il est peu probable que cela lui permette de remporter 169 sièges ou plus. Une majorité devra passer par des gains au Québec. Stephen Harper avait bien réussi à remporter une majorité parlementaire sans cette province – ou presque – en 2011, mais il s’agit d’une exception. Pour le PCC, l’objectif ne devrait pas être de remporter une majorité de sièges au Québec, mais bien d’y être compétitif dans plus d’une région et d’y remporter davantage qu’une dizaine de sièges.

Le potentiel existe. La dernière élection provinciale s’est jouée entre un parti de centre droit (la CAQ) et un autre parti de centre droit (le PLQ). L’idée que le Québec est très à gauche est un mythe. Un chef conservateur modéré et sachant parler français pourrait facilement y récolter 25 à 30 % des votes. Les sondages en 2019 créditaient le PCC de 25 % des intentions de vote en début de campagne, avant que Scheer n’entraîne son parti vers le bas (sa piètre performance en français n’aidant pas, tout comme sa prestation horrible lors du premier débat à TVA). Le PCC à 30 % au Québec pourrait faire mal au Bloc et devenir compétitif dans bien des régions ; atteindre 20 sièges ne serait pas si difficile. Si Jean Charest avait décidé de se présenter, le potentiel aurait été encore bien plus élevé. Mais 20 sièges, couplés aux gains en Ontario, donneraient une majorité aux conservateurs. Pour y arriver cependant, Peter MacKay se devra d’améliorer son français. Sa maîtrise de la langue est étonnamment mauvaise pour un politicien qui a été élu pendant 20 ans et qui avait des ambitions nationales évidentes.

Vers un centrisme ?

Peut-être une question plus générale est de savoir si le prochain chef conservateur pourra se permettre d’être plus modéré ou centriste. MacKay n’est pas un conservateur social, ainsi il n’aura pas à défendre tous les jours sa position sur l’avortement par exemple. C’est déjà ça de gagner, ça permettra aux conservateurs de promouvoir leur message sans trop de distractions.

Certains vont argumenter que le PCC a changé et que la politique canadienne connaît la même polarisation que l’on voit ailleurs, aux États-Unis par exemple. On peut observer un tel phénomène dans les résultats en Ontario où la popularité du PCC a baissé dans bien des circonscriptions du GTA tout en augmentant dans les comtés ruraux. On peut aussi voir cette polarisation dans plusieurs sondages, dont un récent de la firme Ekos. Les positions des membres du PLC et du PCC sur des enjeux tels que l’immigration ou les changements climatiques ont évolué de manière complètement opposée au cours des 10 dernières années.

Personnellement, je crois surestimées ces craintes voulant que la base conservatrice en Alberta et en Saskatchewan ne votera pas si le chef vient de l’aile modérée du parti. Ces électeurs et électrices continueront de voter PCC simplement parce qu’ils détestent Trudeau. Il n’y a pas vraiment d’alternative pour eux de toute manière. Aussi, même si certains électeurs de l’Ouest décident de rester chez eux lors de la prochaine élection, cela ne coûtera pas beaucoup de sièges au PCC.

Un récent sondage Angus-Reid montrait par ailleurs que les électeurs de droite étaient plus enclins à voter pour un candidat ne partageant pas leur vision (sur les enjeux sociaux) que les électeurs de gauche (pour qui une position conservatrice sociale était perçue comme une barrière insurmontable au vote). Un sondage Nanos montrait une large majorité désirant que le prochain chef soit fiscalement conservateur. À l’inverse, seule une petite minorité voulait un chef socialement conservateur (15 % des électeurs). Même parmi les électeurs conservateurs, il y a une plus grande importance donnée à avoir un chef fiscalement conservateur, plutôt que socialement.

L’enjeu environnemental

Il y a un enjeu qui pourrait poser de grands problèmes sur le plan de l’unité du parti et de la stratégie électorale : les changements climatiques et la taxe sur le carbone. La base de l’Ouest déteste cette taxe et les restrictions environnementales qui font en sorte que l’économie albertaine souffre. MacKay a déjà publiquement annoncé qu’il éliminerait la taxe sur le carbone s’il était élu. Or cette taxe n’est pas du tout impopulaire en dehors de la base conservatrice. Si le PCC compte gagner des sièges en Ontario et au Québec, il se devra de présenter un plan climatique plus ambitieux.

Si un tel plan peut techniquement exister sans une taxe sur le carbone, il demeure qu’il sera difficile de convaincre les Canadiens modérés que cette taxe n’est pas nécessaire. Le consensus scientifique et électoral est qu’une telle taxe est utile. MacKay a probablement fait cette annonce afin de séduire la base, mais cela pourrait lui coûter cher en campagne. En passant, il est bon de rappeler qu’une taxe sur le carbone n’est pas une idée de gauche. Il s’agit d’une solution proposée par les économistes et qui était soutenue, dans le passé, par les partis de droite (comme les libéraux de Colombie-Britannique qui ont instauré une telle taxe dans la province).

Finalement, il y a un facteur qui semble être ignoré par plusieurs : l’efficacité de la campagne. Le Parti libéral, depuis 2015, est rendu incroyablement efficace pour cibler les bons comtés. Cela explique comment ce parti a remporté bien davantage de sièges que ce que l’on aurait pu prédire (en se basant seulement sur les pourcentages de votes). La plus récente élection fédérale l’a bien démontré, le PLC réussissant à gagner un nombre impressionnant de courses serrées au Québec, en Ontario (surtout dans le GTA) et ailleurs. Le fait qu’en octobre dernier le PLC soit passé relativement proche d’une majorité tout en ne récoltant que 33 % des votes montre bien cette efficacité.

Celle-ci est en partie due à la polarisation mentionnée plus tôt qui fait en sorte que les conservateurs « gaspillent » beaucoup de votes en récoltant des majorités écrasantes dans bien des comtés ruraux. Il y a aussi le fait que le NPD n’a pas vraiment fait sortir son vote, même en milieu urbain comme le centre-ville de Toronto. Mais cette efficacité s’explique aussi par le fait que le PLC a investi dans des méthodes avancées d’analyse de données et de ciblage des circonscriptions. Ces méthodes, développées largement pour Barack Obama en 2012, ne garantissent pas une victoire (Hilary Clinton avait accès à ces méthodes et a perdu), mais elles aident grandement. Peu importe qui sera le prochain chef conservateur, cette personne se devra d’améliorer cet aspect de la campagne conservatrice.

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