Grève étudiante de 2012. Rire aux larmes

No 84 - été 2020

Mémoire des luttes

Grève étudiante de 2012. Rire aux larmes

Rachel Gagné

Entremêlé avec d’autres formes d’action, l’humour s’est manifesté à de nombreuses reprises durant la grève étudiante de 2012. On le retrouvait dans les manifestations, que ce soit par les thématiques de celles-ci, par les pancartes brandies, par les slogans scandés ou par les personnages colorés qui sillonnaient les rues.

Où commencer pour expliquer l’avènement d’une telle grève historique ? Aux fins de concision, remontons à 2010, année où circule une pétition dans le but de s’opposer à la hausse des frais de scolarité prévue par le gouvernement libéral et début de la mobilisation dans différents établissements scolaires. En mars 2011, le gouvernement libéral annonce officiellement la hausse des frais de scolarité. En novembre 2011, plus de 200 000 étudiantes et étudiants dans la province sont en grève pour une journée de manifestation. En février 2012 s’amorcent les premiers votes de grève générale dans les cégeps et universités du Québec. Par la suite, en quelques semaines seulement, des dizaines d’associations étudiantes joignent le mouvement de grève. Le 22 mars, c’est plus de 300 000 personnes qui sont en grève. Se sont ensuite enchaînés les refus de négociation du gouvernement, l’adoption de la loi 12, les violences policières, des centaines de manifestations, le mouvement des casseroles, des injonctions pour le retour en classe, d’autres votes de grève, des maNUfestations, des milliers d’arrestations, etc.

Une année remplie d’émotions

Pour des centaines de raisons, 2012 a été une année charnière pour plusieurs d’entre nous. Des évènements marquants, il y en a autant que de personnes ayant participé à ce mouvement. En revanche, il est parfois difficile d’admettre, probablement par peur qu’elle ne soit pas prise au sérieux, que la mobilisation historique de 2012 a provoqué de nombreuses scènes comiques, d’innombrables fous rires ainsi que des moments d’hilarité générale. L’humour était même présent dans des lieux des moments où l’on s’y attendait le moins.

De fait, l’humour n’était pas seulement présent dans les manifestations, il avait également une grande place dans les milieux plus fermés. Les assemblées générales en sont de bons exemples. En effet, ces lieux et ces moments durant lesquels se prenaient des décisions sérieuses étaient ponctués de propositions loufoques et humoristiques. L’humour était également porté par la musique dans de nombreuses chansons ironiques dont les plus connues sont certainement celles du groupe Mise en Demeure. Sans oublier également que le comique avait sa place dans le privé, autour d’une bière, dans les salons, les cafés, etc. Bref, on rigolait un peu partout et il serait bien trop laborieux d’en énumérer tous les moments. Toutefois, on peut avancer sans se tromper que les militantes et militants ont démontré une originalité et une imagination sans bornes en conviant leurs camarades à des actions plus ingénieuses les unes que les autres : de la manifestation « Marions-nous contre la hausse » au « Cortège funèbre pour la mort de l’accessibilité aux études en passant par le « French-o-thon » et les vidéos du Rabbit Crew !

La manif de droite pour la hausse

Si des centaines d’exemples peuvent être évoqués pour parler de la présence de l’humour dans la grève, la « Manif de droite pour la hausse » apparaît comme emblématique du foisonnement de cet esprit caustique, de la thématique humoristique aux déguisements, en passant par les slogans comiques et l’utilisation de l’ironie. La manif se tient le 1er avril (jour du poisson d’avril pour les moins rapides d’entre nous), à l’initiative du Mouvement des étudiants super-riches du Québec, un regroupement utilisant exactement le même acronyme – MESRQ – que le Mouvement des étudiants socialement responsables du Québec, aussi appelé les carrés verts ou les pro-hausse. La revendication principale de cet évènement ironique est d’augmenter la hausse prévue par le gouvernement. Sur l’affiche verte, noire et blanche, on peut lire : « Nous souhaitons une école élitiste, individualiste et inaccessible. Les pauvres, nous n’en voulons pas. Venez marcher avec nous pour montrer à quel point il serait fantastique de vivre dans un Québec de droite. Quand on est Super-Riches bien sûr ! Une manifestation quand on est de droite, c’est une chose sérieuse. On ne manifeste pas souvent et quand on le fait, il y a des règles. Les mots d’ordre sont : respect, propreté et discipline. Les pancartes comme l’apparence devront être soignés. Le MESRQ fournira des pancartes officielles. » On annonce donc clairement la distinction entre les manifestations des « rouges » et celles des « verts ». Pour ce qui est du trajet, les manifestant·e·s se dirigeaient bien sûr toujours vers la droite, comme les décisions gouvernementales, nous annonçait-on. On pouvait lire sur les pancartes des slogans tels que : « Pauvres : payez ! », « Éborgnez-les tous ! » ou encore « Plus de polices, moins d’artistes ! » Plusieurs personnes participant à cette action étaient vêtues de complet-cravate, trimballant mallette et documents importants.

Cette manifestation ironique a permis de révéler l’irrationalité de certains arguments provenant des camps adverses. Certes, cette manifestation avait pour principal objectif de ridiculiser les positions des carrés verts qui commençaient à prendre de plus en plus de place dans l’espace médiatique, mais il est également possible d’y voir des cibles de toutes sortes : syndicats, corps policiers, classe économique, la fameuse « majorité silencieuse », etc. Par exemple, lorsqu’on explique, dans le tract, que les pancartes seront fournies et qu’il y aura des règles à respecter lors de l’évènement, il est possible de penser que les organisateurs et organisatrices faisaient un clin d’œil aux manifestations bien léchées de certaines centrales syndicales dans lesquelles on désirait éviter toutes sortes de débordements. Cette action a permis de reprendre les arguments de certains opposants à la grève.

De l’utilité de l’humour

Et si rire avait été nécessaire à cette grève de longue haleine ? Décompresser, se changer les idées, rendre attirantes certaines actions, se faire des ami·e·s, ridiculiser l’adversaire, attirer l’attention médiatique : l’humour a certainement eu de très nombreuses utilités durant la grève de 2012.

Ses différentes manifestations ont assurément contribué à la construction d’un mouvement fort grâce à l’attrait qu’ont eu certaines actions pour plusieurs. Le comique a également favorisé la construction d’identités collectives, que ce soit à l’échelle du mouvement ou au sein de de plus petits groupes, en créant et en délimitant clairement le eux en opposition au nous. Le eux dont on peut rire, que cela soit les carrés verts, les libéraux, les Richard Martineau de ce monde, mais également le eux comme étant les militant·e·s s’opposant à l’utilisation de la désobéissance civile, les pro-grève qui ne viennent jamais aux actions, etc. En opposition à ce eux se définissait également un nous, ce qui favorisait donc l’adhésion à une identité collective. Le nous militant·e·s pro-grève, le nous activistes participant aux actions tous les jours, le nous qui milite pour l’accessibilité universelle à l’éducation, le nous prêt·e·s à la désobéissance civile pour faire avancer le mouvement, etc.

Au travers d’un quotidien aussi intense, c’est peut-être même l’humour qui nous a permis de continuer le combat.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème