Le secteur minier au Chili

No 40 - été 2011

International

Le secteur minier au Chili

L’enfer des mineurs, le paradis des transnationales

Antoine Casgrain

SANTIAGO. Le 13 octobre 2010, dans le nord du Chili, le monde entier assiste au sauvetage en direct de 33 mineurs séquestrés à 700 mètres sous terre depuis 2 mois. Le même jour, loin des caméras, le Congrès chilien, déserté par les journalistes, entérine la prolongation d’un régime d’invariabilité de l’impôt sur les entreprises minières. Le pays sud-américain est un enfer pour les mineurs, mais un paradis pour les compagnies minières.

La miraculeuse aventure des 33 mineurs a rempli le peuple chilien de fierté, avec raison : les mineurs ont été courageux, l’action des secouristes exemplaire et, rendons ses lauriers à César, la gestion du président Pinera résolue et déterminée. Cette vaste opération de sauvetage, traitée comme une téléréalité, a été entièrement « made in Chile  », démontrant à la planète les capacités et les compétences de ce petit pays, candidat au club des nations développées.

Le principal acteur de cette aventure est la compagnie publique Codelco («  Compagnie du cuivre  »). Répondant directement au gouvernement, la société d’État a envoyé ses meilleurs ingénieurs et techniciens pour diriger les opérations de sauvetage à la mine San José. De plus, selon le quotidien La Tercera (13 octobre 2010), Codelco a assumé 75 % du coût du sauvetage, évalué à 22 millions $ US. Ironie du sort, Sebastian Pinera avait amorcé, à son arrivée au pouvoir, un projet de privatisation (une capitalisation à la hauteur de 15 % des actifs). On peut parier qu’avec une gestion et des objectifs de rentabilité mercantiles, Codelco ne se serait pas lancée dans une telle aventure.

Ce qu’il reste de Salvador Allende

Principale réforme du gouvernement socialiste de Salvador Allende (1970-1973), la nationalisation du cuivre permet aux Chiliens de bénéficier enfin de leurs richesses. Durant la dictature militaire, la gigantesque Codelco, principale productrice de cuivre au monde, devient la vache à lait des forces armées qui ont retenu, jusqu’à nos jours, 10 % sur ses ventes. Après 1990, les gouvernements de la Concertation ont investi les surplus de Codelco dans les programmes sociaux et dans des fonds de réserve monétaires pour soutenir la stabilité financière de l’État.

Toutefois, l’entreprise publique ne contrôle plus que 30 % de l’extraction cuprifère, alors qu’elle en contrôlait 70 % en 1990. Les nouveaux gisements exploités depuis cette date ont été accaparés par les minières privées, transnationales en majorité. Ce recul, selon les économistes de droite, serait le symptôme de l’inefficacité de la compagnie publique, argument principal utilisé pour la privatisation. Pourtant, la société publique rapporte, en redevances, impôts et dividendes, des revenus à l’État deux fois plus élevés que toutes les autres minières réunies.

Impôts et redevances minières

Le plus étonnant encore, Codelco déclare des gains à l’exportation légèrement plus élevés que les minières privées ! Étonnant, car la compagnie publique opère des mines plus âgées que celles de ses concurrents, avec de la machinerie moins récente, sans parler de ses charges sociales. En fait, le système fiscal chilien incite les compagnies à mentir sur leurs profits.

Malgré le vocabulaire utilisé par le gouvernement, il n’y a pas de véritable redevance minière au Chili. Une redevance est une rente versée à un État en échange du droit d’exploitation d’une ressource. En général, on fixe la redevance en fonction du prix du marché, donc de vente, de la ressource en question, nonobstant les gains de l’entreprise, qui sont par ailleurs objet de l’impôt. Or, au Chili, ce qu’on appelle par anglicisme « royalty » n’est qu’un impôt supplémentaire appliqué spécifiquement aux compagnies minières. Si les compagnies affichent des pertes, elles ne paient pas d’impôt. Ce régime très avantageux classe le Chili, année après année, comme le pays le plus avantageux pour les compagnies minières, selon différents bulletins économiques d’instituts spécialisés. Le gouvernement actuel a prolongé ce régime fiscal laxiste, en échange d’une mince participation des minières dans un fonds pour la reconstruction du tremblement de terre de février 2010.

L’inacceptable laisser-faire de l’État

Mine d’or de taille moyenne, la mine San José opérait dans cette ambiance de Far West fiscal et réglementaire qu’est le Chili. Dans un système de régulation libéralisé, basé sur la bonne foi et l’autorégulation des entreprises, seule la grande industrie maintient des normes de sécurité élevées. Ayant des marges de profit plus flexibles, on y compte aussi des syndicats puissants et combatifs. À l’inverse, les petites et moyennes mines continuent d’opérer dans des conditions insalubres en toute impunité. La stratégie médiatique du gouvernement a été de montrer l’image plus reluisante de sa grande industrie et de masquer le reste.

À la suite de l’accident tragique, le gouvernement s’est engagé formellement à améliorer les conditions de travail dans le secteur minier. Tout un défi pour l’État. Selon la Commission publique d’enquête sur les événements de la mine San José, le service d’inspection des mines (Serna­geomin) et la Direction du travail ont une grande part de responsabilité dans l’incident. Les deux entités ont octroyé les autorisations nécessaires à l’entreprise, sans les rapports géotechniques requis. La mine a pu opérer sans contraintes bien qu’un effondrement ait blessé un travailleur quelques semaines auparavant, malgré l’absence de sorties de secours réglementaires et plusieurs plaintes des travailleurs sur les dangers de la mine.

Tout ce qui a fait la fierté des Chiliens, le professionnalisme, la solidarité et l’effort financier désintéressé, est précisément tout ce qui manquait à la mine San José. Dans ce contexte, de nombreuses voix s’élèvent pour une «  renationalisation  » du cuivre, un plus grand contrôle de l’État sur les activités minières et un rôle accru des travailleurs dans le respect de leur propre sécurité.

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