Dossier : Hull, ville assiégée

Dossier : Hull, ville assiégée

Le projet Arboripolis

Stéphane Vigneault

De nombreux problèmes plombent le développement de Gatineau et sa région, la décadence du centre-ville n’étant pas un des moindres. Mais se pourrait-il que le Vieux Hull en soit aussi la solution et une source d’inspiration pour le Québec et l’Amérique du Nord ?

Un diagnostic s’impose. L’Île de Hull, le vrai centre-ville de Gatineau (quoi qu’en dise la Ville elle-même), ne s’est jamais remise de la destruction des années 1960 et 1970. Trame urbaine déstructurée, tissu social en lambeaux  : un échec à ciel ouvert. La Ville de Gatineau, en cultivant sa dépendance à Ottawa, la CCN et l’Ontario, tourne le dos à sa région. Les fils économiques et culturels unissant le rural à l’urbain se brisent un à un. La base économique traditionnelle de l’arrière-pays gatinois, la foresterie, vacille. Le vieux modèle de récolte/sciage n’a plus d’avenir. Le milieu sait qu’il doit passer à la « deuxième transformation » (bois d’ingéniérie, composants de construction préfabriqués, etc.), mais rien ne bouge : l’Outaouais ne compte que 1,78 % des emplois liés à la deuxième transformation au Québec. Enfin, la Ville de Gatineau n’a aucune identité et ses citoyens ont le plus faible taux d’appartenance au Québec. Les Gatinois seraient bien en peine d’identifier un objet de fierté chez eux.

Redécouvrir le bois

Tous ces problèmes ne peuvent être réglés à la pièce. Il faut les combattre tous à la fois. La clef : s’inspirer de l’« esprit du lieu », de l’héritage historique, et y puiser les solutions. Comme l’explique Serge Viau, le cerveau derrière la renaissance du quartier St-Roch à Québec, tenter de plaquer tels quels des modèles venus d’ailleurs ne fonctionnera pas. S’inscrire dans la trame historique est une obligation. Et pour l’Île de Hull, cette trame historique est faite de bois. Celui qu’on transformait en allumettes chez Eddy Match Co., celui qu’on pigeait dans la cour à bois du boss pour reconstruire à chaque génération sa maison ravagée par les incendies, ou celui que les cageux faisaient descendre au fil de la Grande rivière.

Le bois n’appartient pas qu’au passé. D’ailleurs, selon l’Ordre des architectes du Québec, le bois «  possède de nombreuses qualités environnementales. Renouvelable s’il provient de forêts gérées de façon responsable, réutilisable et recyclable, il permet notamment de construire des bâtiments d’une grande efficacité énergétique. Par son caractère hygroscopique, il aide également à stabiliser le taux d’humidité des habitations alors que, loin des idées reçues, il peut être un matériau innovant et utile en protection incendie, y compris pour des bâtiments publics de plusieurs étages.  »

Le plan Arboripolis

Le temps est venu pour Gatineau, sa région et son centre-ville d’oser l’excentricité et de se doter d’une stratégie de développement d’une envergure jamais vue, ce que j’appelle le Plan Arboripolis.

 1- Passer de la première à la deuxième transformation en région en se concentrant sur les produits de construction en bois modernes avec l’ambition de devenir la plaque tournante nord-américaine de cette industrie.

 ­2- Bonifier la formation de l’UQO et du Cégep de l’Outaouais en faisant enfin de la place à des disciplines comme l’architecture, le design industriel et l’urbanisme. Ouvrir dans l’Île de Hull un centre de recherche et d’enseignement dans les domaines liés à la deuxième transformation du bois et à ses applications.

 3- Lancer un concours international d’architecture visant à réinventer notre plus bel exemple d’architecture vernaculaire, la maison allumette. Les plans de cette version moderne (déclinable en unifamiliale, mais aussi en multilogements et en édifices institutionnels) seront disponibles autant pour les pouvoirs publics que pour les firmes de construction qui bâtiront au centre-ville.

 4- Faire de l’Île de Hull la « salle de montre » de l’industrie de la construction en bois. La Ville doit se doter d’un vrai plan d’urbanisme pour le centre-ville (contrairement à son ridicule Plan particulier d’urbanisme qui n’a ni budget ni calendrier de réalisation) et tout faire pour doter le quartier de magnifiques immeubles en bois à taille humaine qui offriront un véritable cadre de vie, ce que ne peuvent faire des tours de 15 étages. Des bâtiments symboliques comme la future Grande bibliothèque, le nouvel aréna ou l’Espace Jean-Dallaire feront l’objet de concours d’architecture internationaux et devront eux aussi être bâtis en bois.

 5- Développer le thème du bois partout au centre-ville avec par exemple des trottoirs en bois, des vergers publics, l’accueil de la Série sportive Stihl Timbersports, etc.

 6- Attirer les entrepreneurs du domaine, d’où qu’ils soient, en offrant un système de crédit d’impôts sur la masse salariale copié sur celui offert au secteur du multimédia.

 7- Attirer dans l’Île de Hull les sièges sociaux nord-américains des entreprises européennes de la deuxième transformation qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ont une longueur d’avance sur nous.

 8- Nommer un Commissaire du Plan Arbori­polis qui soit un chef de file en design. Pourquoi pas le créateur du Bixi, le designer industriel Michel Dallaire, fils du peintre hullois Jean Dallaire ?

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