L’université de demain : libre ou asservie ?

No 40 - été 2011

Éducation

L’université de demain : libre ou asservie ?

Philippe Hurteau

Le 17 mars dernier, le gouvernement du Québec a déposé son budget pour l’année 2011-2012. Résolu dans sa volonté de poursuivre la révolution tarifaire entamée l’an dernier, le ministre des Finances, Raymond Bachand, a joint à son budget un document intitulé Un plan de financement des universités équitable et équilibré . Comme nous le verrons, ce plan gouvernemental mise sur l’augmentation des droits de scolarité et sur une plus grande intégration par les établissements universitaires de leur rôle de stimulateurs de l’économie du savoir.

Contenu du plan gouvernemental

Le plan gouvernemental s’articule autour de trois axes : l’augmentation du financement des universités, une majoration de l’aide financière aux études et la maximisation de la performance des universités. Au total, c’est 850 M$ que le gouvernement entend mettre à la disposition des établissements d’ici 2016-2017, soit 320 M$ pour couvrir l’évolution des coûts de système et 530 M$ en ressources additionnelles.

La hausse des droits de scolarité est certainement l’élément qui a retenu le plus l’attention dans le débat public. Le gouvernement prévoit des augmentations annuelles de 325 $ pendant 5 ans, ce qui fera passer les droits de scolarité de 2 168 $ à 3 793 $, soit une hausse de 1 625 $ (75 %). Rappelons que les droits de scolarité avaient déjà subi un accroissement important de 2007 à 2012. Au total, de 2007 à 2017, les droits de scolarité auront augmenté de 2 125 $ (127 %), passant de 1 668 $ à 3 793 $.

De cette manière, le gouvernement entend générer 265 M$ en ressources financières additionnelles pour les universités. À cela, il faut ajouter d’autres nouveaux revenus qui proviendront soit de l’État (430 M$), soit des dons effectués par des entreprises et des particuliers (54 M$) ou encore par la maximisation de la marchandisation des recherches et des autres activités auxiliaires des universités (101 M$). En bref, le plan du ministre Bachand consiste en ceci : faire payer les étudiants sans considération pour les objectifs d’accessibilité, diriger les aides supplémentaires de l’État dans les secteurs à haute valeur ajoutée, miser sur la philanthropie privée et accélérer la transformation des universités en « shops » de création de valeur marchande.

Pour dorer la pilule, le ministre prévoit une majoration de l’aide financière aux études (118 M$) qui sera financée en presque totalité par des fonds provenant justement des hausses des droits de scolarité. C’est un peu comme si M. Bachand disait aux étudiants « je sais que les mesures que je vous annonce vont vous nuire, mais dites-vous qu’une partie de votre malheur est destinée à vous aider. » De plus, le ministre prévoit diriger une bonne partie des sommes prévues à son plan dans les domaines destinés à aider au positionnement concurrentiel des universités (infrastructures de recherche, quête de subventions et de contrats provenant du privé, augmentation du nombre de professeurs de « calibre international », etc.). Les étudiants sont donc appelés à payer davantage pour avoir le privilège de fréquenter non plus des universités dont la mission essentielle serait l’enseignement, mais bien pour fréquenter des grandes écoles dont la mission se limitera à la formation de la main-d’œuvre, à la satisfaction du secteur privé et à la recherche d’un positionnement concurrentiel.

Les origines du plan

Mais d’où vient cette obsession pour l’augmentation des droits de scolarité et cette recherche effrénée de performance économique ? Bien entendu, les différents travaux de l’OCDE ainsi que la publication de grands classements internationaux sur la question ne sont pas étrangers à cette tendance mondiale à vouloir maximiser la performance universitaire : une université efficace est une université qui brille dans les domaines à haute valeur ajoutée sur le plan économique.

Plus près de chez nous, il y a le discours savamment entretenu par les recteurs des universités à travers leur association (la CREPUQ) qui influence grandement le débat public. Nos recteurs ont réussi à imposer la conviction chez plusieurs qu’il y avait un sous-financement universitaire même si une telle position ne résiste pas à l’analyse des faits. Les universités ne sont pas sous-financées, elles sont mal gérées. Compte tenu de l’accroissement de 142 % du financement universitaire depuis 1997, la question se pose : est-ce que les universités manquent de ressources ou bien est-ce que ces ressources sont mal distribuées à l’intérieur même de l’institution ? Bien entendu, nos recteurs ne veulent pas répondre à cette question, préférant jouer avec les chiffres afin d’accroître la cagnotte sous leur contrôle et ainsi espérer se positionner favorablement dans le jeu de la concurrence effrénée les opposant les uns aux autres.

L’université libre

Quelle sera donc cette université de demain ? Assisterons-nous à la complète absorption de l’institution par les forces déchaînées des marchés, des intérêts à courte vue et du rabattement du savoir et de la connaissance sur les seuls critères de la rentabilité ? Ou, à l’inverse, assisterons-nous à une réelle revalorisation de l’institution apte à remettre à flot ce bateau à la dérive ?
En vérité, l’avenir de l’université ne peut plus désormais être pensé séparément des luttes qui y ont cours : soit les différents artisans de l’université – les professeurs, les chargés de cours, les autres salariés, les étudiants, etc. – reprendront le dessus et remettront au cœur de l’institution les missions fondamentales de l’éducation supérieure (transmission des connaissances, développement de l’esprit critique, formation citoyenne, engagement social, etc.), soit les universités seront condamnées à devenir de vastes écoles techniques orientées vers la satisfaction insatiable du marché.

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