Grève de 1972 : 50 ans Quel avenir pour la lutte en front commun ?

Dossier - Syndicalisme : comment

Dossier- syndicalisme : comment faire mieux ?

Grève de 1972 : 50 ans Quel avenir pour la lutte en front commun ?

Wilfried Cordeau

Au printemps 1972, la lutte menée au sein du premier Front commun intersyndical marque l’histoire du Québec comme un moment de triomphe de la solidarité et du syndicalisme de combat. Comment cet épisode mythique peut-il encore inspirer le mouvement aujourd’hui ?

Dans l’immédiat, le regroupement en Front commun vise à empêcher le gouvernement de jouer les organisations syndicales des secteurs public et parapublic les unes contre les autres afin de leur imposer une politique salariale à rabais. Exigeant d’en négocier les paramètres d’une même voix autour d’une table centrale, le Front commun engage ses 210 000 membres dans un bras de fer historique avec l’État-employeur qui, après une grève générale illimitée (11 au 21 avril), culmine avec l’adoption d’une loi spéciale de retour au travail et l’emprisonnement des chefs syndicaux (9 mai). Un vaste mouvement social de désobéissance civile se déploie alors – débrayages, blocages, affrontements se multiplient durant une semaine –, pavant la voie à des avancées déterminantes à la table centrale. On y arrache un salaire hebdomadaire de base de 100 $ pour les 50 000 membres au bas de l’échelle, la réduction des écarts salariaux, l’indexation des salaires et l’amélioration du régime de sécurité d’emploi.

Une conception du syndicalisme

Le « Nous, le monde ordinaire », scandé par les membres et leurs allié·es, marque un tournant en ce qu’il affirme la capacité du mouvement ouvrier à canaliser des aspirations sociales profondes, à s’organiser et à défier l’ordre établi. Symboliquement, les événements du printemps 1972 traduisent la volonté du mouvement syndical [1] d’opposer à l’État bourgeois la raison et la coalition des masses laborieuses en marche pour une société égalitaire. Conjuguant les premier et deuxième fronts [2], la bataille du Front commun témoigne d’un mouvement parvenu à maturité et participe d’une stratégie de transformation sociale visant l’émancipation collective par l’action militante, la conscientisation des masses, la mobilisation populaire et la solidarité ouvrière.

La tactique de 1972 rappelle que la constitution de vastes et solides alliances et la formulation d’une vision rassembleuse demeurent souhaitables face à la puissance de l’État-employeur. Mais ces alliances et cette vision ne vont pas toujours de soi, peuvent varier dans le temps et l’espace et leur réussite n’est pas garantie. À cet égard, les vingt dernières années témoignent d’importantes démonstrations de force, mais également de limites internes et de succès inégaux.

À l’heure des appels à des états généraux, cet anniversaire donne l’occasion de dégager des leçons stratégiques et de s’interroger sur la nature des défis à venir. Comment tisser des solidarités fructueuses dans un contexte de fragmentation de l’échiquier syndical ? Comment restructurer l’action dans un contexte de rajeunissement et de diversification des effectifs syndicaux et des cultures militantes ? Comment établir des ponts avec les luttes populaires et intégrer à la négociation collective les aspirations du « monde ordinaire » et des objectifs de solidarité sociale ? Finalement, quel projet de société rassembleur opposer à ce système capitaliste néolibéral dont l’État demeure l’instrument, et comment l’arracher par l’action syndicale et la mobilisation populaire ? Vaste programme, questions ardues, mais probable nécessité historique.


[1Notamment exprimée dans une série de manifestes : CSN, Ne comptons que sur nos propres moyens (1971) ; FTQ, L’État rouage de notre exploitation (1971) ; CEQ, L’école au service de la classe dominante (1972).

[2 René Charest, « À la recherche du deuxième front », Nouveaux cahiers du socialisme, no19, 2018, p.19-28.

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