Frite alors ! - Petite histoire d’un syndicalisme solidaire et combatif

No 67 - déc. 2016 / janv. 2017

Travail

Frite alors ! - Petite histoire d’un syndicalisme solidaire et combatif

Caroline Brodeur, Richard-Alexandre Laniel

Fondé aux États-Unis en 1905, le Syndicat industriel de travailleurs et travailleuses (SITT, plus connu sous son acronyme anglais IWW) a des racines profondes dans l’histoire industrielle nord-américaine. Prônant un syndicalisme de solidarité, il s’inscrit à contre-courant de la pratique contemporaine.

En effet, pour cette tradition syndicale, il ne s’agit pas de rechercher la légitimité de l’État par l’accréditation légale, mais de revenir à la base même du syndicalisme, soit l’action collective de travailleurs et travailleuses solidaires afin d’améliorer leurs conditions de travail. Dans cette perspective, l’objectif consiste à maintenir un rapport de force constant contre l’employeur, par l’action directe, plutôt que de figer les relations de travail dans une convention collective qui suppose la « paix industrielle » du fait de la renonciation au droit de grève qu’elle impose. Le SITT est résolument révolutionnaire : sa finalité consiste en l’abolition de l’exploitation salariale.

Relancée en 2013, la branche montréalaise du SITT compte environ 200 membres. Si plusieurs campagnes d’organisation syndicale ont présentement cours dans les coulisses, celle rendue publique en août 2016 par le Syndicat des travailleurs et travailleuses de Frite Alors ! (STTFA) a particulièrement attiré l’attention. D’une part, les exemples de syndicalisation dans l’industrie de la restauration rapide sont rares. D’autre part, plusieurs ont remarqué la volonté de ses membres de mettre en pratique un syndicalisme solidaire et combatif. Après plusieurs semaines de lutte, nous pensons qu’est venu le temps de faire le topo du combat mené par ces courageuses et courageux travailleurs, principalement actifs à la succursale de la rue Rachel. Pour ce faire, nous avons rencontré un·e membre du STTFA qui a demandé à garder l’anonymat.

Syndicalisation en deux temps

En 2015, lorsque des employé·e·s ont été introduits aux idées des Wobblies (surnom donné aux membres de l’Industrial Workers of the World) et ont signé leur carte d’adhésion syndicale, la mise sur pied d’un comité d’organisation (CO) s’est rapidement concrétisée au Frite Alors ! Rachel. L’objectif était, au départ, non pas nécessairement de former un syndicat, mais plutôt d’organiser collectivement le milieu de travail, dans l’optique d’en améliorer les conditions. En ce sens, « le syndicat est plus un moyen qu’une fin en soi  », selon notre contact.

1. Dialoguer en vue de mobiliser

Les employé·e·s membres du SITT ont tout d’abord cherché à établir un dialogue avec l’ensemble de leurs collègues. Pour la majorité d’entre eux et elles, plusieurs aspects du quotidien des travailleurs de Frite Alors ! s’avéraient désagréables, voire insupportables. La climatisation défectueuse ainsi que l’obligation pour les serveuses de rembourser les débalancements de caisse et d’inventaire en sont de bons exemples, sans parler des salaires dérisoires rarement augmentés.

Dans un milieu comme celui de la restauration, où les employeurs font trop souvent fi des normes du travail, les travailleurs·euses conçoivent généralement les rapports et éventuels conflits avec le patronat en termes individuels. Ainsi selon le STTFA, organiser, c’est aussi aider les salarié·e·s à prendre conscience de leur force collective et des possibilités que celle-ci leur ouvre.

C’est ce qui se produit lorsque à la fin de 2015, le CO du Frite Alors ! Rachel se réunit plus régulièrement et s’élargit. Il travaille principalement à construire et nourrir une culture solidaire et syndicale. Au cours des réunions, ses membres évaluent les possibilités, regardent ce qui se passe aux États-Unis par rapport à la campagne pour le salaire minimum à 15 $ / l’heure et consolident la structure organisationnelle de leur comité. Au printemps 2016, des employé·e·s embauchés en vue de la saison haute prennent leur carte du SITT. Les nouveaux et nouvelles s’informent et sont invités aux réunions d’organisation. C’est alors que les récriminations du début se transforment officieusement en revendications.

2. Agir collectivement

Toujours au printemps 2016, une pétition initiée par le CO est envoyée à la direction. Cette pétition demande le retrait de l’obligation pour les employé·e·s de rembourser les débalancements des fûts de bière ou de l’inventaire. La direction convoque alors une rencontre avec les employé·e·s afin d’aborder le sujet. Les membres du CO, préparés, ressortent de la réunion avec une première victoire : ils et elles n’auront plus à payer de leur propre poche pour des erreurs inhérentes au service. Cette étape, toujours selon notre contact, s’est avérée cruciale dans la poursuite de la syndicalisation, puisque certain·e·s sceptiques ont constaté qu’« en groupe, on trouve des solutions originales et la force nécessaire pour répondre à des problèmes qui, individuellement, nous semblaient sans issue ».

Les demandes suivantes faites par les membres lors d’une rencontre avec le patronat restent vaines. Puis, les membres du STTFA installent des thermomètres dans le restaurant afin de documenter la manière dont la chaleur rendait leurs tâches insupportables, voire dangereuses. Éventuellement, les salarié·e·s incitent également « les client·e·s qui se plaignent de la chaleur à écrire directement à la direction ou sur les réseaux sociaux ».

Malheureusement, vers la fin de la saison, les employé·e·s ne constatent pas d’autre amélioration de leurs conditions. Cette période coïncide avec l’adhésion de plusieurs personnes au SITT. Selon un·e membre du STTFA, la fin de l’été était le meilleur moment pour agir et sortir publiquement comme syndicat, puisqu’il y a, durant cette saison, «  plus d’employé·e·s, comptabilisant plus d’heures et donc ayant un plus grand rapport de force  ».

La suite s’est retrouvée dans les médias : le CO décide de rendre publique l’existence d’un syndicat au Frite Alors ! Rachel. Quelques jours plus tard, une employée reconnue comme étant membre du syndicat se fait congédier, puis réengager à la suite de l’occupation du commerce pendant près de deux heures par ses collègues et camarades du SITT.

Défis et avenir du STTFA

Présentement en période de négociations avec leur employeur, les membres du STTFA ont accepté une trêve. Déjà, les conditions imposées par le patronat pour les pourparlers ne satisfont pas la partie syndicale : celle-ci, qui voulait permettre à tous et toutes de participer, s’est fait imposer de fonctionner par l’entremise d’un·e porte-parole.

La lutte n’est donc pas terminée. On nous a confié que des caméras de surveillance ont été installées à l’intérieur du restaurant. L’organisation craint également de voir ses membres « congédié·e·s un·e par un·e  ». Quoi qu’il en soit, et comme l’a bien exprimé le camarade Normand Baillargeon dans sa vidéo de soutien au STTFA, le succès de la lutte menée par ce syndicat relève de notre responsabilité collective puisque c’est l’ensemble des travailleurs et travailleuses de l’industrie de la restauration qui pourra éventuellement en profiter. Plus globalement, cette campagne d’organisation syndicale permet d’entrevoir une autre forme de pratiques qui a pour avantage de nous rappeler en quoi consiste fondamentalement le syndicalisme, soit la collectivisation des relations de travail et la prise de conscience de l’appartenance à la classe des salarié·e·s.

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